Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a été amenée à se prononcer sur la déductibilité de charges versées entre sociétés liées et sur la caractérisation du manquement délibéré justifiant l’application d’une majoration fiscale. En l’espèce, une société spécialisée dans l’installation d’équipements thermiques a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration fiscale a réintégré dans ses bénéfices imposables des sommes versées à une société luxembourgeoise. Ces sommes, facturées mensuellement sous le libellé « forfait diverses prestations », correspondaient selon la contribuable à des missions d’assistance commerciale, technique et de gestion. L’administration a considéré ces charges comme non justifiées et a assorti les rehaussements d’une majoration de quarante pour cent pour manquement délibéré, notamment en raison du fait que les deux sociétés étaient dirigées par la même personne.
Saisi par la société, le tribunal administratif de Strasbourg a confirmé la position de l’administration. La contribuable a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant d’une part que les prestations facturées correspondaient à une contrepartie réelle et, d’autre part, que l’intention d’éluder l’impôt n’était pas établie. La question de droit qui se posait à la cour était double. Il s’agissait de déterminer si des frais forfaitaires facturés par une société liée pour des prestations de services non détaillées pouvaient être regardés comme une charge déductible du résultat imposable. Il s’agissait également de savoir si l’absence de justification de ces charges, couplée à une communauté de direction, suffisait à établir l’intention délibérée du contribuable d’éluder l’impôt.
La cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que la société ne rapporte pas la preuve de la réalité des prestations qui auraient été assurées à son profit, ni du fait que les versements litigieux auraient constitué une rémunération indirecte de son dirigeant. Par conséquent, elle estime que l’administration était fondée à réintégrer ces charges. La cour confirme également l’application de la pénalité pour manquement délibéré, considérant que le montant significatif des sommes et la communauté d’intérêts entre les deux sociétés suffisaient à établir l’intention de la société de majorer ses charges pour éluder l’impôt.
La solution retenue par la cour administrative d’appel illustre la rigueur avec laquelle le juge de l’impôt contrôle la réalité des prestations intragroupes, en s’appuyant sur une application stricte des règles de preuve (I). En outre, elle offre une interprétation large de la notion de manquement délibéré, déduisant l’élément intentionnel d’un faisceau d’indices objectifs (II).
I. La remise en cause de la déductibilité des prestations de services intragroupe
La décision de la cour administrative d’appel s’articule autour d’un rappel des règles de preuve applicables à la déduction des charges, qu’elle applique ensuite avec fermeté à la situation de l’espèce. Le raisonnement met en lumière le partage de la charge de la preuve entre le contribuable et l’administration (A), avant de conclure à l’insuffisance des éléments apportés par la société requérante pour justifier du bien-fondé de la dépense (B).
A. Le rappel des principes de la charge de la preuve en matière de déductibilité des charges
L’arrêt rappelle de manière pédagogique le mécanisme probatoire régissant la déduction des charges d’une entreprise. Il incombe en premier lieu au contribuable de justifier du principe et du montant des charges qu’il entend déduire, en produisant « tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirée ». Si cette obligation est remplie, la charge de la preuve est alors renversée et il appartient à l’administration, si elle entend contester la déduction, d’établir que la dépense est dépourvue de contrepartie ou qu’elle relève d’un acte anormal de gestion.
Le juge de l’impôt se positionne ainsi en arbitre des éléments fournis par chaque partie, ce que la cour souligne en précisant qu’il « doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l’administration ». Cette approche pragmatique empêche que la seule absence de réponse du contribuable à une demande d’information ne fonde automatiquement un rehaussement. L’administration doit, pour sa part, étayer sa contestation par des éléments concrets. La cour admet par ailleurs qu’une rémunération indirecte du dirigeant via une autre société n’est pas en soi un acte anormal de gestion, à condition toutefois que la société puisse démontrer qu’il s’agissait bien de l’intention de ses organes compétents.
