Par un arrêt en date du 27 décembre 2024, une cour administrative d’appel a statué sur les conséquences procédurales de l’abrogation d’un acte réglementaire contesté en cours d’instance. En l’espèce, une commune avait saisi la juridiction administrative d’une demande d’annulation du refus implicite d’une présidente de conseil régional d’abroger plusieurs règlements relatifs aux transports scolaires. Ces règlements, adoptés pour harmoniser les pratiques suite à un transfert de compétence des départements vers la région, étaient critiqués pour leur rupture d’égalité entre les usagers.
La procédure a débuté par une requête de la commune devant le tribunal administratif, suite au silence gardé par l’autorité régionale. Le tribunal administratif, par un jugement du 9 novembre 2021, a rejeté la demande comme irrecevable, au motif que la commune, ayant transféré sa compétence en matière de transports à un établissement public de coopération intercommunale, ne justifiait plus d’un intérêt à agir. La commune a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision contestée affectait ses intérêts, notamment au travers de ses compétences relatives au service public de l’éducation. La région, en défense, a maintenu l’argument de l’irrecevabilité et, subsidiairement, a justifié les différences de traitement par la nécessité d’une harmonisation progressive des services.
La question de droit soulevée indirectement devant les juges d’appel n’était plus celle de l’intérêt à agir de la commune, mais celle de savoir si l’abrogation des actes réglementaires contestés en cours d’instance a pour effet de priver le litige de son objet. La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative, en jugeant que la disparition de l’acte dont l’abrogation était demandée rendait sans objet le recours formé contre le refus de l’abroger. Elle a ainsi déclaré, après avoir annulé la décision des premiers juges pour erreur de droit, qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande initiale.
Cette solution, bien que classique, invite à analyser la double intervention du juge d’appel, qui sanctionne d’abord l’erreur des premiers juges avant de constater lui-même l’extinction de l’instance (I). Elle conduit ensuite à s’interroger sur la portée de ce mécanisme de non-lieu, qui réaffirme un principe fondamental du contentieux administratif tout en admettant certaines limites (II).
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I. La double intervention du juge d’appel : censure du jugement et constat de l’extinction de l’instance
La cour administrative d’appel, en relevant d’office un moyen péremptoire, a d’abord annulé le jugement du tribunal administratif en raison d’une erreur de droit (A), avant de statuer elle-même par la voie de l’évocation sur l’issue inéluctable du litige (B).
A. L’annulation du jugement pour défaut de constatation du non-lieu
Le tribunal administratif avait choisi de statuer sur la recevabilité de la requête en examinant l’intérêt à agir de la commune. Or, il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que les règlements contestés avaient été abrogés par une délibération postérieure à l’introduction du recours. Le juge d’appel considère que cette circonstance aurait dû conduire les premiers juges à constater d’emblée que le litige avait perdu son objet. En ne le faisant pas et en statuant sur une fin de non-recevoir, le tribunal a commis une erreur de droit justifiant l’irrégularité de son jugement.
Le juge d’appel rappelle ainsi que l’examen de l’objet du litige prime sur celui des conditions de recevabilité. Un recours pour excès de pouvoir vise à obtenir l’annulation d’un acte administratif ; si cet acte disparaît de l’ordonnancement juridique pour l’avenir, le recours perd sa raison d’être. La cour administrative d’appel censure donc le raisonnement du tribunal non sur le fond de son appréciation de l’intérêt à agir, mais pour avoir omis de tirer les conséquences d’un fait dirimant qui rendait toute discussion sur la recevabilité ou le bien-fondé de la requête inutile.
B. La consécration du non-lieu à statuer par la voie de l’évocation
Après avoir annulé le jugement, la cour administrative d’appel se saisit de l’affaire par la voie de l’évocation et règle elle-même le litige au fond. Elle ne se livre pas à un nouvel examen de l’intérêt à agir de la commune ou du bien-fondé de sa demande, mais se borne à appliquer le principe qu’elle a rappelé. Elle formalise ainsi la solution en citant la règle prétorienne applicable : « lorsque, postérieurement à l’introduction d’une requête dirigée contre un refus d’abroger des dispositions à caractère réglementaire, l’autorité qui a pris le règlement litigieux procède à son abrogation expresse ou implicite, le litige né de ce refus d’abroger perd son objet. »
Le non-lieu à statuer est donc la conséquence directe et automatique de la disparition de l’acte contesté. Le recours de la commune visait à contraindre l’administration à abroger des règlements ; l’administration ayant procédé à cette abrogation de sa propre initiative, la demande a été satisfaite en cours de procès. La poursuite de l’instance n’aurait eu d’autre fin que d’obtenir une déclaration de principe sur l’illégalité passée des actes, ce qui n’est pas la fonction du juge de l’excès de pouvoir, dont le rôle est de trancher un litige actuel.
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II. La réaffirmation d’un principe directeur du contentieux administratif
Cette décision est l’occasion de réaffirmer la portée du principe du non-lieu à statuer, qui répond à une logique d’économie processuelle (A), tout en soulignant implicitement les situations où une telle solution pourrait être écartée (B).
A. La justification du non-lieu par l’économie procédurale et la nature du recours
Le prononcé d’un non-lieu à statuer lorsque l’objet du litige a disparu répond à une exigence de bonne administration de la justice. Il est inutile de mobiliser les ressources juridictionnelles pour examiner un recours qui ne peut plus avoir d’effet utile pour le requérant. En l’espèce, la commune ayant obtenu l’abrogation des règlements qu’elle contestait, elle n’avait plus d’intérêt actuel à voir le juge se prononcer.
Cette solution est également une manifestation de la nature même du recours pour excès de pouvoir, qui est un procès fait à un acte et non une action en responsabilité ou une demande de reconnaissance d’un droit subjectif. La finalité de ce recours est objective : assurer le respect de la légalité en annulant un acte illégal. Si l’acte n’est plus en vigueur, le litige s’éteint, sauf circonstances particulières. La décision commentée applique cette logique avec rigueur, en se plaçant au jour où le juge statue pour apprécier l’existence de l’objet du recours.
B. La portée de la solution et les limites implicites de l’extinction de l’instance
La présente décision constitue une application orthodoxe d’une jurisprudence constante. Sa portée est donc davantage confirmative qu’innovante. Elle rappelle à l’ensemble des acteurs du procès administratif, et notamment aux juridictions de première instance, la nécessité de vérifier, avant tout examen au fond, si le litige conserve un objet. La circonstance que le moyen a été soulevé d’office par la cour souligne l’importance de ce principe en tant que règle d’ordre public procédural.
Toutefois, la généralité de la formule employée ne doit pas occulter les cas où un recours conserve son objet malgré la disparition de l’acte contesté. Il en va ainsi lorsque l’acte, bien qu’abrogé ou retiré, a produit des effets dans le passé qui n’ont pas été entièrement liquidés, ou lorsque le requérant conserve un intérêt moral ou matériel à faire constater son illégalité, par exemple en vue d’un futur litige indemnitaire. En l’espèce, s’agissant d’un refus d’abroger des dispositions purement réglementaires qui ont été ultérieurement abrogées *erga omnes*, la cour a logiquement estimé qu’aucun effet résiduel ne subsistait et que l’intérêt du requérant s’était entièrement éteint avec la satisfaction de sa demande.