Cour d’appel administrative de Nancy, le 25 février 2025, n°23NC01947

Par un arrêt en date du 25 février 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité de mesures d’éloignement prises à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité albanaise, entré sur le territoire français en 2013, avait obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire la même année. Cette protection lui a cependant été retirée en 2023 en raison de plusieurs condamnations pénales. Suite à ce retrait, le préfet de Meurthe-et-Moselle a édicté un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français sans délai, fixant l’Albanie comme pays de renvoi et lui interdisant le retour sur le territoire pour une durée de trente-six mois. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Nancy a annulé, par un jugement du 23 mai 2023, les décisions fixant le pays de destination et prononçant l’interdiction de retour. Le préfet a interjeté appel de ce jugement, soutenant la validité de l’intégralité de son arrêté. La cour administrative d’appel devait donc déterminer si la révocation de la protection subsidiaire pour des motifs d’ordre public autorisait l’administration à renvoyer l’individu vers son pays d’origine sans méconnaître l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il lui fallait également apprécier si une interdiction de retour d’une durée maximale était une mesure proportionnée au regard de la situation de l’intéressé, notamment de la menace que sa présence représentait pour l’ordre public. La cour a infirmé le jugement de première instance, donnant ainsi raison à l’administration sur les deux points contestés. Elle a jugé que l’étranger n’établissait pas la persistance d’un risque personnel en cas de retour dans son pays d’origine et que la gravité des infractions commises justifiait pleinement la durée de l’interdiction de retour. L’analyse de la décision révèle ainsi une application rigoureuse des conditions d’éloignement d’un étranger dont le comportement a justifié la fin de sa protection (I), tout en confirmant la prépondérance de la notion d’ordre public dans l’appréciation de la proportionnalité des mesures restrictives de séjour (II).

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I. L’appréciation renouvelée du risque en cas de renvoi vers le pays d’origine

La décision de la cour administrative d’appel précise le régime de la preuve du risque encouru par un étranger dont la protection a été retirée, conditionnant la légalité de la désignation du pays de renvoi (A) et affirmant par là même l’autonomie de la décision d’éloignement par rapport au statut de protection antérieurement accordé (B).

A. Le renversement de la charge de la preuve du risque

L’un des apports principaux de l’arrêt réside dans la manière dont le juge administratif évalue le risque de traitements inhumains ou dégradants. Alors que le tribunal administratif avait annulé la décision fixant le pays de destination, la cour d’appel adopte une position inverse en se fondant sur l’absence de preuves actuelles. Elle relève que l’intéressé « ne produit aujourd’hui aucun élément de nature à corroborer la persistance de menaces qui le viseraient et qui l’exposeraient à titre personnel à des traitements contraires aux stipulations des articles 3 précités en cas de retour en Albanie ». Cette formulation met en évidence que la charge de la preuve d’un risque actuel, personnel et réel pèse sur l’étranger qui s’oppose à son renvoi. Le simple fait d’avoir bénéficié par le passé de la protection subsidiaire ne suffit pas à établir une présomption irréfragable de danger en cas de retour. La cour examine les motifs initiaux de la protection, notant que les menaces, anciennes, « concernaient essentiellement son frère », ce qui en diminue le caractère directement personnel.

Cette approche pragmatique et exigeante s’inscrit dans la logique du droit de l’éloignement, qui impose une évaluation des risques au moment où la décision de renvoi est exécutée. La révocation de la protection pour des motifs d’ordre public semble ici opérer une remise à zéro de l’appréciation, contraignant l’étranger à démontrer de nouveau, et avec des éléments concrets, qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un péril certain. La cour se refuse à considérer que la situation de danger ayant justifié la protection en 2013 perdure nécessairement plus de dix ans après. Une telle solution, tout en étant sévère pour l’administré, garantit que la protection contre les traitements prohibés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ne devienne pas un obstacle indépassable à l’éloignement lorsque le comportement de l’étranger en France a justifié le retrait de son statut.

B. L’autonomie de la mesure d’éloignement face au statut de protection retiré

En validant la décision préfectorale, la cour confirme que la fin de la protection subsidiaire restaure la plénitude de la compétence de l’administration pour organiser l’éloignement de l’étranger, y compris vers son pays de nationalité. La révocation du statut de protégé, motivée en l’espèce par des condamnations pénales, constitue un acte juridique distinct qui fait cesser les garanties spécifiques attachées à ce statut, notamment l’interdiction de principe d’un renvoi vers le pays où l’étranger a établi que sa vie ou sa liberté étaient menacées. Dès lors, la légalité de la décision fixant le pays de destination ne s’apprécie plus au regard du statut de protection révoqué, mais au regard des dispositions de droit commun du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et des conventions internationales.

