Cour d’appel administrative de Nancy, le 27 mai 2025, n°24NC03172

Par un arrêt en date du 27 mai 2025, une cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conditions de refus du bénéfice des conditions matérielles d’accueil à un demandeur d’asile. En l’espèce, un ressortissant étranger a sollicité l’asile plus de quatre-vingt-dix jours après son entrée sur le territoire national. En conséquence de ce dépôt tardif, l’Office français de l’immigration et de l’intégration lui a refusé l’octroi des conditions matérielles d’accueil, estimant que ce retard n’était justifié par aucun motif légitime. L’intéressé a alors saisi la juridiction administrative d’une demande d’annulation de cette décision. Par un jugement du 26 novembre 2024, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que son droit d’être entendu avant la prise de la décision défavorable avait été méconnu, que sa situation n’avait pas fait l’objet d’un examen sérieux et que l’appréciation du caractère non légitime du motif de son retard était erronée. Il se posait donc à la cour la question de savoir si la méconnaissance du droit d’être entendu, garanti par le droit de l’Union européenne, doit systématiquement entraîner l’annulation d’une décision de refus des conditions matérielles d’accueil. Par la décision commentée, la cour administrative d’appel rejette la requête, considérant que si le droit d’être entendu a bien été méconnu, cette irrégularité n’a pas privé l’intéressé d’une chance de faire valoir une défense qui aurait pu aboutir à un résultat différent.

La solution retenue par la cour administrative d’appel met en lumière une tension entre la reconnaissance formelle d’une garantie procédurale et son application pratique. Si la cour consacre l’existence d’une violation du droit d’être entendu (I), elle en neutralise aussitôt la portée par une appréciation souveraine et restrictive des justifications apportées par le requérant (II).

I. La reconnaissance d’une garantie procédurale à l’efficacité conditionnée

La cour admet sans détour que la procédure suivie par l’administration est irrégulière au regard du droit de l’Union européenne (A), mais elle soumet les conséquences d’une telle irrégularité à une condition d’influence sur la décision finale, ce qui en limite considérablement l’effet (B).

A. La constatation d’une méconnaissance du droit d’être entendu

La cour fonde son raisonnement sur l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui consacre le droit de toute personne « d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ». Elle constate qu’en l’espèce, l’administration a manqué à cette obligation. En effet, elle relève que lors de l’entretien évaluant sa vulnérabilité, le demandeur n’a pas été spécifiquement informé des conséquences d’un dépôt tardif ni de la possibilité de présenter des justifications à ce titre. La décision de refus lui a été notifiée immédiatement après cet entretien, sans lui laisser l’opportunité de s’expliquer sur ce point précis. La cour est donc très claire lorsqu’elle affirme que « l’intéressé n’a pas été mis en mesure d’invoquer un motif pouvant légitimer le non-respect du dépôt de sa demande d’asile dans le délai de quatre-vingt-dix jours ». Cette reconnaissance formelle de l’irrégularité procédurale est importante, car elle confirme que l’entretien de vulnérabilité ne peut se substituer à la mise en œuvre effective du principe du contradictoire sur chaque motif potentiel de refus.

B. La neutralisation de l’irrégularité par le contrôle de son influence

Toutefois, après avoir posé ce principe, la cour en annule immédiatement les effets en appliquant une jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle vérifie si, en l’absence de cette irrégularité, la décision de l’administration aurait pu être différente. C’est un contrôle de l’utilité de la garantie violée. Le juge administratif examine lui-même les justifications que le requérant aurait pu présenter à l’administration. En l’espèce, la justification tenait à la nécessité d’attendre que son frère, en situation régulière, trouve un logement pour l’assister. La cour juge qu’une « telle circonstance ne peut être regardée comme étant de nature à exercer, si elle avait été portée à la connaissance de l’OFII, une influence sur le sens de la décision litigieuse ». Ce faisant, le juge se substitue à l’administration pour apprécier la validité de l’argument et conclut que la violation de la procédure a été sans conséquence. Cette approche pragmatique vide de sa substance la portée de la garantie procédurale, qui n’est plus une protection absolue mais une simple faculté dont l’utilité est appréciée a posteriori par le juge.

II. Une conception rigoureuse du motif légitime justifiant le dépôt tardif

Au-delà de la question procédurale, l’arrêt illustre la sévérité avec laquelle le juge apprécie les justifications avancées par les demandeurs d’asile (A), ce qui confirme une approche restrictive qui privilégie la célérité des démarches administratives au détriment des situations individuelles complexes (B).

A. Le rejet des justifications liées au soutien familial

La cour examine les motifs de fond pour écarter l’existence d’une erreur d’appréciation de l’administration. Le requérant invoquait les difficultés rencontrées par son frère pour se loger, ce dernier devant l’assister dans ses démarches. La cour ne considère pas cette situation comme un « motif légitime justifiant le dépôt tardif de sa demande d’asile ». Au contraire, elle retourne l’argument contre le demandeur en soulignant qu’il « bénéficiait au contraire d’un soutien familial en France ». Elle ajoute également que l’intéressé a attendu près d’un mois après que son frère eut signé un contrat de location pour déposer sa demande. Cette interprétation démontre une appréciation très stricte des contraintes personnelles et familiales. Le soutien familial est perçu non comme une condition préalable à l’engagement des démarches, mais comme un atout qui aurait dû permettre au requérant de respecter les délais. Cette position place sur le demandeur d’asile une lourde charge de la preuve et minimise les obstacles pratiques qu’il peut rencontrer, même entouré.

B. La primauté de l’exigence de célérité sur les garanties du demandeur

En définitive, cette décision révèle une orientation jurisprudentielle qui fait prévaloir l’objectif de maîtrise des flux migratoires et de traitement rapide des demandes d’asile. Le délai de quatre-vingt-dix jours prévu par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est interprété comme une exigence quasi impérative, dont les exceptions sont admises avec une grande parcimonie. En validant une décision administrative malgré une irrégularité procédurale avérée et en retenant une définition étroite du « motif légitime », la cour envoie un signal clair. Elle confirme que le non-respect des délais procéduraux par les demandeurs d’asile emporte des conséquences sévères, et que seules des circonstances d’une exceptionnelle gravité, directement liées à l’impossibilité d’agir, sont susceptibles d’être prises en compte. Cette solution, si elle est cohérente avec une logique de gestion administrative, pose la question de l’équilibre entre les exigences de célérité et la prise en compte effective de la vulnérabilité et des parcours individuels des demandeurs d’asile.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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