La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu, le 23 janvier 2025, un arrêt relatif à l’application de la majoration de quatre-vingts pour cent pour manœuvres frauduleuses. À la suite d’une vérification de comptabilité d’une société dont il était le président, un contribuable a fait l’objet de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu. L’administration fiscale a réintégré des dividendes perçus et non déclarés dans son revenu imposable, assortissant ces rectifications de la majoration prévue par l’article 1729 du code général des impôts. Le requérant a contesté ces pénalités devant le tribunal administratif de Strasbourg, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 17 avril 2018. Après une première décision d’appel et une cassation par le Conseil d’État, l’affaire a été renvoyée devant la juridiction nancéienne. Le litige porte sur la qualification des agissements du dirigeant et sur la preuve, incombant à l’administration, du caractère frauduleux du montage mis en œuvre. La question posée est de savoir si l’organisation d’une répartition occulte de dividendes au sein d’une société constitue une manœuvre frauduleuse opposable à son bénéficiaire. La Cour administrative d’appel de Nancy confirme le bien-fondé de la majoration en retenant l’existence d’un procédé destiné à restreindre le pouvoir de contrôle du fisc.
I. La caractérisation des manœuvres frauduleuses par l’artifice comptable
A. L’élaboration d’un procédé de dissimulation fiscale
L’administration fiscale doit établir l’existence d’un élément matériel pour justifier l’application de la majoration de quatre-vingts pour cent prévue au c de l’article 1729 du code général des impôts. En l’espèce, les investigations ont révélé que la société avait procédé au versement de la totalité des dividendes au profit exclusif de son seul président. Cette distribution s’est opérée en dépit de l’absence de vote de l’assemblée générale ordinaire et au-delà des droits réels du dirigeant dans le capital social.
Le juge relève que les « écritures comptables de la société dont il était le dirigeant laissaient à penser que chacun des associés percevait des dividendes à hauteur de ses parts ». Ce travestissement de la réalité comptable constitue le support matériel indispensable à la qualification de la manœuvre frauduleuse invoquée par les services vérificateurs. La mise en place d’une apparence de répartition régulière entre les différents associés permet de masquer l’appréhension occulte des sommes par un unique bénéficiaire.
B. L’intention établie d’égarer le contrôle administratif
La qualification de manœuvre frauduleuse suppose également la démonstration d’une intention délibérée de tromper l’administration fiscale dans l’exercice de sa mission de vérification. La Cour administrative d’appel de Nancy considère que ce « procédé était ainsi destiné à égarer l’administration ou à restreindre son pouvoir de contrôle ». L’utilisation de chèques pour le règlement des dividendes ne suffit pas à conférer une transparence suffisante à l’opération dès lors que la base imposable demeure minorée.
L’administration apporte la preuve de cette intention en soulignant le caractère systématique de la minoration des revenus déclarés par le contribuable depuis plusieurs exercices consécutifs. Le juge administratif estime que le requérant « a systématiquement minoré de moitié ses revenus issus des dividendes versés par la société depuis 2003 ». Cette répétition des omissions déclaratives, couplée à l’artifice comptable, confirme la volonté d’éluder l’impôt en faussant la perception des agents du fisc.
II. L’imputabilité de la fraude au dirigeant et la validité de la sanction
A. Le rôle déterminant du président dans la mise en œuvre du montage
Le contribuable tentait de s’exonérer de sa responsabilité en soutenant que les faits constatés étaient uniquement imputables à la personne morale qu’il dirigeait. La Cour écarte cette argumentation en se fondant sur les prérogatives effectives de l’intéressé au sein de la structure dont il assurait la présidence. Elle juge qu’« eu égard aux fonctions qu’il exerçait au sein de la société et au fait qu’il avait systématiquement minoré ses revenus, il ne peut être regardé comme étranger aux procédés ».
La qualité de dirigeant de fait et de droit rendait impossible l’ignorance d’un mécanisme de distribution dont il était par ailleurs le bénéficiaire exclusif et l’instigateur. Le juge administratif relève ainsi l’existence d’un procédé que le requérant « en sa qualité de dirigeant ne pouvait ignorer alors qu’il en est à l’origine ». Cette implication personnelle directe scelle le lien entre les fautes de gestion comptable de la société et la mauvaise foi fiscale du contribuable.
B. Le contrôle de la motivation et du bien-fondé des pénalités
La validité d’une sanction fiscale dépend de la précision de sa motivation ainsi que de la force probante des éléments produits par l’administration. La proposition de rectification comportait l’énoncé clair des considérations de droit et de fait justifiant l’application de la majoration de quatre-vingts pour cent. Les juges considèrent que le document décrit avec précision les manœuvres mises en œuvre par la société pour dissimuler le montant des dividendes réellement versés au président.
Le requérant n’est pas parvenu à renverser la preuve apportée par l’administration en produisant des documents conventionnels antérieurs ou imprécis concernant ses associés étrangers. La Cour administrative d’appel de Nancy juge que l’administration fiscale apporte la preuve de « l’intention délibérée d’égarer l’administration dans son pouvoir de contrôle ». La requête tendant à la décharge de la majoration est donc rejetée, confirmant ainsi la sévérité légitime de la répression en présence de manœuvres organisées.