Par un arrêt en date du 25 février 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre d’un ressortissant étranger faisant l’objet de poursuites pénales. En l’espèce, un individu de nationalité étrangère, entré régulièrement en France, a été interpellé puis mis en examen pour plusieurs infractions graves, notamment liées au trafic de stupéfiants et à la détention d’armes. Simultanément à son placement sous contrôle judiciaire par l’autorité judiciaire, le préfet compétent a édicté à son encontre un arrêté l’obligeant à quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de retour pour une durée de trois ans. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d’annulation par un jugement du 25 avril 2023. L’étranger a alors interjeté appel de cette décision, soutenant principalement que la mesure d’éloignement méconnaissait ses obligations pénales et que la menace à l’ordre public n’était pas suffisamment caractérisée en l’absence de condamnation définitive. La question de droit soulevée était donc de savoir si l’existence de poursuites pénales et d’une mesure de contrôle judiciaire fait obstacle à ce que l’autorité administrative, se fondant sur les mêmes faits, puisse légalement prononcer une mesure d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant étranger pour menace à l’ordre public. La Cour administrative d’appel répond par la négative, considérant que la gravité des faits reprochés suffit à caractériser une menace pour l’ordre public et que la procédure pénale en cours est sans incidence sur la légalité de la décision administrative. Ainsi, la décision valide une mesure d’éloignement administrative en dépit d’une procédure pénale pendante (I), avant de confirmer les conséquences logiques qui en découlent (II).
I. La validation d’une mesure d’éloignement administrative en dépit d’une procédure pénale pendante
La Cour administrative d’appel fonde sa décision sur une appréciation de la menace à l’ordre public qui se veut autonome par rapport à la procédure pénale. Elle admet ainsi une caractérisation de la menace à l’ordre public fondée sur de simples poursuites pénales (A), tout en affirmant l’indépendance de la police administrative à l’égard des contraintes judiciaires (B).
A. La caractérisation de la menace à l’ordre public fondée sur des poursuites pénales
La juridiction administrative rappelle que la menace à l’ordre public peut justifier une obligation de quitter le territoire français pour un étranger ne résidant pas régulièrement en France depuis plus de trois mois, conformément à l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Dans cette affaire, le requérant n’avait pas encore fait l’objet d’une condamnation pénale, soulevant ainsi la question du respect du principe de la présomption d’innocence. Cependant, la Cour écarte cet argument en se fondant sur la nature des faits ayant justifié la mise en examen.
Elle estime que « eu égard à la gravité des faits reprochés, à leur caractère très récent, à la durée très brève de séjour de l’intéressé sur le territoire français et en l’absence de tout élément probant de nature à remettre en cause la réalité de ces faits », l’autorité préfectorale a pu légalement considérer que le comportement de l’individu représentait une menace pour l’ordre public. Cet arrêt confirme une jurisprudence constante selon laquelle l’autorité administrative n’est pas tenue d’attendre l’issue d’une procédure pénale pour agir. L’appréciation de la menace s’effectue au regard de la matérialité et de la gravité des faits reprochés, indépendamment de leur qualification pénale définitive. La décision repose sur un faisceau d’indices suffisant pour que l’administration puisse légitimement craindre un trouble à l’ordre public.
B. L’autonomie affirmée de la police administrative face aux contraintes judiciaires
Le requérant soutenait que la mesure d’éloignement était incompatible avec les obligations découlant de son contrôle judiciaire, qui impliquent une présence sur le territoire pour répondre aux convocations de la justice. La Cour administrative d’appel rejette fermement cette argumentation en posant que « la circonstance que M. C… fait l’objet de poursuites pénales et d’une mesure de contrôle judiciaire est en elle-même sans incidence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ».
Cette solution consacre une stricte séparation entre la procédure administrative d’éloignement et la procédure pénale. La première vise à protéger l’ordre public par une mesure de police administrative, tandis que la seconde a pour but la répression d’une infraction. L’existence d’un contrôle judiciaire ne crée pas un droit au maintien sur le territoire et n’entrave pas l’exercice par le préfet de sa compétence en matière de police des étrangers. Il appartiendra aux autorités judiciaires et administratives de coordonner l’exécution de leurs décisions respectives, l’exécution de l’éloignement pouvant être différée jusqu’à la mainlevée du contrôle judiciaire ou le jugement définitif. La légalité de l’arrêté préfectoral demeure intacte, car elle est appréciée à la date de son édiction et au regard des seuls pouvoirs de l’autorité administrative.
Une fois la légalité de l’obligation de quitter le territoire français solidement établie, la Cour examine logiquement les autres mesures contestées par le requérant, qui découlent de cette décision principale.
II. La confirmation des conséquences attachées à la mesure d’éloignement
La Cour d’appel valide logiquement le refus d’octroyer un délai de départ volontaire (A) ainsi que le prononcé d’une interdiction de retour sur le territoire français (B), ces mesures étant les corollaires de l’obligation de quitter le territoire.
A. Le refus justifié d’un délai de départ volontaire
Le préfet avait refusé d’accorder un délai de départ volontaire au requérant, se fondant à la fois sur la menace à l’ordre public et sur un risque de soustraction à la mesure d’éloignement. La Cour confirme cette analyse en relevant que l’intéressé ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes, notamment en raison de l’absence de ressources stables et de domicile fixe.
Conformément aux articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le risque de soustraction justifie le refus d’un tel délai. En l’espèce, la situation précaire de l’individu, combinée à la gravité des faits qui lui étaient reprochés, permettait à l’autorité administrative de considérer ce risque comme établi. La Cour effectue ici un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, et juge que le préfet a fait une juste application des dispositions légales sans commettre une telle erreur. La décision est ici une application classique et factuelle des critères légaux, démontrant la cohérence de l’ensemble du dispositif d’éloignement.
B. Le prononcé proportionné d’une interdiction de retour sur le territoire
Enfin, la Cour examine la légalité de l’interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de three ans. Cette mesure est, en principe, automatiquement assortie à une obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire, sauf si des circonstances humanitaires particulières le justifient. Le requérant n’ayant pas démontré de telles circonstances, le principe de l’interdiction de retour n’était pas contestable.
La discussion porte alors sur la durée de cette interdiction, qui doit être fixée en tenant compte des critères définis à l’article L. 612-10 du même code, tels que la durée de présence en France, les liens avec le pays et la menace à l’ordre public. En l’occurrence, la Cour relève que le préfet a tenu compte du caractère récent du séjour, de l’absence d’attaches privées et familiales significatives en France et du niveau de la menace à l’ordre public. La durée de trois ans, qui est inférieure au maximum légal de cinq ans à l’époque des faits, n’est donc pas jugée disproportionnée. La Cour confirme que l’appréciation du préfet était équilibrée et conforme aux exigences légales, scellant ainsi le rejet complet de la requête.