Par un arrêt en date du 27 février 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions de délivrance d’un titre de séjour pour raisons de santé et sur l’appréciation des risques encourus par un étranger en cas de retour dans son pays d’origine. En l’espèce, une ressortissante kosovare, entrée en France en 2016, s’était vu refuser le renouvellement de son autorisation de séjour par l’autorité préfectorale, malgré une pathologie psychiatrique nécessitant une prise en charge constante. Cette décision administrative, assortie d’une obligation de quitter le territoire français, se fondait sur un avis du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) estimant que l’état de santé de l’intéressée, bien que réel, n’était pas d’une nature telle que l’interruption de son traitement entraînerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité. L’étrangère avait formé un recours devant le tribunal administratif, qui l’avait rejeté. Elle a donc interjeté appel de ce jugement, soutenant que le refus de séjour était entaché d’une erreur d’appréciation de sa situation médicale et personnelle, et qu’un renvoi dans son pays d’origine l’exposerait à des traitements contraires aux stipulations des articles 3 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment en raison du statut de réfugié récemment accordé à son fils pour des motifs liés à des menaces dans ce même pays. Il s’agissait donc pour la cour de déterminer, d’une part, si les éléments médicaux produits par la requérante étaient de nature à infirmer l’avis défavorable rendu par les médecins de l’OFII et, d’autre part, si le statut protecteur obtenu par un proche parent suffisait à caractériser un risque personnel et actuel pour l’intéressée ou une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. La cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que les certificats médicaux versés au dossier ne permettent pas de remettre en cause l’appréciation du collège de l’OFII sur l’absence de conséquences d’une exceptionnelle gravité. Elle juge en outre que ni le droit au respect de la vie privée et familiale, ni la protection contre les traitements inhumains et dégradants ne faisaient obstacle à la mesure d’éloignement, le risque encouru par son fils n’étant pas suffisant pour établir l’existence d’un risque personnel pour la requérante ou l’existence de liens privés et familiaux particulièrement intenses en France.
La décision commentée illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif contrôle les conditions d’octroi d’un titre de séjour pour raisons de santé, en réaffirmant la place centrale de l’expertise médicale diligentée par l’administration (I). Parallèlement, l’arrêt confirme une application stricte et individualisée des garanties conventionnelles, exigeant la démonstration d’une situation personnelle distincte de celle des membres de la famille (II).
I. Une appréciation rigoureuse de la condition médicale
La cour administrative d’appel, pour écarter le moyen tiré de l’erreur d’appréciation de l’état de santé, s’en remet largement à l’avis formulé par l’autorité médicale compétente (A), tout en soulignant l’insuffisance des preuves alternatives apportées par la requérante pour renverser cette appréciation (B).
A. La prééminence confirmée de l’avis du collège de l’OFII
Le raisonnement du juge s’articule autour de l’avis émis par le collège de médecins de l’OFII, conformément à l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Cet avis, bien que non liant pour l’autorité préfectorale, constitue l’élément pivot de l’appréciation de la situation médicale de l’étranger. En l’espèce, l’avis du 30 novembre 2021 concluait que si une prise en charge médicale était bien nécessaire, son absence n’entraînerait pas de conséquences d’une exceptionnelle gravité. La cour valide la décision du préfet qui s’est fondée sur cette conclusion. Elle estime en effet que les éléments produits par la requérante « ne permettent toutefois pas de combattre l’avis émis par le collège des médecins de l’OFII ». Cette formule révèle la force probante que le juge accorde à cette expertise administrative. La charge de la preuve est ainsi clairement définie : il appartient à l’étranger qui conteste une décision de refus basée sur un tel avis de fournir des éléments suffisamment probants pour en démontrer le caractère erroné.
B. La portée limitée des éléments de preuve contraires
La requérante avait produit plusieurs documents pour tenter de remettre en cause l’avis de l’OFII, notamment des certificats de son psychiatre traitant décrivant un « syndrome dépressif persistant » et une « évolution chronique avec déficit adaptatif majeur ». Cependant, la cour considère que ces documents, bien que témoignant de la fragilité de son état clinique, ne suffisent pas à établir le critère de l’exceptionnelle gravité des conséquences d’un arrêt des soins. Le juge écarte également l’argument tiré de la délivrance passée d’avis favorables par ce même collège de médecins, considérant cette circonstance comme « sans incidence sur la dialectique de la preuve ». De même, la perception d’une allocation aux adultes handicapés, bien qu’attestant d’un taux d’incapacité, est jugée sans effet sur l’appréciation spécifique requise par le code. Cette approche démontre que le contrôle juridictionnel ne porte pas sur la pathologie en elle-même, mais sur les conséquences prévisibles d’un défaut de prise en charge, telles qu’évaluées par l’instance spécialisée.
II. Une application individualisée des protections conventionnelles
Au-delà de la question médicale, la cour examine les moyens tirés de la Convention européenne des droits de l’homme en appliquant une grille d’analyse centrée sur la situation personnelle de la requérante, distincte de celle de ses proches (A), et en exigeant la preuve d’un risque direct pour écarter l’éloignement (B).
A. Le rejet d’une protection dérivée du droit à la vie privée et familiale
Concernant la violation alléguée de l’article 8 de la convention, la cour procède à une balance des intérêts. Elle reconnaît une durée de résidence de six ans mais relève que la requérante « ne justifie d’aucun début d’intégration personnelle en France ». De manière décisive, elle note que l’intéressée « n’allègue pas avoir conservé des liens familiaux avec son fils ». Le fait que ce dernier ait obtenu le statut de réfugié n’est pas jugé suffisant pour « établir qu’elle aurait définitivement ancré sa vie privée et familiale en France ». La cour refuse ainsi de faire découler automatiquement du statut d’un membre de la famille une protection pour un autre, en l’absence de la démonstration de liens effectifs et d’une vie familiale réellement constituée sur le territoire. Cette analyse rappelle que le droit au respect de la vie privée et familiale s’apprécie au regard de l’intensité des liens personnels et de l’intégration de la personne concernée, et non par simple filiation.
B. L’exigence d’un risque personnel et actuel au regard de l’article 3
S’agissant du grief tiré de l’article 3, la requérante soutenait qu’elle serait exposée à des traitements inhumains et dégradants en raison du statut de témoin de son fils dans une affaire de crimes de guerre. La cour écarte cet argument en soulignant que la requérante n’a pas eu elle-même cette qualité. Elle relève également que, contrairement à son fils, elle « ne ressort pas des pièces du dossier qu’elle aurait sollicité le réexamen de sa demande d’asile ». Le juge en conclut que la requérante n’établit pas courir des « risques actuels et personnels » en cas de retour. Cette motivation réaffirme une jurisprudence constante selon laquelle le risque prohibé par l’article 3 doit être direct, individualisé et suffisamment certain. La simple appartenance à la famille d’une personne menacée ne suffit pas à présumer l’existence d’un tel risque, l’intéressée devant apporter des éléments concrets attestant qu’elle est elle-même visée.