Cour d’appel administrative de Nancy, le 27 mai 2025, n°24NC01288

Par un arrêt en date du 27 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a été amenée à se prononcer sur les conditions de renouvellement d’une mesure d’assignation à résidence prise à l’encontre d’un étranger sous le coup d’une décision de transfert vers un autre État membre de l’Union européenne. En l’espèce, un ressortissant étranger, entré irrégulièrement sur le territoire national, avait vu sa demande d’asile faire l’objet d’une procédure de reprise en charge par les autorités d’un autre État membre, conformément au règlement européen dit « Dublin III ». L’autorité préfectorale compétente avait alors édicté une décision de transfert à son encontre, assortie d’une première mesure d’assignation à résidence. Cette mesure fut ensuite renouvelée pour une durée de quarante-cinq jours par un second arrêté, qui constitue l’acte contesté. L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Nancy d’une demande d’annulation de cet arrêté de renouvellement. Par un jugement du 11 mars 2024, le magistrat désigné a rejeté sa requête. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la condition d’impossibilité de quitter le territoire, exigée par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour justifier une telle mesure, n’était pas établie. Il arguait notamment que cette impossibilité devait découler d’une cause objective et non de son propre refus de déférer à la mesure d’éloignement. Se posait alors la question de savoir si le renouvellement d’une assignation à résidence peut être légalement fondé sur une impossibilité de quitter le territoire qui ne serait pas justifiée par des éléments matériels objectifs extérieurs à la volonté de l’intéressé. La cour administrative d’appel de Nancy rejette la requête, considérant que le requérant n’apportait aucun élément de preuve de nature à établir que son maintien sur le territoire ne résultait pas d’une impossibilité pour lui de le quitter.

La solution retenue par la cour administrative d’appel de Nancy s’inscrit dans une application stricte des dispositions encadrant le recours à l’assignation à résidence dans le cadre d’une procédure de transfert (I), tout en procédant à une interprétation de la condition d’impossibilité de départ qui soulève des interrogations quant à la charge de la preuve (II).

I. La confirmation des conditions de renouvellement de l’assignation à résidence

La cour administrative d’appel de Nancy valide le raisonnement des premiers juges en s’assurant du respect du cadre légal applicable au renouvellement de l’assignation (A) et en vérifiant la correcte application des critères par l’administration (B).

A. Le cadre légal de l’assignation à résidence en procédure de transfert

L’assignation à résidence d’un étranger faisant l’objet d’une décision de transfert est régie par des dispositions spécifiques du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’article L. 751-2 de ce code permet à l’autorité administrative de recourir à cette mesure coercitive, alternative au placement en rétention, « si l’étranger ne peut quitter immédiatement le territoire français mais que l’exécution de la décision de transfert demeure une perspective raisonnable ». Cette mesure initiale peut être renouvelée dans les conditions prévues par l’article L. 732-3 du même code. La décision commentée rappelle ainsi que la légalité du renouvellement est subordonnée à la persistance de ces deux conditions cumulatives. D’une part, une impossibilité factuelle ou juridique d’exécuter la mesure d’éloignement sans délai, et d’autre part, l’existence d’une perspective raisonnable que cette exécution puisse intervenir à brève échéance. Le juge administratif exerce donc un contrôle sur l’analyse de l’administration qui doit, au moment du renouvellement, s’assurer que le départ de l’étranger est toujours envisagé et réalisable.

B. L’application des critères par le juge administratif

Dans le cas d’espèce, l’autorité préfectorale avait justifié le renouvellement de la mesure par le fait que le transfert de l’intéressé n’avait pu être organisé durant la période initiale et que les diligences nécessaires étaient en cours pour y procéder. La cour observe que le requérant ne contestait pas sérieusement le fait que l’exécution de son transfert demeurait une « perspective raisonnable ». Le débat s’est ainsi concentré sur la première condition, à savoir l’impossibilité de quitter immédiatement le territoire. L’arrêt relève que l’administration s’est fondée sur la nécessité de poursuivre l’organisation du départ. En validant ce motif, le juge confirme que la simple poursuite des démarches administratives en vue de l’exécution du transfert suffit à caractériser l’impossibilité d’un départ immédiat. Il n’est pas exigé de l’administration qu’elle démontre l’existence d’un obstacle matériel insurmontable, tel que l’absence de vols ou la fermeture des frontières. Cette approche pragmatique confère une marge d’appréciation significative à l’autorité préfectorale pour maintenir l’étranger sous contrôle le temps nécessaire à l’organisation de son éloignement effectif.

Cette lecture extensive de la condition d’impossibilité, si elle se justifie par des impératifs de gestion des flux migratoires, conduit néanmoins à une interprétation discutable de la charge de la preuve pesant sur les parties.

II. L’interprétation extensive de la condition d’impossibilité de départ

La portée de l’arrêt réside principalement dans son analyse de la notion d’impossibilité de quitter le territoire, qui se traduit par une forme d’allègement de la charge probatoire de l’administration (A), consacrant ainsi une solution d’espèce favorable aux pratiques administratives (B).

A. La charge de la preuve de l’impossibilité de quitter le territoire

Le requérant soutenait que l’impossibilité de quitter le territoire devait reposer sur une cause objective et non sur son seul refus. La cour ne répond pas directement sur ce point mais opère un renversement de la charge de la preuve. Elle énonce que le requérant « n’apporte aucun commencement de preuve de nature à démontrer que son maintien sur le territoire français, à la date de renouvellement de l’assignation à résidence, ne résulte pas d’une impossibilité pour lui de le quitter immédiatement ». En exigeant de l’administré qu’il prouve une négation, à savoir que son maintien n’est pas dû à une impossibilité de départ, le juge adopte une position particulièrement rigoureuse. Traditionnellement, il appartient à l’administration, auteur de la décision restrictive de liberté, de justifier que les conditions légales de son édiction sont réunies. Or, en l’espèce, la cour semble se satisfaire de l’affirmation de l’administration et faire peser sur l’étranger la charge de démontrer l’absence d’obstacle à son départ. Une telle approche dispense l’autorité préfectorale de détailler les diligences entreprises et les difficultés concrètes rencontrées, se contentant d’invoquer la nécessité de poursuivre l’organisation du transfert.

B. Une solution d’espèce protectrice des prérogatives de l’administration

En définitive, cet arrêt apparaît davantage comme une décision d’espèce qu’un arrêt de principe destiné à clarifier durablement la notion d’impossibilité de départ. La solution s’explique en grande partie par la faiblesse de l’argumentation du requérant et son absence de production d’éléments probants. Toutefois, elle révèle une tendance jurisprudentielle à valider les mesures d’assignation à résidence sur la base de justifications relativement succinctes de l’administration. La portée de cette décision est donc avant tout pratique : elle conforte l’action des préfectures en leur permettant de prolonger le maintien sous contrôle d’un étranger sans avoir à apporter la preuve détaillée et objective des obstacles à l’exécution de la mesure d’éloignement. En validant une motivation minimale, le juge facilite le recours à l’assignation à résidence comme outil de gestion de la procédure de transfert, au risque d’affaiblir les garanties procédurales offertes aux personnes concernées. L’équilibre entre les prérogatives de l’État et la protection des libertés individuelles apparaît ici pencher nettement en faveur des premières.

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Hassan KOHEN
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