Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré en France en 2019 alors qu’il était mineur en compagnie de sa famille, a fait l’objet, après sa majorité, d’une première mesure d’éloignement en 2021. Après une nouvelle demande de titre de séjour classée sans suite, l’autorité préfectorale a édicté, le 14 novembre 2023, un second arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour et d’une assignation à résidence. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Nancy, lequel a annulé par un jugement du 23 novembre 2023 la seule décision d’interdiction de retour, rejetant le surplus de ses conclusions. L’intéressé a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la mesure d’éloignement portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il faisait valoir à ce titre sa résidence en France avec ses parents et sa fratrie, sa scolarisation en Brevet de technicien supérieur et l’existence d’un contrat d’apprentissage. L’autorité préfectorale opposait des faits délictueux, l’intéressé étant défavorablement connu des services de police pour des faits liés aux stupéfiants. La question posée à la cour était donc de savoir si une mesure d’éloignement, prise à l’encontre d’un jeune majeur justifiant d’une réelle intégration sociale et familiale, pouvait être considérée comme proportionnée au regard de l’existence de faits répréhensibles de nature à troubler l’ordre public. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant la légalité de l’obligation de quitter le territoire. Elle a estimé que, malgré les éléments d’intégration, les faits délictueux reprochés à l’intéressé justifiaient la mesure, qui ne portait dès lors pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale et n’était pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
La décision de la cour administrative d’appel confirme la validité de la mesure d’éloignement en s’appuyant sur une motivation jugée régulière (I), tout en faisant prévaloir les impératifs d’ordre public sur les efforts d’intégration personnelle de l’étranger (II).
I. La validation d’une mesure d’éloignement formellement justifiée
La cour écarte d’abord les moyens de légalité externe et de procédure soulevés par le requérant, en confirmant la solidité des fondements juridiques de l’arrêté préfectoral (A) et en rejetant les allégations relatives à une insuffisante prise en compte de sa situation (B).
A. La confirmation des bases légales de l’obligation de quitter le territoire
La cour administrative d’appel valide le raisonnement de l’autorité préfectorale qui s’est fondée sur le 1° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Elle relève que le requérant, entré sur le territoire au moyen d’un visa Schengen, « ne produit aucun élément permettant de combattre ce motif tiré de l’entrée irrégulière sur le territoire français ». La cour ajoute que l’étranger s’est de surcroît maintenu sur le territoire après l’expiration de son visa. Le juge administratif opère ainsi un contrôle de la matérialité des faits et de la qualification juridique retenue par l’administration. De manière notable, la cour neutralise également le moyen tiré de l’absence de menace à l’ordre public. Elle considère que, même à supposer cette menace non caractérisée, « la préfète de Meurthe-et-Moselle aurait pris la même mesure d’éloignement en se fondant uniquement sur les 1° et 2° de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Cette substitution de base légale permet de purger la décision d’un éventuel vice tout en confirmant sa conclusion, démontrant une volonté de stabiliser les situations juridiques lorsque plusieurs fondements peuvent justifier une même mesure.
B. Le rejet des vices de forme et de procédure
Le requérant soutenait que la décision était entachée d’un défaut de motivation et d’un défaut d’examen de sa situation personnelle. La cour rejette ces deux arguments de manière concise. Sur la motivation, elle estime que la décision litigieuse « comporte l’ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ». Elle précise que l’autorité préfectorale a bien mentionné la situation familiale et les études du requérant. Sur le défaut d’examen, le juge affirme qu’il « ressort des motifs de l’arrêté litigieux que la préfète de Meurthe-et-Moselle ne s’est pas refusée à procéder à l’examen particulier de la situation personnelle du requérant ». Cette approche pragmatique montre que le contrôle du juge se concentre sur la présence, dans l’acte, des éléments attestant de cet examen, sans exiger une analyse exhaustive de chaque détail fourni par l’administré. La simple mention des principaux aspects de la situation personnelle suffit à satisfaire aux exigences légales, pourvu qu’elle ne révèle pas une approche stéréotypée.
Après avoir ainsi écarté les critiques formelles, la cour s’est attachée au cœur du litige, à savoir la mise en balance des intérêts en présence, qui a conduit à faire primer l’ordre public sur l’intégration.
II. La prévalence de l’ordre public sur les critères d’intégration
La cour procède à une analyse approfondie de la situation personnelle de l’étranger, mais conclut que ses agissements délictueux font obstacle à son maintien sur le territoire (B), relativisant ainsi la portée de ses liens personnels et familiaux (A).
A. Une appréciation restrictive du droit au séjour au titre de la vie privée et familiale
Le requérant invoquait le bénéfice des dispositions de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permettent la délivrance d’un titre de séjour en cas de liens personnels et familiaux intenses. La cour reconnaît l’existence de plusieurs éléments d’intégration significatifs. Elle note que l’intéressé résidait en France depuis quatre ans, avec ses parents et sa fratrie, qu’il était scolarisé en BTS et titulaire d’un contrat d’apprentissage ainsi que d’un contrat d’engagement en service civique. Ces éléments témoignent d’une réelle insertion dans la société française. Cependant, le juge estime que l’étranger « ne devait se voir délivrer de plein droit le titre de séjour prévu par les dispositions de l’article L. 423-23 ». Cette conclusion s’explique par la prise en compte d’autres facteurs, en l’occurrence son comportement. La décision illustre que l’appréciation des liens personnels et familiaux n’est pas absolue et qu’elle s’inscrit dans une évaluation globale de la situation de l’étranger, où les aspects négatifs peuvent neutraliser les efforts d’intégration les plus manifestes.
B. Le poids déterminant du comportement délictueux dans le contrôle de proportionnalité
C’est sur le terrain de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que la décision trouve son point d’équilibre. La cour effectue une balance entre le droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale et les objectifs légitimes poursuivis par l’État, notamment la défense de l’ordre public et la prévention des infractions pénales. Elle relève que l’étranger est « défavorablement connu des services de police, ses empreintes ayant été enregistrées en lien avec des faits de transport, usage et acquisition non autorisés de stupéfiants », et qu’il a été placé en garde à vue pour des faits de même nature. Pour le juge, ces éléments sont décisifs. Il en déduit que la décision d’éloignement ne porte pas une « atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ». Cet arrêt confirme une jurisprudence constante selon laquelle la commission d’infractions pénales, même sans condamnation définitive, constitue un élément majeur dans l’appréciation de la proportionnalité d’une mesure d’éloignement. Elle démontre que la solidité des liens privés et familiaux peut être rendue inopérante par un comportement jugé incompatible avec les exigences de l’ordre public.