Cour d’appel administrative de Nancy, le 24 juin 2025, n°23NC03433

Par un arrêt en date du 24 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy a statué sur la légalité d’une décision préfectorale obligeant un ressortissant étranger à quitter le territoire français sans délai. Un individu de nationalité ivoirienne, entré en France en 2015, s’est vu notifier par le préfet des Ardennes un arrêté en date du 12 octobre 2023. Cet acte administratif portait obligation de quitter le territoire français sans délai, fixait le pays de destination et était assorti d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d’une demande d’annulation de cet arrêté. Par une ordonnance du 22 novembre 2023, le président de cette juridiction a rejeté sa requête comme étant manifestement irrecevable pour tardiveté, au motif que le délai de recours de quarante-huit heures était expiré. Le requérant a interjeté appel de cette ordonnance, soutenant d’une part que sa demande était recevable, et d’autre part que l’arrêté préfectoral était illégal. Il faisait valoir une motivation insuffisante, la méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et une erreur manifeste d’appréciation. La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si la notification d’une obligation de quitter le territoire sans délai par pli recommandé avec accusé de réception faisait courir le délai de recours spécial de quarante-huit heures. Il convenait ensuite, en cas de réponse négative, de se prononcer sur le bien-fondé des moyens soulevés contre la décision préfectorale. La cour administrative d’appel annule l’ordonnance du premier juge, considérant que la notification par voie postale « fait obstacle à ce que cette notification (…) fasse courir le délai de quarante-huit heures ». Évoquant l’affaire, elle rejette cependant au fond la demande de l’intéressé, jugeant que la décision contestée ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Cette décision illustre d’abord une conception stricte des modalités de déclenchement des délais de recours spéciaux, garantissant les droits de la défense (I), avant de procéder à une appréciation classique de la situation personnelle de l’étranger au regard de son droit au séjour (II).

I. La censure de l’irrecevabilité soulevée par le premier juge : une application rigoureuse des règles de notification

La cour administrative d’appel annule l’ordonnance de première instance en rappelant fermement le régime spécifique du point de départ du délai de recours contentieux (A), ce qui la conduit à écarter la validité d’une notification effectuée par voie postale pour une telle procédure (B).

A. Le rappel du point de départ du délai de recours spécial de quarante-huit heures

Le contentieux des obligations de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire est encadré par des délais particulièrement brefs. L’article L. 614-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que le tribunal administratif peut être saisi dans un délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure. Ces dispositions dérogatoires au droit commun du contentieux administratif s’expliquent par la nécessité de statuer rapidement sur la situation d’étrangers susceptibles d’être éloignés de manière imminente.

La rigueur de ce délai impose en contrepartie une application stricte des règles relatives à sa computation. Le point de départ de ce délai constitue un enjeu essentiel pour garantir l’effectivité du droit au recours. Le juge de première instance avait estimé que le délai commençait à courir dès la notification de la mesure, que celle-ci soit effectuée « par voie postale ou par voie administrative ». La cour administrative d’appel adopte une position contraire en se fondant sur une lecture précise des textes applicables, notamment de l’article R. 776-2 du code de justice administrative.

B. L’exclusion de la notification par voie postale pour faire courir le délai de recours

La cour juge que le premier juge a commis une erreur de droit. Elle énonce clairement que la notification de l’arrêté par « un pli recommandé avec accusé de réception le 3 novembre 2023 » ne pouvait déclencher le délai de recours de quarante-huit heures. Le II de l’article R. 776-2 du code de justice administrative vise en effet explicitement la « notification par voie administrative » comme seul mode de notification apte à faire courir ce délai spécial.

En l’espèce, la notification par voie postale, bien qu’attestant de la réception de l’acte par son destinataire, ne revêt pas le caractère d’une notification par voie administrative, laquelle implique généralement une remise en main propre par un agent de l’autorité publique. La solution retenue est protectrice des droits du justiciable. Elle garantit que l’étranger, souvent dans une situation de précarité, dispose d’une information certaine et sans équivoque sur le point de départ d’un délai dont la brièveté rend l’exercice de son droit au recours particulièrement délicat. Par conséquent, la cour juge que le requérant « est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ».

II. Le rejet au fond de la requête par l’effet dévolutif de l’appel : une appréciation classique de la situation personnelle de l’étranger

Ayant annulé l’ordonnance, la cour évoque l’affaire et statue immédiatement sur la demande. Elle procède à un contrôle de la légalité de l’arrêté préfectoral, mais juge que les liens privés et familiaux invoqués par le requérant sont insuffisants (A), ce qui justifie tant l’obligation de quitter le territoire que l’interdiction de retour qui l’accompagne (B).

A. L’insuffisance des liens privés et familiaux au regard des exigences de l’article 8 de la Convention européenne

Le requérant invoquait une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il mettait en avant sa présence en France depuis huit ans, l’obtention d’un diplôme professionnel et son intégration sociale. La cour examine ces éléments mais les met en balance avec d’autres circonstances. Elle relève que l’intéressé est célibataire, sans charge de famille, et qu’il a déjà fait l’objet d’une précédente mesure d’éloignement en 2022.

Le juge administratif opère ici un contrôle de proportionnalité concret. Il estime que les éléments avancés par le requérant « ne suffisent pas à considérer que la décision attaquée aurait porté une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale disproportionnée au regard des buts dans lesquels a été prise la décision ». La cour considère que l’étranger n’établit pas l’existence de liens d’une intensité telle qu’ils feraient obstacle à son éloignement, et qu’il n’est pas démontré qu’il ne pourrait poursuivre sa vie personnelle dans son pays d’origine. Cette approche pragmatique s’inscrit dans une jurisprudence constante qui exige des liens particulièrement forts pour faire échec à une mesure d’éloignement.

B. La justification de l’interdiction de retour par le comportement antérieur de l’intéressé

L’arrêté préfectoral était assorti d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée d’un an. Pour apprécier la légalité de cette mesure, la cour se fonde sur les critères définis à l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui incluent notamment la durée de présence en France et la circonstance que l’étranger a déjà fait l’objet d’une mesure d’éloignement.

La cour justifie l’interdiction de retour en relevant que l’intéressé a « méconnu une première obligation de quitter le territoire français dont il a fait préalablement l’objet ». Cet élément est déterminant dans son raisonnement. Le non-respect d’une précédente mesure administrative démontre, aux yeux du juge, une volonté de se soustraire aux lois de la République, ce qui légitime une mesure complémentaire visant à prévenir un nouveau séjour irrégulier. La durée d’un an est considérée comme n’étant pas disproportionnée. La solution confirme que le comportement de l’étranger et son respect des décisions administratives antérieures constituent un critère essentiel dans l’appréciation de la proportionnalité des mesures d’éloignement.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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