B. L’insuffisance probatoire du contribuable face à la théorie de l’acte anormal de gestion
Appliquant ces principes aux faits de l’espèce, la cour constate que la société requérante a échoué à satisfaire à son obligation probatoire. Le libellé particulièrement général des factures, portant la seule mention de « forfait diverses prestations », et le caractère tout aussi imprécis du contrat commercial ne permettaient pas d’établir la matérialité des services rendus. La cour relève que la société « ne produit toutefois aucun élément permettant d’établir la matérialité, dans son principe et dans son montant, des prestations qui auraient été assurées à son profit ».
Face à l’argument subsidiaire selon lequel ces versements constitueraient une rémunération indirecte de son dirigeant, qui exerçait également cette fonction dans l’entité luxembourgeoise, la cour oppose une fin de non-recevoir. Elle conditionne la validité d’un tel montage à l’existence d’une décision formelle des organes sociaux compétents. Or, en l’absence d’un tel acte, la cour conclut que la société « ne produit toutefois aucune décision de ses organes sociaux compétents permettant de considérer qu’en versant des honoraires de 6 500 euros par mois à la société Eco NRJ Lux, elle aurait entendu rémunérer indirectement son dirigeant ». L’absence de justification de la contrepartie et l’échec à démontrer une intention de rémunérer le dirigeant conduisent logiquement la cour à valider la réintégration des charges opérée par le service.
II. La confirmation de la majoration pour manquement délibéré
Au-delà de la question de la déductibilité des charges, l’arrêt se prononce sur le bien-fondé de la pénalité pour manquement délibéré. La cour analyse la constitution de l’élément intentionnel de l’infraction (A) avant de livrer une appréciation qui conforte une conception extensive de l’intention d’éluder l’impôt (B).
A. La caractérisation de l’élément intentionnel du manquement
La cour rappelle qu’en vertu de l’article L. 195 A du livre des procédures fiscales, la preuve de la mauvaise foi du contribuable incombe à l’administration. Pour justifier l’application de la majoration de quarante pour cent prévue à l’article 1729 du code général des impôts, l’administration doit non seulement établir l’existence d’une inexactitude dans la déclaration, mais également l’intention délibérée du contribuable d’éluder l’impôt.
Dans le cas présent, la cour considère que cette preuve est rapportée. Elle se fonde sur un faisceau d’indices concordants. L’administration a d’abord mis en évidence l’incapacité de la société à justifier la nature et le montant des prestations facturées. Ensuite, elle a souligné le caractère significatif des sommes en jeu, qui s’élevaient à plusieurs dizaines de milliers d’euros par an. Enfin, et de manière déterminante, la cour retient « la communauté d’intérêts entre les deux sociétés dirigées par le même gérant ». La combinaison de ces éléments permet à la cour de conclure que « l’administration établit l’intention délibérée de la société d’éluder l’impôt en majorant ses charges ».
B. La portée de la décision : une conception extensive de l’intention d’éluder l’impôt
En validant ce raisonnement, la cour administrative d’appel adopte une approche objective de l’intention frauduleuse. L’intention n’est pas recherchée dans la psychologie du dirigeant, mais déduite d’un ensemble de faits matériels qui, pris dans leur globalité, rendent l’intention d’éluder l’impôt manifeste. Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui tend à considérer que l’intention délibérée peut résulter de la seule gravité des manquements commis, notamment lorsque ceux-ci sont commis par un professionnel averti.
L’arrêt est également remarquable par la manière dont il écarte les arguments avancés par la société pour contester sa mauvaise foi. La requérante faisait valoir que le contrat n’était pas fictif, que le résultat fiscal était demeuré bénéficiaire et que les salaires versés au gérant par la société luxembourgeoise avaient été imposés. Pour la cour, ces circonstances sont « sans incidence sur cette qualification ». Ce faisant, elle délivre un message clair : l’existence d’une structure juridique formellement légale ne saurait faire échec à la qualification de manquement délibéré lorsque l’opération dans son ensemble vise à créer des charges artificielles pour minorer le résultat imposable. La décision renforce ainsi la position de l’administration face à des montages optimisants dont la substance économique est fragile.