Cour d’appel administrative de Nancy, le 24 avril 2025, n°23NC00841

Par un arrêt du 24 avril 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a statué sur la légalité d’un refus ministériel d’autoriser le licenciement pour inaptitude d’une salariée protégée. Cette décision vient préciser l’étendue du contrôle de l’administration et les exigences probatoires relatives au lien entre l’inaptitude et l’exercice d’un mandat représentatif.

En l’espèce, une salariée, déléguée syndicale, a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail. L’employeur a sollicité l’autorisation administrative de la licencier pour ce motif. L’inspecteur du travail a accordé cette autorisation, mais sur recours hiérarchique de la salariée, la ministre du travail a annulé cette décision et refusé le licenciement. La ministre a estimé que l’inaptitude était la conséquence d’une dégradation de l’état de santé de l’intéressée, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l’employeur à l’exercice de ses fonctions représentatives. Saisi par l’employeur, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande d’annulation de cette décision ministérielle. L’employeur a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la ministre avait outrepassé sa compétence en recherchant la cause de l’inaptitude et qu’aucun lien n’était établi entre celle-ci et le mandat de la salariée. La question qui se posait à la cour était donc de savoir si la dégradation de la santé d’une salariée protégée, prétendument liée à une surcharge de travail découlant de l’organisation de ses absences syndicales, suffisait à caractériser un lien avec le mandat justifiant un refus d’autorisation de licenciement.

La cour administrative d’appel annule le jugement et la décision ministérielle. Elle juge que la ministre a commis une erreur d’appréciation en considérant que l’inaptitude de la salariée résultait d’obstacles mis par l’employeur à l’exercice de ses fonctions. Les juges du fond ont estimé que les éléments versés au dossier n’étaient pas suffisamment probants pour établir un lien de causalité direct entre les conditions de travail de la salariée et son mandat.

Cette solution réaffirme la portée du contrôle exercé par l’autorité administrative en matière de licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé (I), tout en soulignant l’importance d’une appréciation rigoureuse des faits pour établir le lien entre l’inaptitude et le mandat (II).

I. La portée réaffirmée du contrôle administratif

Le juge administratif rappelle d’abord le principe selon lequel le contrôle de l’administration sur la cause de l’inaptitude est limité (A), avant de préciser le cadre de l’exception tenant au lien avec le mandat représentatif (B).

A. Le principe d’un contrôle restreint de l’origine de l’inaptitude

La cour rappelle la règle générale applicable au contrôle d’une demande d’autorisation de licenciement pour inaptitude. En principe, il appartient à l’administration de s’assurer que l’inaptitude du salarié est réelle et justifie le licenciement, « sans rechercher la cause de cette inaptitude ». Cette règle vise à ne pas faire de l’autorité administrative un juge du contrat de travail ou un expert médical. Son rôle est de vérifier que la procédure de licenciement n’est pas une mesure discriminatoire déguisée. La protection exceptionnelle accordée aux salariés protégés vise à garantir leur indépendance dans l’exercice de leur mandat, et non à leur conférer une immunité contre les aléas de santé pouvant affecter tout travailleur.

L’administration doit donc s’en tenir à un examen de la matérialité de l’inaptitude constatée par le médecin du travail et des efforts de reclassement de l’employeur. En l’espèce, la société requérante soutenait que la ministre avait excédé sa compétence en fondant son refus sur l’origine de l’inaptitude de la salariée. Toutefois, la cour écarte implicitement ce moyen en se plaçant sur le terrain de l’exception à ce principe.

B. L’exception conditionnée du lien avec le mandat représentatif

La décision énonce clairement les limites du principe de non-recherche de la cause de l’inaptitude. Elle précise que « la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l’intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l’administration accorde l’autorisation sollicitée ». Le contrôle administratif peut donc s’étendre à l’origine de l’inaptitude si celle-ci est susceptible de révéler une discrimination liée au mandat.

La cour va plus loin en validant le critère spécifique appliqué par la ministre. Elle admet que « le fait que l’inaptitude du salarié résulte d’une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l’employeur à l’exercice de ses fonctions représentatives, est à cet égard au nombre des éléments de nature à révéler l’existence d’un tel rapport ». Ce faisant, elle confirme que des conditions de travail délétères, si elles sont la conséquence d’une entrave à l’activité syndicale, peuvent justifier un refus d’autorisation. La décision ne censure donc pas le raisonnement de la ministre dans son principe, mais bien dans son application aux faits de l’espèce.

II. L’appréciation rigoureuse du lien de causalité

La censure de la décision ministérielle repose entièrement sur une analyse factuelle détaillée, qui met en lumière l’insuffisance des preuves apportées pour établir le lien entre l’inaptitude et le mandat (A), consacrant ainsi une exigence probatoire stricte (B).

A. L’insuffisance des éléments de preuve caractérisant l’entrave au mandat

La cour procède à un examen minutieux des éléments sur lesquels la ministre s’est fondée et les écarte un par un. Elle constate que l’appréciation des mesures mises en place par l’employeur pour gérer les absences de la salariée « repose uniquement sur les déclarations de la salariée et ne sont corroborés par aucun élément ». De même, les témoignages produits sont jugés non « suffisamment probants », car ils émanent de l’intéressée elle-même ou d’une personne ayant quitté l’entreprise plusieurs années auparavant.

Les juges relèvent également qu’aucune pièce du dossier ne démontre une impossibilité pour la salariée de prendre ses heures de délégation, ni un lien médicalement établi entre la surcharge de travail alléguée et la dégradation de sa santé. Ils notent enfin des éléments factuels qui affaiblissent la thèse de la salariée, comme le fait qu’elle n’exerçait aucun mandat pendant une certaine période de stress professionnel et qu’elle avait développé une activité d’auto-entrepreneur. Cette analyse factuelle rigoureuse conduit la cour à conclure que le lien direct entre l’inaptitude et de prétendus obstacles à l’exercice du mandat n’est pas établi.

B. La consécration d’une exigence probatoire stricte

En cassant la décision ministérielle pour « erreur d’appréciation », la cour administrative d’appel fixe un standard de preuve élevé pour lier une inaptitude à l’exercice d’un mandat. Une simple allégation de surcharge de travail, même si elle est contemporaine de l’exercice de fonctions représentatives, ne suffit pas. Il est nécessaire de démontrer l’existence d’obstacles concrets, matériels et directs mis par l’employeur à l’exercice des fonctions syndicales, et de prouver que ces obstacles sont la cause directe de la dégradation de l’état de santé.

Cette décision a une portée pratique importante. Elle protège les employeurs contre des refus d’autorisation qui seraient fondés sur des présomptions ou des allégations insuffisamment étayées. Inversement, elle enjoint les salariés protégés et les autorités administratives qui les soutiennent à constituer un dossier solide, avec des preuves tangibles et concordantes, pour faire jouer la protection attachée à leur mandat dans le cadre d’un licenciement pour inaptitude. La décision rééquilibre ainsi l’application de la protection en la fondant sur une appréciation objective des faits plutôt que sur une suspicion de discrimination.

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