Cour d’appel administrative de Nancy, le 24 avril 2025, n°24NC00796

Par un arrêt en date du 24 avril 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à un couple de ressortissants étrangers, assorti d’une obligation de quitter le territoire français.

En l’espèce, un couple de nationalité géorgienne, entré régulièrement en France le 21 février 2017, a vu ses demandes d’asile successivement rejetées par les autorités compétentes. Suite à ces rejets, ils ont sollicité leur admission au séjour au titre de la vie privée et familiale le 2 mai 2022, se prévalant notamment de leur présence continue sur le territoire et de la scolarisation de leur enfant mineur. Le 22 mars 2023, la préfète du Bas-Rhin a rejeté leurs demandes par deux arrêtés distincts, leur a enjoint de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Les intéressés ont alors saisi le tribunal administratif de Strasbourg, qui a rejeté leurs recours par un jugement du 29 janvier 2024. C’est dans ce contexte que le couple a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Nancy, arguant principalement d’une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale et d’une méconnaissance de l’intérêt supérieur de leur enfant.

Le problème de droit soulevé par cette affaire consistait à déterminer si le refus d’autoriser le séjour d’un couple d’étrangers, dont la présence sur le territoire s’est prolongée du fait de procédures de demande d’asile infructueuses et qui élèvent un enfant scolarisé, porte une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale, garanti notamment par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La cour administrative d’appel a répondu par la négative, jugeant que les décisions préfectorales n’étaient pas entachées d’illégalité. Elle a estimé que, dans les circonstances de l’espèce, le refus de séjour ne méconnaissait ni les stipulations conventionnelles invoquées, ni l’intérêt supérieur de l’enfant, et ne procédait pas d’une erreur manifeste d’appréciation. En conséquence, la cour a rejeté les requêtes du couple.

La solution retenue par les juges d’appel s’inscrit dans une appréciation rigoureuse des conditions d’intégration, où la précarité du séjour constitue un élément déterminant (I). Cette décision réaffirme ainsi la marge d’appréciation de l’autorité administrative dans la mise en balance des intérêts en présence, sous le contrôle restreint du juge (II).

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I. L’appréciation rigoureuse de l’intégration conditionnant le droit au séjour

La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse stricte des liens personnels et familiaux des requérants en France. Elle met en exergue la nature précaire de leur résidence comme un facteur fragilisant leur prétention à un droit au séjour (A), tout en considérant que l’intérêt de l’enfant ne fait pas obstacle à un retour dans le pays d’origine (B).

A. La précarité du séjour, obstacle à la reconnaissance de liens suffisants

Le juge administratif rappelle une ligne jurisprudentielle constante en matière de droit des étrangers : l’ancienneté de la présence sur le territoire ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une intégration réussie. La cour prend soin de souligner que « Les requérants ne se sont maintenus sur le territoire que pour les besoins de l’instruction de leurs demandes d’asile et, celles-ci une fois rejetées, au mépris de plusieurs mesures d’éloignement ». Ce faisant, elle distingue la présence subie, liée aux aléas des procédures administratives et contentieuses, d’une volonté délibérée de s’établir durablement en France. La durée du séjour perd ainsi de sa force probante lorsqu’elle est principalement la conséquence de démarches qui n’ont pas abouti et du non-respect de décisions d’éloignement antérieures. L’intégration, telle qu’évaluée par la juridiction, requiert des éléments plus probants qu’une simple présence matérielle, même prolongée. La cour constate que les requérants ne peuvent faire valoir « aucune intégration significative dans la société française hormis la scolarisation de leur enfant mineur ». Cette approche met en lumière l’exigence d’une insertion sociale et professionnelle effective, qui fait ici défaut et affaiblit considérablement la portée des liens tissés en France.

