Une décision de la cour administrative d’appel de Nancy en date du 28 janvier 2025 vient préciser les conditions d’octroi des régimes indemnitaires des fonctionnaires de l’État mis à disposition. En l’espèce, une fonctionnaire du corps des chargés d’études documentaires, affectée depuis 1990 dans un service départemental d’archives, a été formellement placée en position de mise à disposition auprès de ce même service à compter du 1er juillet 2013. S’estimant lésée, elle a sollicité le bénéfice du régime indemnitaire applicable aux agents exerçant en administration centrale pour la période de 2015 à 2019.
Suite au rejet implicite de sa demande par le ministre de la culture, la requérante a saisi le tribunal administratif de Besançon, qui a rejeté sa requête par un jugement du 6 mai 2021. La fonctionnaire a alors interjeté appel de cette décision. Elle soutenait que son statut de mise à disposition lui ouvrait droit à la rémunération correspondante à son emploi d’origine, incluant les indemnités les plus favorables de l’administration centrale, et que le refus qui lui a été opposé méconnaissait le principe d’égalité de traitement entre les agents publics. Se posait alors la question de savoir si un fonctionnaire de l’État, mis à disposition d’un service départemental au sein duquel il exerçait déjà, peut prétendre au bénéfice du régime indemnitaire des administrations centrales au seul motif de ce statut.
La cour administrative d’appel répond par la négative à cette question. Elle juge que le droit au maintien des indemnités spécifiques à une affectation en administration centrale est subordonné à la condition que l’agent ait effectivement occupé un tel emploi au moment de sa mise à disposition. La situation de fait antérieure de l’agent primant sur le formalisme du statut, la cour confirme que la requérante ne pouvait prétendre qu’au régime indemnitaire des services déconcentrés, et rejette en conséquence sa requête. La solution, qui repose sur une interprétation stricte des textes régissant la rémunération des agents mis à disposition (I), conduit logiquement à la validation des montants indemnitaires versés à l’agent sous l’empire des régimes successifs (II).
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I. Une interprétation stricte des conditions de rémunération en cas de mise à disposition
La cour, pour rejeter la demande de la requérante, rappelle d’abord que l’éligibilité au régime indemnitaire de l’administration centrale est conditionnée à une affectation effective préalable (A), ce qui justifie l’absence de rupture du principe d’égalité de traitement (B).
A. L’exigence d’une affectation antérieure en administration centrale
La position de l’agent reposait sur une lecture extensive de l’article 41 de la loi du 11 janvier 1984, qui dispose que le fonctionnaire mis à disposition « est réputé occuper son emploi » et « continue à percevoir la rémunération correspondante ». Toutefois, la cour précise la portée de ce principe en matière indemnitaire. Elle énonce que, si les agents mis à disposition peuvent conserver le bénéfice de certaines indemnités, c’est uniquement « dans le cas où ils occupaient, au moment de leur mise à disposition, un emploi dans un service d’administration centrale ouvrant droit à ces indemnités ». Le juge subordonne ainsi le maintien d’un avantage financier lié à un lieu d’exercice à la réalité de cet exercice au moment du changement de position administrative.
En l’espèce, il est établi que la requérante, avant sa mise à disposition formelle en 2013, était déjà affectée depuis 1990 dans le service départemental d’archives. Elle n’a donc jamais quitté un poste en administration centrale pour être mise à disposition, mais a simplement vu sa situation administrative régularisée au sein de son service d’affectation. La cour en déduit que la condition d’une affectation antérieure en administration centrale n’est pas remplie, ce qui rend l’agent inéligible au régime indemnitaire qu’elle revendiquait. Cette analyse factuelle rigoureuse neutralise la portée juridique que la requérante entendait donner à sa seule position de mise à disposition.
B. L’absence de méconnaissance du principe d’égalité
Conséquence directe de cette interprétation, le moyen tiré de la violation du principe d’égalité de traitement entre les agents publics ne pouvait prospérer. La requérante se comparait aux agents de son corps exerçant en administration centrale et percevant une rémunération supérieure. Cependant, la cour rappelle avec force que, pour apprécier le respect de ce principe, il convient de vérifier si des agents placés dans des situations de droit et de fait différentes font l’objet d’un traitement différent.
Or, le juge souligne que « les fonctionnaires affectés en administration centrale n’étaient pas, jusqu’au 1er juillet 2017, s’agissant du régime indemnitaire, dans la même situation de droit ». En effet, jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau régime indemnitaire (RIFSEEP), des textes réglementaires distincts gouvernaient l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS) selon que l’agent relevait d’un service central ou déconcentré. Cette différence de situation juridique, fondée sur des décrets spécifiques, justifiait donc objectivement une différence de traitement indemnitaire. La cour écarte ainsi le grief d’inégalité, la distinction opérée par les textes n’étant pas arbitraire mais directement liée au lieu d’affectation de l’agent.
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II. La validation du régime indemnitaire appliqué à l’agent
Une fois le principe de l’inapplicabilité du régime de l’administration centrale posé, la cour examine le bien-fondé des sommes effectivement perçues par la requérante. Elle confirme l’absence d’erreur d’appréciation, que ce soit au titre de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (A) ou du nouveau régime unifié (B).
A. La régularité de l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires versée avant 2017
Pour la période allant de 2015 au 30 juin 2017, l’agent a perçu l’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS) applicable aux services déconcentrés. La requérante soutenait que le montant versé était insuffisant. La cour procède à un contrôle concret et constate que le montant annuel de 5 585,68 euros perçu par l’agent, pour un temps de travail à 90 %, était « supérieur à cinq fois le montant moyen de l’IFTS attribué aux agents de son grade exerçant leurs fonctions dans les administrations déconcentrées ».
Face à un tel écart positif par rapport à la moyenne de référence, et en l’absence de tout élément probant apporté par la requérante pour démontrer une insuffisance manifeste, le juge conclut logiquement à l’absence d’erreur d’appréciation de l’administration. Cette analyse chiffrée met en évidence que, non seulement l’administration a appliqué le bon régime indemnitaire, mais qu’elle l’a fait dans des conditions qui ne sauraient être qualifiées de minimalistes ou de fautives, privant ainsi de toute portée le grief de la requérante.
B. La conformité du régime indemnitaire appliqué postérieurement à 2017
À compter du 1er juillet 2017, le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) a remplacé la plupart des primes et indemnités antérieures, dont l’IFTS. Ce nouveau régime a notamment eu pour effet de supprimer la distinction entre services centraux et déconcentrés au profit d’une logique de groupes de fonctions. La cour observe que l’agent, adjointe au directeur des archives départementales, a été classée dans le groupe 1, soit le plus élevé pour son corps.
Elle relève que les montants perçus à ce titre, de 7 314 euros puis 8 228,76 euros en année pleine, étaient « très supérieurs au socle indemnitaire de son groupe de fonctions ». De la même manière que pour la période précédente, la cour conclut à l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. Cette seconde validation confirme que, même après l’unification des régimes indemnitaires, le traitement de l’agent n’a souffert d’aucune illégalité. La décision illustre ainsi la portée d’une réforme réglementaire qui a, en pratique, mis fin au type de litige qui était soumis au juge.