Cour d’appel administrative de Nancy, le 24 avril 2025, n°24NC00775

Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a été amenée à se prononcer sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour au regard des liens privés et familiaux d’un étranger et des possibilités d’une admission exceptionnelle au séjour. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré sur le territoire national en 2015, a vu sa demande d’asile rejetée. Après plusieurs refus de titre de séjour et obligations de quitter le territoire français, il a sollicité en 2022 son admission au séjour en raison de ses attaches en France. Cette demande a été rejetée par l’autorité préfectorale par un arrêté du 26 mai 2023, lui enjoignant de quitter le territoire. Le requérant a saisi le tribunal administratif de Strasbourg, qui a rejeté sa demande par un jugement du 31 janvier 2024. Il a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour méconnaissait son droit au respect de sa vie privée et familiale, et qu’il était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation quant à sa situation personnelle. La question de droit qui se posait à la cour était de savoir si l’intégration sociale d’un étranger, marquée par une longue présence sur le territoire et un investissement bénévole, suffisait à constituer une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale justifiant l’annulation d’un refus de séjour, ou à caractériser un motif exceptionnel d’admission au séjour. La cour administrative d’appel y répond par la négative, estimant que les éléments d’intégration ne sauraient prévaloir sur la persistance d’attaches familiales dans le pays d’origine et sur la circonstance que la présence de l’intéressé en France résultait de son opposition à des mesures d’éloignement antérieures. La décision de la cour illustre la méthode du juge administratif dans son contrôle des refus de séjour, en examinant d’une part l’application classique de la balance des intérêts propre à la vie privée et familiale (I), et d’autre part le cadre plus strict de l’admission exceptionnelle au séjour (II).

I. Le contrôle classique de l’atteinte à la vie privée et familiale

La cour administrative d’appel procède à un examen concret de la situation du requérant, prenant en considération les éléments positifs de son intégration (A) avant de conclure à leur caractère insuffisant au regard des autres composantes de sa situation personnelle (B).

A. La prise en compte des efforts d’intégration de l’étranger

Le juge administratif ne néglige pas les démarches accomplies par le requérant pour s’insérer dans la société française. L’arrêt relève ainsi que l’intéressé « justifie avoir pris de nombreux cours d’apprentissage du français d’octobre 2015 à juin 2021 » et « démontre également être licencié dans une équipe de handi-basket et s’investir depuis 2015 dans l’association Strasbourg handisport passion aventure ». Cette énumération factuelle démontre que l’analyse du juge ne se limite pas à la seule situation administrative du requérant, mais s’étend à son parcours personnel et social sur le territoire. En tenant compte de la durée de sa présence et de son implication dans la vie associative locale, la cour applique la méthode d’examen global des situations individuelles, requise tant par les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que par la jurisprudence relative à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette approche circonstanciée est une étape nécessaire du raisonnement, car elle seule permet d’évaluer la proportionnalité de l’ingérence que constitue un refus de séjour dans le droit au respect de la vie privée et familiale.

B. La prévalence des liens dans le pays d’origine et de la précarité du séjour

Malgré la reconnaissance de ces éléments d’intégration, la cour refuse de leur conférer un poids décisif. Elle oppose deux arguments principaux pour écarter l’existence d’une atteinte disproportionnée. D’une part, elle souligne que l’étranger « ne soutient pas ne plus avoir d’attaches familiales au Nigeria où vivent son épouse, ses deux enfants et ses frères et sœurs ». Ce faisant, le juge rappelle que l’appréciation de la vie privée et familiale doit prendre en compte les liens de l’étranger dans leur globalité, y compris ceux conservés avec son pays d’origine. La solidité des attaches familiales hors de France constitue un facteur déterminant qui vient contrebalancer l’intensité des liens tissés sur le territoire national. D’autre part, la cour opère une appréciation critique de la durée du séjour en précisant que celle-ci « résulte, au demeurant, de son refus de déférer aux multiples mesures d’éloignement qui lui ont été signifiées ». Cette considération est classique dans le contentieux du droit des étrangers ; elle signifie que la présence prolongée sur le territoire, lorsqu’elle est la conséquence d’une situation d’irrégularité maintenue, ne peut constituer un élément créateur de droits à part entière.

II. Le rejet d’une régularisation par la voie de l’admission exceptionnelle

Au-delà du terrain de la vie privée et familiale, le requérant tentait d’obtenir son admission au séjour par des dispositions dérogatoires. La cour rejette cette argumentation en appliquant strictement les conditions textuelles posées par la loi (A) et en exerçant un contrôle restreint sur l’opportunité de la décision administrative (B).

A. L’application littérale de la condition de durée pour l’intégration par l’activité solidaire

Le requérant invoquait son investissement au sein de la communauté Emmaüs pour fonder sa demande sur les dispositions de l’article L. 435-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce texte permet une régularisation pour les étrangers accueillis dans certains organismes et justifiant de trois années d’activité ininterrompue. Le raisonnement de la cour est ici purement mathématique et textuel. Elle constate que si l’intéressé a bien été accueilli dans un tel organisme à compter du 15 décembre 2020, « il ne comptabilisait pas trois années d’activité dans la communauté Emmaüs à la date de la décision contestée » du 26 mai 2023. Cette approche témoigne d’une interprétation stricte des conditions posées par le législateur pour l’accès à ce mode de régularisation spécifique. Le juge administratif se refuse à toute souplesse dans l’appréciation de cette condition de durée, qui revêt un caractère objectif et non sujet à interprétation. La solution est logique, car admettre le contraire reviendrait à priver de sa substance une condition précisément définie par la loi.

B. Le contrôle restreint sur les motifs humanitaires et exceptionnels

Enfin, la cour examine l’argumentation fondée sur l’article L. 435-1 du même code, qui ouvre la possibilité d’une admission au séjour pour des « considérations humanitaires » ou des « motifs exceptionnels ». Sur ce terrain, le pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale est particulièrement large. Le contrôle du juge se limite par conséquent à celui de l’erreur manifeste d’appréciation. La cour, après avoir rappelé l’ensemble des éléments de la situation personnelle du requérant, y compris son bénévolat et le fait que « son comportement et sa personnalité sont très appréciés », conclut que ces circonstances ne suffisent pas. Elle juge que l’intéressé « ne justifie ni de considérations humanitaires particulières, ni de motifs exceptionnels justifiant la délivrance d’un titre de séjour ». En statuant ainsi, la cour confirme que la barre pour une admission exceptionnelle au séjour est élevée et que de simples éléments d’intégration, même louables, n’entrent pas nécessairement dans ce cadre. Elle se garde de substituer sa propre appréciation à celle de l’administration, se bornant à vérifier que cette dernière n’a pas commis une erreur d’une gravité telle qu’elle serait assimilable à une illégalité.

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Hassan KOHEN
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