B. L’intérêt supérieur de l’enfant apprécié au regard de l’unité familiale

Face à l’argument tiré de l’intérêt supérieur de l’enfant, garanti par l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, la cour procède à une appréciation concrète de la situation. Elle ne nie pas l’importance de la scolarisation de l’enfant, mais la replace dans le contexte global de la cellule familiale. Pour le juge, l’intérêt primordial de l’enfant est de ne pas être séparé de ses parents, une condition qui demeure respectée en cas de retour de la famille en Géorgie. La décision énonce clairement qu’« Il n’existe aucun obstacle à ce que ce dernier, qui ne sera pas séparé de ses parents, poursuive sa scolarité et sa vie familiale en Géorgie ». Cette motivation montre que le droit de l’enfant à une vie familiale stable n’implique pas nécessairement un droit au maintien de toute la famille sur le territoire français. De plus, la cour examine les préoccupations relatives à l’état de santé de l’enfant et conclut qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier, notamment pas des certificats médicaux produits, que l’état de santé de l’enfant […] ne pourrait pas faire l’objet d’un suivi adapté dans ce pays ». En écartant cet argument, le juge confirme que seule une impossibilité avérée d’accès aux soins dans le pays d’origine serait susceptible d’influencer la décision. L’intérêt de l’enfant est ainsi apprécié non de manière abstraite, mais au travers du prisme de la capacité de la famille à se reconstituer et à poursuivre son existence dans son pays d’origine.

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II. La confirmation de la marge d’appréciation de l’administration sous un contrôle juridictionnel restreint

En validant les arrêtés préfectoraux, la cour administrative d’appel réaffirme le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de police des étrangers. Elle exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation qui constitue un garde-fou contre l’arbitraire (A), tout en consacrant la primauté des objectifs de maîtrise des flux migratoires sur la situation personnelle des requérants (B).

A. Le contrôle de l’erreur manifeste comme limite au pouvoir discrétionnaire

Les requérants soutenaient que les décisions attaquées étaient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation. Ce moyen invite le juge à vérifier si l’administration, en procédant à la balance entre le droit au respect de la vie privée et familiale et les motifs du refus, n’a pas commis une erreur d’une gravité telle qu’elle rend sa décision illégale. En l’espèce, la cour estime que la situation des intéressés ne révèle pas une telle erreur. Elle juge que « les refus de séjour litigieux ne méconnaissent pas les normes ci-dessus reproduites et ne paraissent pas reposer sur une appréciation manifestement erronée de leur situation personnelle et familiale ». Ce faisant, le juge ne substitue pas sa propre appréciation à celle de la préfète, mais vérifie simplement que celle-ci n’est pas manifestement disproportionnée ou fondée sur des faits matériellement inexacts. Le contrôle restreint opéré par la cour démontre que, dès lors que l’administration s’appuie sur des éléments pertinents comme la précarité du séjour et la faiblesse de l’intégration, sa décision est à l’abri de la censure, même si une autre solution aurait pu être envisageable. L’inapplicabilité d’une circulaire, en l’occurrence celle du 28 novembre 2012, est également rappelée pour souligner qu’elle ne peut fonder légalement une attente légitime.

B. La prévalence des objectifs de maîtrise des flux migratoires

Au-delà des aspects techniques, cette décision illustre la tension inhérente entre les droits individuels des étrangers et les prérogatives de l’État en matière de contrôle de l’immigration. En validant le refus de séjour, la cour entérine une conception où l’intérêt public, qui inclut la maîtrise des flux migratoires et l’exécution des décisions de justice relatives à l’asile, l’emporte sur la situation personnelle d’étrangers dont le projet d’installation en France n’a jamais été validé par les autorités. L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales autorise une ingérence de l’autorité publique si elle est prévue par la loi et nécessaire, dans une société démocratique, notamment à la défense de l’ordre. La décision de la cour s’inscrit pleinement dans ce cadre. Elle considère que l’atteinte portée à la vie privée et familiale des requérants n’est pas disproportionnée au regard des buts légitimes poursuivis par la préfète. L’arrêt confirme ainsi une approche pragmatique et rigoureuse, où la stabilité du séjour et la solidité de l’intégration demeurent les critères essentiels pour que le droit au respect de la vie privée et familiale puisse faire échec à une mesure d’éloignement.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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