Par un arrêt en date du 27 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur la légalité du licenciement pour insuffisance professionnelle d’un fonctionnaire de l’Éducation nationale. En l’espèce, un professeur certifié d’allemand, titularisé en 2014, a fait l’objet d’une mesure de licenciement pour insuffisance professionnelle le 29 janvier 2021. Cette décision était motivée par des carences pédagogiques et didactiques, des difficultés de gestion de classe, des propos inappropriés tenus aux élèves et des manquements en matière de surveillance lors de sorties scolaires. L’agent a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande d’annulation de cet arrêté. Par un jugement du 20 janvier 2022, le tribunal a rejeté sa demande. Le professeur a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs moyens de légalité externe, tels que l’incompétence de l’auteur de l’acte ou l’irrégularité de la commission administrative paritaire, ainsi qu’un moyen de légalité interne tiré de l’erreur d’appréciation. Le requérant soutenait que les faits qui lui étaient reprochés ne justifiaient pas une telle mesure, que certains relevaient en réalité de la faute disciplinaire et qu’il n’avait pas bénéficié d’un accompagnement suffisant de la part de sa hiérarchie. À l’inverse, l’administration concluait au rejet de la requête, estimant que les manquements répétés et dûment constatés sur plusieurs années caractérisaient bien une insuffisance professionnelle justifiant une mesure d’éviction. Il était ainsi demandé à la cour de déterminer si des agissements susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire peuvent légalement fonder un licenciement pour insuffisance professionnelle. Il lui revenait également d’apprécier si, au cas d’espèce, les carences de l’agent étaient d’une gravité telle qu’elles justifiaient son licenciement. La cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant par là même le jugement de première instance. Elle juge que la qualification d’insuffisance professionnelle n’est pas entachée d’illégalité par la circonstance que certains faits pourraient être qualifiés de fautes disciplinaires, dès lors qu’ils révèlent une inaptitude générale de l’agent à exercer ses fonctions. La cour estime en outre que l’accumulation des manquements constatés de manière concordante par la hiérarchie et les corps d’inspection justifiait la décision de l’administration.
La solution retenue par les juges d’appel permet de réaffirmer la frontière conceptuelle qui sépare l’insuffisance professionnelle de la faute disciplinaire (I), tout en illustrant l’office classique du juge administratif dans le contrôle de l’appréciation portée par l’administration sur la manière de servir d’un de ses agents (II).
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I. La distinction maintenue entre insuffisance professionnelle et faute disciplinaire
La cour rappelle avec fermeté que le licenciement pour insuffisance professionnelle obéit à une logique propre, distincte de la procédure disciplinaire. Elle confirme ainsi l’autonomie de la notion d’insuffisance professionnelle (A), laquelle doit toutefois reposer sur la démonstration d’une inaptitude générale à l’exercice des fonctions (B).
A. L’autonomie de la notion d’insuffisance professionnelle
L’arrêt énonce clairement que la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle et la procédure disciplinaire sont indépendantes, même si elles peuvent être initiées sur le fondement de faits similaires. La cour juge en effet que « la circonstance que certains des faits retenus pour justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle seraient susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire, n’est pas, par elle-même, de nature à entacher cette mesure d’illégalité ». Cette position, conforme à une jurisprudence constante, repose sur la différence d’objet entre les deux mesures. La sanction disciplinaire vise à réprimer un manquement volontaire aux obligations professionnelles de l’agent. Le licenciement pour insuffisance professionnelle, quant à lui, ne revêt pas un caractère punitif mais vient constater une inaptitude de l’agent à accomplir les tâches qui lui incombent. L’administration n’a donc pas à choisir une qualification plutôt qu’une autre, les deux procédures pouvant être menées concurremment ou successivement si les faits le justifient.
B. La condition d’une inaptitude générale à l’exercice des fonctions
Si les deux notions sont autonomes, la cour précise la condition essentielle permettant de fonder un licenciement pour insuffisance professionnelle. La mesure doit se fonder « sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent au regard des exigences de capacité qu’elle est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de son grade ». Ce faisant, elle écarte la possibilité de licencier un agent pour une « carence ponctuelle ». L’insuffisance doit être structurelle et révéler une incapacité globale à exercer les missions correspondant au corps et au grade de l’intéressé. C’est cette exigence d’une inaptitude générale qui constitue le principal garde-fou contre d’éventuels détournements de procédure, par lesquels l’administration chercherait à se séparer d’un agent pour des motifs qui relèveraient en réalité d’une sanction déguisée. Le caractère répété et varié des manquements est donc déterminant pour établir l’inaptitude et justifier une mesure d’une telle gravité.
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II. Le contrôle restreint du juge sur l’appréciation de l’administration
Une fois le cadre juridique posé, la cour procède à l’examen des faits de l’espèce en exerçant son contrôle sur la décision administrative. Elle s’attache à vérifier la matérialité des faits reprochés (A) avant de se prononcer sur la justesse de leur qualification juridique (B), sans pour autant substituer son appréciation à celle de l’administration.
A. La vérification de la matérialité et de la concordance des faits
Le juge administratif opère un contrôle normal de l’exactitude matérielle des faits qui fondent la décision. Dans cette affaire, la cour prend soin de relever que les griefs ne sont pas isolés mais ont été établis par un faisceau d’indices concordants. Elle souligne ainsi que « Ces constats ont été réitérés de manière concordante par l’ensemble des chefs d’établissements sous l’autorité desquels [l’agent] a été amené à exercer au cours des cinq dernières années, ainsi que par les différents inspecteurs d’académie l’ayant évalué ». La cour s’appuie également sur « les inquiétudes et plaintes de nombreux élèves et parents d’élèves ». Cette méthode démontre que l’appréciation de l’administration ne reposait pas sur des éléments subjectifs ou partiaux, mais sur un dossier solide, documenté sur une longue période et étayé par des rapports hiérarchiques et des évaluations pédagogiques convergentes. L’existence de mesures d’accompagnement, restées sans effet, vient renforcer la conviction du juge quant à la réalité des difficultés de l’agent.
B. La confirmation de la qualification juridique opérée par l’administration
Après avoir validé la matérialité des faits, la cour exerce un contrôle restreint à l’erreur manifeste sur la qualification juridique de ces faits en insuffisance professionnelle. Il ne lui appartient pas de déterminer si elle aurait pris la même décision que l’administration, mais seulement de vérifier que cette dernière n’a pas commis d’erreur d’appréciation grossière. En l’espèce, la diversité et la récurrence des manquements, touchant tant à la pédagogie qu’à la gestion de classe ou à la sécurité des élèves, ainsi que l’incapacité de l’agent à se remettre en cause malgré l’aide apportée, conduisent la cour à écarter l’existence d’une telle erreur. Elle note que l’agent « ne justifie d’aucune amélioration ni même d’une capacité de remise en cause de ses méthodes d’enseignement ». Par conséquent, les faits, dans leur ensemble, étaient d’une gravité suffisante pour caractériser une inaptitude générale à exercer les fonctions de professeur et pour justifier légalement la mesure de licenciement.