Par un arrêt en date du 25 février 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy a rejeté la requête d’un préfet dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Nancy du 20 septembre 2023. Ce jugement avait annulé un arrêté préfectoral du 14 septembre 2023 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée d’un an à l’encontre d’une ressortissante marocaine. L’intéressée, entrée en France en provenance d’Espagne où elle avait engagé des démarches en vue d’obtenir un titre de séjour, avait fait l’objet de cette mesure d’éloignement alors qu’elle avait exprimé son souhait de retourner en Espagne lors de son audition par les services administratifs. Saisie par le préfet, qui estimait que la première juge avait commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation, la Cour administrative d’appel devait donc se prononcer sur la régularité de la procédure suivie par l’administration. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si l’autorité préfectorale, face à un étranger en situation irrégulière provenant d’un autre État membre et demandant à y être renvoyé, est tenue d’examiner à titre prioritaire la possibilité d’une remise à cet État avant de pouvoir légalement édicter une obligation de quitter le territoire français. La cour confirme l’annulation de l’arrêté, jugeant que l’absence d’un tel examen préalable entache la décision d’une irrégularité procédurale privant l’intéressée d’une garantie. Cette décision précise ainsi l’articulation entre les procédures d’éloignement (I), tout en consacrant une garantie procédurale au profit de l’étranger (II).
I. La clarification de l’articulation entre l’obligation de quitter le territoire français et la procédure de remise
La Cour administrative d’appel rappelle d’abord le principe d’un choix offert à l’administration entre deux cadres juridiques d’éloignement (A), avant de préciser que ce choix est conditionné par l’existence d’une obligation d’examen prioritaire dans certaines circonstances (B).
A. Le libre choix de l’administration entre deux procédures distinctes
L’arrêt énonce clairement que l’autorité administrative dispose d’une faculté de choix pour éloigner un étranger se trouvant dans la situation de l’espèce. Elle peut opter soit pour une obligation de quitter le territoire français sur le fondement de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, soit pour une procédure de remise vers un autre État membre en application de l’article L. 621-1 du même code. La cour souligne à cet égard que « le champ d’application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d’un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l’un de l’autre et que le législateur n’a pas donné à l’une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l’autre ». Cette affirmation réitère une solution bien établie selon laquelle ces deux dispositifs sont autonomes et non hiérarchisés, préservant ainsi le pouvoir d’appréciation de l’administration dans la gestion des flux migratoires. En principe, le préfet n’est donc pas contraint d’engager une procédure de remise au seul motif que l’étranger provient d’un autre État partie à la convention de Schengen.
B. La subordination du choix à un examen prioritaire en cas de demande de l’étranger
Toutefois, la cour encadre strictement ce pouvoir discrétionnaire en introduisant une condition procédurale substantielle. Elle juge que ce libre choix est tempéré dès lors que l’étranger manifeste sa volonté de retourner dans l’État membre d’où il provient. En l’espèce, la ressortissante avait non seulement déclaré vouloir « aller en Espagne », mais elle y avait également déposé une demande de titre de séjour et y disposait d’attaches personnelles. Face à une telle demande, la cour considère qu’« il appartient au préfet d’examiner s’il y a lieu de reconduire en priorité l’étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat ». L’expression d’un tel souhait par l’étranger a donc pour effet de faire naître à la charge du préfet une obligation nouvelle : celle de procéder à une instruction spécifique sur l’opportunité d’une remise prioritaire. Le choix initialement discrétionnaire se transforme ainsi en une compétence liée quant à la nécessité de cet examen préalable.
II. La consécration d’une garantie procédurale au bénéfice de l’étranger
En sanctionnant le manquement de l’administration à son obligation d’instruction, la cour fait de cet examen une condition de régularité de la décision d’éloignement (A), ce qui confère une protection effective, bien que délimitée, à l’étranger (B).
A. L’obligation d’un examen préalable comme condition de régularité de la procédure
La censure de la décision préfectorale ne repose pas sur une appréciation de son bien-fondé au regard de la situation de l’intéressée, mais exclusivement sur un vice de procédure. La cour constate que le préfet a édicté l’obligation de quitter le territoire français sans avoir étudié au préalable l’alternative que constituait la remise à l’Espagne, et ce en dépit de la demande explicite de l’intéressée. Elle en déduit que, « faute de cet examen préalable, l’arrêté du 14 septembre 2023 est intervenu à l’issue d’une procédure irrégulière, qui a privé cette ressortissante marocaine d’une garantie ». La qualification de « garantie » est ici déterminante, car elle implique que l’omission de cette formalité affecte par elle-même la légalité de la décision, sans qu’il soit nécessaire pour le requérant de démontrer qu’elle a exercé une influence concrète sur le sens de la décision. Cette approche rigoriste souligne l’importance que le juge attache au respect du contradictoire et à la qualité de l’instruction des dossiers par l’administration.
B. La portée de la protection accordée à l’étranger
La protection ainsi offerte à l’étranger est substantielle mais sa portée doit être correctement mesurée. L’arrêt ne consacre nullement un droit pour l’étranger à être remis à l’État membre de sa provenance sur simple demande. Il impose seulement à l’administration le devoir de considérer cette option de manière prioritaire et de se forger une opinion sur cette question avant toute autre décision d’éloignement. Le préfet conserve, à l’issue de cet examen, la faculté de retenir finalement une obligation de quitter le territoire français s’il estime, par une décision motivée, que la procédure de remise n’est pas opportune ou réalisable, comme l’a d’ailleurs illustré en l’espèce le refus ultérieur des autorités espagnoles. Néanmoins, en forçant l’administration à s’interroger et potentiellement à justifier son choix, cette jurisprudence prévient les décisions automatiques et assure une prise en compte plus attentive de la situation personnelle et du parcours européen de l’étranger, renforçant ainsi les exigences d’un examen particulier de chaque situation.