La portée de cet arrêt est de clarifier que la révocation d’une protection internationale n’est pas une simple sanction administrative, mais un événement qui modifie fondamentalement le cadre juridique applicable à l’étranger. Celui-ci redevient un étranger en situation irrégulière soumis aux procédures d’éloignement, et l’administration n’est plus tenue par les motifs qui avaient initialement fondé la protection. Cette solution renforce la cohérence du système : la protection est conditionnée non seulement à l’existence d’un risque dans le pays d’origine, mais aussi à un comportement en France qui ne représente pas une menace grave pour la société. La perte de la protection en raison d’une telle menace emporte logiquement la perte des garanties qui y sont associées, sous la seule réserve d’une démonstration probante d’un risque actuel au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

II. La justification d’une interdiction de retour maximale par la menace à l’ordre public

La cour valide également l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de trente-six mois, en faisant prévaloir la notion de menace à l’ordre public sur les autres critères d’appréciation (A) et en relativisant par conséquent les éléments liés à l’intégration de l’étranger en France (B).

A. La prééminence de l’ordre public dans l’échelle des valeurs

Pour apprécier la proportionnalité de la durée de l’interdiction de retour, l’article L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose à l’administration de tenir compte d’un ensemble de critères. La cour procède à cette mise en balance, mais accorde un poids déterminant à la menace pour l’ordre public. Elle détaille avec précision la gravité du parcours délinquant de l’intéressé, relevant qu’il a passé « une grande partie de son séjour en France en prison, en raison de plusieurs condamnations successives pour des faits, notamment, de violences, menaces sur personnes dépositaires de l’autorité publique, violences avec arme, en récidive, violences aggravées avec menace d’une arme sur un ascendant ». Le juge va jusqu’à citer les propos tenus par l’intéressé au sujet de sa mère, indiquant que lui et ses frères « décideraient plus tard de son sort », ce qui matérialise une dangerosité particulière et persistante.

Cette motivation détaillée démontre que l’appréciation de la menace à l’ordre public n’est pas abstraite mais repose sur des faits précis, répétés et d’une gravité certaine. Face à un tel comportement, la cour estime que la durée maximale de trois ans pour l’interdiction de retour est non seulement justifiée mais nécessaire. La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui considère que la protection de la société et la prévention des infractions pénales sont des motifs impérieux pouvant justifier des atteintes significatives au droit au séjour d’un étranger, même présent de longue date sur le territoire. La violence intrafamiliale, en particulier, est traitée comme un facteur aggravant qui pèse lourdement dans la balance.

B. La neutralisation des critères tirés de l’intégration et de la vie privée

En contrepoint de la menace à l’ordre public, les éléments relatifs à l’insertion de l’étranger en France sont systématiquement minimisés par la cour. La durée de présence sur le territoire, de 2013 à 2023, est immédiatement nuancée par le fait qu’une grande partie de cette période a été passée en détention. Les liens avec la France sont jugés ténus : l’intéressé est « célibataire, sans enfant, et ne justifie pas avoir développé un réseau de relations ou une activité professionnelle en France ». Le seul lien concret, sa résidence chez sa mère, est vidé de sa substance par les violences exercées contre cette dernière. Ainsi, le critère de la vie privée et familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, est considéré comme ne faisant pas obstacle à la mesure d’éloignement.

Cette analyse illustre que les critères d’intégration ne sont pas de simples données factuelles, mais font l’objet d’une appréciation qualitative. Une longue présence sur le territoire n’a que peu de poids si elle est ponctuée d’actes de délinquance graves. De même, les liens familiaux ne constituent une protection que s’ils sont réels et positifs, ce qui est infirmé lorsque l’étranger représente une menace pour sa propre famille. La portée de cet arrêt est de rappeler que le droit au respect de la vie privée et familiale n’est pas absolu et que l’ingérence que constitue une mesure d’éloignement peut être jugée nécessaire dans une société démocratique, notamment pour la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales. La décision confirme ainsi que le comportement de l’étranger est un facteur essentiel qui peut neutraliser les autres éléments de sa situation personnelle.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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