Cour d’appel administrative de Nancy, le 23 septembre 2025, n°24NC00573

Un étranger, entré en France en 2021 et dont la demande d’asile avait été définitivement rejetée, a sollicité un titre de séjour en raison de son état de santé. L’autorité préfectorale a opposé un refus à sa demande par une décision du 21 février 2023. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif a annulé ce refus et enjoint à l’administration de délivrer le titre de séjour sollicité. L’administration a alors interjeté appel de ce jugement. Le litige portait sur l’application des dispositions de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoient la délivrance d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et qui ne pourrait pas bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine.

La question de droit qui se posait à la cour administrative d’appel était de savoir si l’administration d’un traitement en France, dont la disponibilité n’est pas garantie dans le pays d’origine, suffit à prouver l’impossibilité pour un étranger d’y bénéficier effectivement d’un traitement approprié. La cour a répondu par la négative, considérant que le requérant n’établissait pas que la poursuite de ce traitement spécifique était nécessaire. Infirmant le jugement de première instance, la cour a estimé que le refus de titre de séjour n’était pas illégal, ni sur ce fondement, ni au regard du droit au respect de la vie privée et familiale. Cette décision illustre la rigueur de l’appréciation portée sur la condition d’accès effectif aux soins (I), tout en confirmant une conception restrictive de la protection subsidiaire fondée sur la situation personnelle de l’étranger (II).

I. La rigueur de l’appréciation de l’accès effectif au traitement

La solution de la cour repose sur une analyse stricte des conditions posées par la loi pour la délivrance d’un titre de séjour pour raisons de santé. Elle rappelle d’abord le cadre juridique applicable en soulignant le rôle dévolu à l’avis médical (A), avant de procéder à une interprétation rigoureuse de la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur (B).

A. Le rappel du cadre légal et du rôle de l’avis médical

La cour prend soin de détailler le dispositif de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce dernier subordonne la délivrance du titre à une double condition cumulative : d’une part, un état de santé dont la dégradation, en l’absence de soins, serait d’une « exceptionnelle gravité » ; d’autre part, l’impossibilité pour l’étranger de « bénéficier effectivement d’un traitement approprié » dans son pays d’origine. Le juge administratif rappelle que l’appréciation de cette seconde condition s’effectue au vu d’un avis émis par un collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Dans cette affaire, l’avis de l’OFII avait conclu que, si l’état de santé du requérant était effectivement préoccupant, il pouvait néanmoins bénéficier d’un traitement approprié dans son pays. La cour confirme qu’il appartient à l’autorité administrative de fonder sa décision sur cet avis technique. Le juge exerce un contrôle sur l’appréciation de l’administration, en vérifiant notamment « la nature et la gravité des risques qu’entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l’étranger est originaire ». Ce faisant, la cour réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle l’avis médical, bien que non liant, constitue un élément déterminant de la décision administrative.

B. L’interprétation stricte de la charge de la preuve pesant sur l’étranger

Le point central de l’arrêt réside dans l’appréciation des éléments nouveaux produits par le requérant pour contester l’avis de l’OFII. Postérieurement à la décision de refus, l’intéressé avait présenté un compte-rendu médical faisant état d’une rechute et de la mise en place d’un traitement par perfusion, puis d’un autre médicament en prévention. Il soutenait également que l’un de ces traitements n’était pas disponible dans son pays d’origine.

La cour écarte cet argument par une motivation très précise : « il ne ressort pas des pièces du dossier que ce traitement, qui lui a été délivré en juin 2023, doit être poursuivi ». Autrement dit, le juge considère qu’il ne suffit pas de prouver qu’un soin administré en France est indisponible dans le pays de retour ; l’étranger doit également démontrer la nécessité actuelle et future de ce soin spécifique. En l’absence de cette preuve, la conclusion de l’OFII sur l’existence d’un « traitement approprié » au sens large n’est pas remise en cause. Cette approche place sur les épaules du requérant une charge probatoire particulièrement lourde, exigeant une démonstration détaillée et actualisée de l’inadéquation de l’offre de soins dans son pays au regard de l’évolution de sa pathologie.

Après avoir ainsi validé l’analyse de l’administration sur le terrain médical, le juge d’appel examine, par l’effet dévolutif de l’appel, les autres moyens soulevés en première instance, qui touchent à la situation personnelle du requérant.

II. La confirmation d’une protection subsidiaire restrictive

La cour examine ensuite les arguments tirés de l’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et de l’erreur manifeste d’appréciation. Sa réponse, négative sur les deux points, confirme une approche restrictive de la protection accordée aux étrangers en situation irrégulière sur ces fondements (A), ce qui limite la portée de ces moyens pour des situations similaires (B).

A. Un contrôle limité de l’atteinte à la vie privée et familiale

Invoquant l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le requérant soutenait que le refus de titre de séjour portait une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La cour procède à un bilan des éléments de la situation personnelle de l’intéressé pour juger de la proportionnalité de l’ingérence de l’autorité publique.

Elle relève ainsi une entrée en France relativement récente à l’âge de quarante-six ans, le fait qu’il est célibataire, sans charge de famille sur le territoire, et qu’il n’établit pas être dépourvu de toute attache dans son pays d’origine. Par ailleurs, il ne justifie d’aucune « intégration particulière en France ». Sur la base de ces éléments factuels, la cour conclut que la décision préfectorale « n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a pris la décision attaquée ». Cette motivation classique démontre que, pour un adulte entré récemment sur le territoire et sans attaches familiales constituées en France, le seul séjour, même prolongé de quelques années, ne suffit pas à caractériser une vie privée dont la protection ferait obstacle à une mesure d’éloignement.

B. La portée résiduelle de l’erreur manifeste d’appréciation

Enfin, la cour écarte le moyen tiré de l’erreur manifeste que l’administration aurait commise dans l’appréciation de la situation personnelle du requérant. Elle le fait en se fondant sur les « mêmes motifs » que ceux exposés pour l’analyse de l’article 8 de la Convention. Ce faisant, elle lie étroitement les deux notions, l’absence d’atteinte disproportionnée impliquant logiquement l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.

Ce contrôle restreint de l’erreur manifeste confirme qu’il ne s’agit pas pour le juge de se substituer à l’administration dans l’appréciation de l’opportunité de sa décision, mais seulement de sanctionner les décisions qui seraient manifestement illogiques, injustes ou inadaptées. En l’espèce, au regard des critères retenus (durée de séjour, attaches familiales et professionnelles), la décision de refus n’apparaissait pas entachée d’une telle erreur. La portée de cet arrêt est donc claire : en dehors de la voie spécifique de l’article L. 425-9, les étrangers dont la situation personnelle ne présente pas de liens intenses et anciens avec la France disposent d’une marge de manœuvre très étroite pour contester un refus de séjour fondé sur une appréciation globale de leur situation.

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Hassan KOHEN
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