Par un arrêt en date du 27 février 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur la légalité d’une mesure d’éloignement, d’une interdiction de retour sur le territoire français et de la décision fixant le pays de destination prises à l’encontre d’un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité arménienne, entré sur le territoire français durant sa minorité en 2014, s’est vu opposer plusieurs décisions administratives défavorables après avoir atteint la majorité. Suite au rejet de sa demande d’asile, l’autorité préfectorale a édicté, par un arrêté du 21 mars 2023, une obligation de quitter le territoire français sous trente jours, assortie d’une interdiction de retour de six mois et fixant son pays d’origine comme destination. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Nancy, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 18 août 2023. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant d’une part son irrégularité, et contestant d’autre part le bien-fondé des mesures prises à son encontre. Il se posait dès lors la question de savoir si l’omission par les premiers juges de répondre à un moyen opérant entache leur jugement d’irrégularité et, au fond, si une mesure d’éloignement et ses décisions accessoires sont proportionnées au regard de la situation d’un étranger présent en France depuis plusieurs années mais en situation irrégulière, et si le risque lié à la conscription dans le pays d’origine constitue un traitement inhumain ou dégradant. La cour administrative d’appel a annulé le jugement pour un vice de procédure, mais, statuant par la voie de l’évocation et par l’effet dévolutif, a rejeté l’ensemble des prétentions du requérant sur le fond, validant ainsi l’intégralité des mesures préfectorales.
La décision commentée illustre avec clarté le contrôle exercé par le juge d’appel sur les décisions des tribunaux administratifs, qui se manifeste par la sanction d’une omission de statuer (I), avant de confirmer, dans une approche rigoureuse, l’appréciation portée par l’administration sur la situation de l’étranger (II).
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I. La sanction d’une omission de statuer par le juge de première instance
La cour administrative d’appel exerce son office de juge d’appel en s’assurant de la régularité du jugement qui lui est déféré, ce qui la conduit à censurer une motivation défaillante (A) avant de mettre en œuvre les prérogatives qui en découlent pour statuer elle-même sur le litige (B).
A. La censure d’un jugement pour défaut de réponse à un moyen opérant
Le juge administratif est tenu de répondre à l’ensemble des moyens soulevés par les parties, à la condition que ceux-ci ne soient pas inopérants. En l’espèce, le requérant avait contesté la décision fixant son pays de renvoi en invoquant non seulement l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, mais également l’article L. 721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Si le tribunal administratif a bien examiné le premier argument, il est resté silencieux sur le second. La cour d’appel relève ainsi que les premiers juges « n’ont en revanche ni visé ni répondu au moyen, soulevé dans le mémoire du 25 juin 2023, également dirigé contre cette décision et tiré de la méconnaissance des dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 721-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». La censure est donc la conséquence logique de cette omission, le moyen n’étant pas jugé inopérant, ce qui signifie qu’il était susceptible d’influencer la solution du litige. Cette annulation, bien que partielle, souligne l’exigence de motivation complète qui pèse sur les juridictions du premier degré et garantit aux justiciables un examen exhaustif de leur argumentation.
B. La mise en œuvre du pouvoir d’évocation par le juge d’appel
L’annulation d’un jugement, même pour un motif de pure procédure, n’entraîne pas nécessairement le renvoi de l’affaire devant les premiers juges. Dans un souci de bonne administration de la justice et de célérité, le juge d’appel peut décider de statuer directement sur les points objets de l’annulation. C’est ce que la cour choisit de faire en l’espèce en indiquant qu’« il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l’évocation, immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par M. C… devant le tribunal administratif ». Ce mécanisme de l’évocation permet à la cour de se saisir de l’entier litige sur le point annulé et de l’examiner en fait et en droit, comme si elle était elle-même juge de première instance. Pour le reste des contestations, non affectées par le vice de procédure, la cour statue dans le cadre de l’effet dévolutif classique de l’appel. Cette articulation procédurale témoigne de la plénitude de juridiction du juge d’appel, qui peut ainsi purger le litige de ses vices sans pour autant allonger les délais de jugement.
II. La confirmation de l’appréciation administrative de la situation de l’étranger
Au-delà de la question de procédure, la cour administrative d’appel se livre à un contrôle de fond des décisions préfectorales, validant l’analyse de proportionnalité relative au droit à la vie privée et familiale (A) et confirmant l’appréciation restrictive des risques encourus en cas de retour dans le pays d’origine (B).
A. Une conception stricte de la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée
Le requérant invoquait l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, arguant de son long séjour en France et de son parcours de scolarisation et de formation. La cour procède à une balance des intérêts en présence. Elle reconnaît la durée de résidence de huit ans et demi et les efforts d’intégration, mais met en balance la circonstance que l’intéressé s’est maintenu sur le territoire « en dépit de deux mesures d’éloignement prononcées à son encontre ». La cour considère également que, hors la présence de sa famille elle-même en situation irrégulière, l’étranger n’établit pas avoir noué de liens d’une « particulière intensité » en France. En conséquence, la mesure d’éloignement « ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ». Cette solution réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle la seule durée de présence, même depuis la minorité, ne saurait faire obstacle à une mesure d’éloignement lorsque le séjour est demeuré précaire et que les liens sociaux et familiaux sont jugés insuffisamment denses. L’intégration scolaire et professionnelle n’est qu’un élément parmi d’autres et ne crée pas de droit automatique au séjour.
B. Une appréciation rigoureuse de la nature des risques encourus dans le pays d’origine
Le requérant soutenait qu’un retour en Arménie l’exposerait à des risques contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article L. 721-4 du CESEDA, en raison de l’obligation d’accomplir son service militaire dans un contexte de conflit armé, ou de l’emprisonnement en cas de refus. La cour écarte ce moyen en appliquant une grille d’analyse très stricte. Elle juge que l’intéressé « n’établit pas qu’il serait exposé à des risques réels et actuels » au sens de l’article 3. S’agissant de la menace pour sa liberté au sens du code, elle estime que le risque allégué « n’est pas personnellement établi et ne saurait être regardé comme caractérisant une menace pour sa liberté ». Cette décision s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle qui distingue la situation de violence généralisée ou les obligations civiques, même contraignantes, d’un risque personnel, direct et avéré de traitements prohibés. Il appartient au requérant de prouver que sa situation personnelle l’expose à un danger spécifique et individualisé, la seule perspective de la conscription, même dans un contexte tendu, ne suffisant pas à caractériser une telle menace.