La Cour administrative d’appel de Nancy, dans son arrêt du 24 avril 2025, se prononce sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire. Un ressortissant étranger, entré régulièrement en France en 2012 pour regroupement familial, a vu son titre de séjour expirer en novembre 2022. L’intéressé a fait l’objet d’une incarcération suite à plusieurs condamnations pénales pour des délits routiers et de mœurs. L’autorité préfectorale a ordonné son éloignement sans délai et assorti cette décision d’une interdiction de retour sur le territoire de trois ans. Le Tribunal administratif de Strasbourg a d’abord rejeté la demande d’annulation de cet arrêté par un jugement rendu le 15 novembre 2023. Le requérant invoque devant le juge d’appel l’incompétence du signataire, la méconnaissance du droit d’être entendu et l’atteinte à sa vie privée. La juridiction doit déterminer si la durée de résidence requise pour la protection contre l’éloignement inclut les périodes passées en détention. Elle doit également apprécier si la menace à l’ordre public justifie l’atteinte portée aux liens familiaux établis sur le sol national français. La Cour confirme le jugement de première instance en précisant les conditions d’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
I. La délimitation rigoureuse des garanties procédurales et temporelles de l’étranger
A. L’inapplicabilité de l’article 41 de la Charte aux autorités nationales
Le juge administratif rappelle que l’article 41 de la Charte ne s’adresse qu’aux institutions, organes et organismes de l’Union européenne uniquement. Le requérant ne peut donc pas utilement se prévaloir de ce texte pour contester une décision prise par une autorité administrative nationale. La Cour précise toutefois que le droit d’être entendu constitue un principe général du droit de l’Union s’appliquant aux États membres. Ce principe impose à l’administration de mettre l’étranger à même de présenter ses observations avant l’adoption d’une mesure d’éloignement à son encontre. L’autorité préfectorale avait informé l’intéressé par un formulaire notifié en maison d’arrêt, l’invitant à s’exprimer sous quarante-huit heures. L’arrêt souligne que le destinataire a « refusé de signer ce formulaire » et n’a produit aucune observation dans le délai imparti par les services. La Cour estime que la procédure suivie respecte pleinement les droits de la défense garantis par le droit de l’Union européenne.
B. L’exclusion des périodes d’incarcération dans le calcul de la résidence régulière
L’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers protège ceux résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans. Le requérant prétendait bénéficier de cette garantie spécifique en raison de son arrivée sur le territoire national dès le mois de novembre 2012. La Cour relève pourtant que l’intéressé a passé « onze mois et vingt jours en détention au titre de peines privatives de libertés ». Les magistrats considèrent que ces périodes d’écrou ne peuvent pas s’imputer dans le calcul de la durée de résidence régulière en France. Cette position jurisprudentielle stricte empêche le comptage d’un séjour effectif lorsque celui-ci est interrompu par une mesure de privation de liberté. En soustrayant le temps d’incarcération, le seuil des dix années de présence n’est pas atteint à la date de l’arrêté contesté. La protection contre l’obligation de quitter le territoire français est ainsi légalement écartée par les juges de la Cour administrative d’appel.
II. La conciliation entre le droit au respect de la vie privée et les impératifs de l’ordre public
A. Une insertion sociale et professionnelle jugée insuffisante au regard de la menace
Le droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne, nécessite un examen de l’insertion. Le requérant vit chez ses parents mais ne démontre pas l’intensité particulière de ses liens affectifs ou personnels sur le territoire. L’arrêt met en évidence une intégration professionnelle fragile, caractérisée par une succession de contrats courts et des périodes d’emploi à temps partiel. La Cour administrative d’appel de Nancy note que la « discontinuité des périodes travaillées » ne permet pas de caractériser une insertion stable. Parallèlement, le comportement de l’individu est marqué par une réitération de délits routiers graves commis sous l’empire d’un état alcoolique. La diffusion de documents à caractère sexuel sans consentement vient alourdir l’appréciation portée sur la moralité et la dangerosité sociale de l’intéressé. Ces éléments constituent une menace caractérisée pour l’ordre public justifiant l’ingérence de l’autorité publique dans la sphère privée de ce ressortissant.
B. La validation d’une interdiction de retour proportionnée à la gravité des faits
L’interdiction de retour sur le territoire français pendant trois ans complète la mesure d’éloignement en raison de l’absence de départ volontaire accordé. Le requérant invoque des circonstances humanitaires mais n’apporte aucune preuve tangible pour justifier une exception à l’application de cette mesure de sûreté. La Cour valide la durée de cette interdiction en tenant compte de la menace persistante que représente la présence de l’étranger en France. Elle écarte le moyen tiré de l’insuffisance de motivation car celui-ci repose sur une cause juridique distincte non soulevée dans le délai initial. L’arrêt précise que ce moyen de légalité externe est irrecevable en appel puisqu’il ne présente pas le caractère d’un moyen d’ordre public. La solution retenue confirme la primauté des impératifs de sécurité publique sur les attaches familiales lorsque ces dernières demeurent peu étayées. La requête d’appel est donc rejetée dans l’intégralité de ses conclusions par la Cour administrative d’appel de Nancy le 24 avril 2025.