La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu, le 25 février 2025, un arrêt relatif au régime indemnitaire des techniciens territoriaux. Un agent contestait le refus d’une administration communale de lui verser rétroactivement diverses primes et indemnités prévues par une délibération locale. L’intéressé avait sollicité le paiement de la prime de service et de rendement ainsi que de l’indemnité spécifique de service depuis son embauche. Sa demande de versement ayant fait l’objet d’un rejet implicite, il a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’un recours indemnitaire. Par un jugement du 18 novembre 2021, les premiers juges ont partiellement fait droit à ses prétentions concernant l’indemnité spécifique de service. Le requérant a toutefois interjeté appel de cette décision en ce qu’elle écartait ses conclusions relatives à la prime de service et de rendement. La juridiction d’appel devait alors trancher la question de la légalité de l’absence de modulation individuelle des montants versés au fonctionnaire. La Cour a annulé le jugement attaqué en considérant que l’administration n’avait pas procédé à l’évaluation annuelle requise par les textes applicables.
I. La délimitation du droit à la perception du régime indemnitaire
L’arrêt rendu par la juridiction d’appel apporte des précisions sur le cadre temporel et les principes directeurs de l’attribution des primes.
A. L’opposabilité de la prescription quadriennale aux créances salariales
L’administration a opposé avec succès le délai de prescription aux demandes de l’agent pour les années antérieures au 1er janvier 2014. Le juge rappelle que le fait générateur de la créance réside exclusivement dans les services accomplis par l’intéressé durant sa carrière. En vertu de la loi du 31 décembre 1968, les créances sont prescrites dans un délai de quatre ans suivant l’acquisition des droits. L’arrêt précise que « la prescription est acquise au début de la cinquième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés ». L’agent ne pouvait utilement prétendre avoir ignoré l’existence de sa créance avant l’intervention d’un premier jugement favorable sur ce sujet. Cette application rigoureuse sécurise les finances de la collectivité tout en limitant la portée de l’action en répétition de l’indemnité.
B. L’obligation d’individualisation des taux de primes par l’autorité territoriale
Le principe de parité avec la fonction publique d’Etat impose une fixation du régime indemnitaire par l’organe délibérant de la collectivité. Il incombe toutefois à l’autorité de nomination de déterminer le taux individuel applicable à chaque fonctionnaire selon sa valeur professionnelle. La Cour souligne que « le montant de la prime de service et de rendement (…) doit ainsi être individualisé » par le maire. Cette exigence interdit formellement à l’autorité territoriale de fixer un taux unique ou identique pour l’ensemble des agents sans examen particulier. Le juge administratif veille ainsi au respect de la compétence liée de l’autorité administrative dans la phase de modulation individuelle des primes. Le respect de cette procédure garantit que le régime indemnitaire traduit fidèlement l’engagement professionnel et la manière de servir de chaque agent.
II. La sanction de l’absence d’évaluation annuelle et individuelle de l’agent
La Cour administrative d’appel de Nancy censure la pratique consistant à maintenir des montants fixes sans procéder à une évaluation effective.
A. La présomption d’absence de détermination personnalisée du taux de prime
L’examen des bulletins de salaire a révélé que les montants versés n’avaient connu aucune variation sur une période de trois années. La collectivité n’a pas été en mesure de justifier la tenue d’entretiens annuels d’évaluation pour apprécier la valeur individuelle de l’intéressé. L’absence de changement dans les sommes perçues laisse présumer un automatisme incompatible avec les règles de gestion de la fonction publique. Le juge estime qu’elle « ne peut être regardée comme ayant procédé annuellement (…) à la détermination d’un taux de prime personnalisé ». Cette carence administrative entache d’illégalité la décision de refus dès lors que la manière de servir n’a pas été concrètement examinée. La preuve de l’individualisation incombe à la personne publique qui doit démontrer la réalité de l’évaluation professionnelle pour chaque période considérée.
B. L’injonction de réexamen de la situation au regard de la manière de servir
L’annulation de la décision de refus entraîne l’obligation pour la commune de reprendre l’instruction du dossier de l’agent pour la période. Le juge ordonne ainsi à l’administration de « procéder au réexamen de la situation personnelle » de l’agent pour les années restant en litige. Cette nouvelle instruction doit permettre de fixer la modulation individuelle de la prime en fonction de la valeur professionnelle réellement démontrée. L’autorité territoriale devra verser les sommes éventuellement dues, augmentées des intérêts au taux légal calculés depuis la réception de la demande. La décision restaure ainsi le droit de l’agent à une évaluation juste tout en préservant le pouvoir discrétionnaire de l’administration. L’arrêt souligne l’importance d’une gestion transparente et individualisée des compléments de rémunération dans les relations entre les collectivités et leurs personnels.