Cour d’appel administrative de Nancy, le 27 février 2025, n°23NC03325

Par un arrêt en date du 27 février 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’un refus de renouvellement de titre de séjour opposé à un ressortissant étranger, conjoint d’une ressortissante française, suite à la rupture de leur communauté de vie. En l’espèce, un ressortissant marocain, entré régulièrement en France sous couvert d’un visa de long séjour en qualité de conjoint de Française, s’est vu refuser le renouvellement de son titre de séjour par le préfet du Haut-Rhin au motif que la communauté de vie avec son épouse avait cessé. L’intéressé soutenait que cette rupture était imputable à des violences conjugales qu’il aurait subies, ce qui, en vertu des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, aurait dû faire obstacle à ce refus. Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal administratif de Strasbourg l’a rejeté par un jugement du 16 août 2023. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, contestant tant le refus de titre de séjour que l’obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination qui en découlaient. Il appartenait donc aux juges d’appel de déterminer si les faits invoqués par le requérant pouvaient être qualifiés de violences conjugales au sens de la loi, justifiant le maintien de son droit au séjour malgré la cessation de la vie commune. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que la preuve de violences conjugales n’est pas rapportée et que le refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l’intéressé.

Cet arrêt illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif apprécie la notion de violences conjugales comme exception au principe de communauté de vie pour le séjour des conjoints de Français (I), avant de procéder à un contrôle classique de la proportionnalité de l’atteinte portée au droit à la vie privée et familiale (II).

I. L’appréciation rigoureuse de la notion de violences conjugales

La cour opère un contrôle approfondi des motifs de la décision préfectorale, en relevant d’abord une erreur de droit avant de la neutraliser par une substitution de motifs (A), pour ensuite se livrer à une interprétation stricte des éléments constitutifs des violences conjugales (B).

A. La neutralisation d’une erreur de droit par le mécanisme de la substitution de motifs

Le préfet avait fondé son refus de renouvellement de titre de séjour sur deux éléments : l’absence de communauté de vie et l’insuffisance de preuves des violences alléguées, notant au passage que les blessures constatées « n’avaient pas donné lieu à une incapacité de travail temporaire ». Le juge d’appel censure ce dernier point, affirmant de manière explicite que « la circonstance que les blessures dont M. B… établit l’existence n’ont pas donné lieu à une incapacité de travail n’est, ainsi qu’il le soutient, pas une condition d’appréciation des violences conjugales au sens et pour l’application de l’article L. 423-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Ce faisant, la cour rappelle que la loi n’instaure aucune condition de gravité minimale, telle qu’une incapacité de travail, pour que des violences puissent être reconnues.

Toutefois, cette erreur de droit est jugée sans incidence sur la légalité de la décision. La cour utilise la technique de la substitution de motifs, considérant que le préfet aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur l’autre motif, à savoir l’absence de preuve des allégations de l’intéressé. Cette approche pragmatique permet de valider une décision administrative dont le dispositif est jugé correct, malgré une motivation partiellement erronée. Elle démontre la volonté du juge de ne pas annuler pour un simple vice de forme ou de raisonnement une mesure qui reste justifiée sur le fond.

B. Une interprétation restrictive de la preuve des violences conjugales

Le cœur du raisonnement de la cour réside dans son appréciation des faits présentés comme preuves des violences. Le requérant produisait un rapport médico-légal attestant de « lésions cutanées traumatiques d’allure récentes ». Cependant, la cour estime que ces éléments ne sont pas suffisants pour emporter sa conviction. Elle relève qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des auditions des deux membres du couple que leur dispute le 19 mai 2022, qui semble isolée au cours de leurs deux mois de vie commune, pourrait être regardée comme caractérisant des violences conjugales ».

Plusieurs éléments conduisent à cette conclusion : le caractère apparemment isolé de l’altercation, la brièveté de la vie commune, et le fait que la plainte du requérant a été déposée plus de dix mois après les faits et postérieurement à la décision contestée. Le juge administratif se livre ici à une appréciation souveraine des faits et des preuves, estimant qu’un incident unique, même ayant laissé des traces physiques, ne suffit pas à constituer le tableau de violences conjugales au sens de la loi. Cette solution souligne le niveau d’exigence probatoire requis pour les étrangers qui invoquent cette exception, la charge de la preuve reposant entièrement sur eux pour démontrer non seulement un acte de violence, mais une situation de violence justifiant la rupture de la vie commune.

II. Le contrôle conventionnel de l’atteinte à la vie privée et familiale

Après avoir écarté le moyen principal, la cour examine la conventionalité de la décision au regard du droit au respect de la vie privée et familiale. Elle effectue pour cela une analyse factuelle des liens de l’intéressé en France (A), ce qui la conduit à conclure à l’absence d’une atteinte disproportionnée (B).

A. L’examen des liens personnels et familiaux au regard d’un faisceau d’indices

La cour procède à un examen concret de la situation personnelle du requérant, en application des dispositions de l’article L. 423-23 du CESEDA et des stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Elle met en balance les différents aspects de l’insertion de l’intéressé. D’un côté, elle prend en compte son activité professionnelle, même intermittente, et son inscription dans un cursus universitaire. De l’autre, elle relève la courte durée de son séjour en France (un an à la date de la décision), la brièveté de sa vie conjugale (deux mois), son absence d’autres attaches familiales sur le territoire et son âge avancé.

L’analyse de la cour se fonde sur un faisceau d’indices classique en la matière, où l’ancienneté et l’intensité des liens constituent les critères prépondérants. La juridiction conclut que, malgré des efforts d’intégration réels, le requérant, « âgé de cinquante-quatre ans à la date de la décision en litige et [ayant] vécu la quasi intégralité de sa vie au Maroc », n’établit pas que sa « vie privée serait désormais ancrée en France ». Cette approche montre que pour le juge, l’existence de quelques éléments d’insertion ne suffit pas à créer un droit au séjour lorsque la majeure partie de l’existence d’une personne s’est déroulée dans son pays d’origine.

B. La validation d’une atteinte jugée proportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale

En conséquence de cette analyse factuelle, la cour conclut que le refus de séjour « ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ». Cette conclusion est la résultante logique du bilan opéré précédemment. L’ingérence de l’autorité publique dans le droit de l’intéressé est jugée nécessaire et proportionnée aux buts poursuivis, notamment le contrôle des flux migratoires. La décision s’inscrit dans une jurisprudence constante qui reconnaît une marge d’appréciation importante à l’administration en matière de police des étrangers.

Dès lors que la légalité du refus de séjour est confirmée, la cour rejette par voie de conséquence les moyens dirigés contre l’obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination. Cet arrêt, par son raisonnement rigoureux et son application classique des principes du droit des étrangers, rappelle que si la loi protège les victimes de violences conjugales, la preuve de ces violences doit être suffisamment établie pour faire échec aux conditions de droit commun relatives au séjour.

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Hassan KOHEN
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