Cour d’appel administrative de Nancy, le 28 janvier 2025, n°23NC01315

Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour un étranger diplômé passant d’un statut de recherche d’emploi à celui de travailleur temporaire. En l’espèce, une ressortissante étrangère était entrée régulièrement en France pour y poursuivre des études supérieures. À l’issue de sa formation, elle avait obtenu une carte de séjour portant la mention « recherche d’emploi ou création d’entreprise », puis un contrat de travail à durée déterminée avec une université. Elle a alors sollicité un changement de statut afin d’obtenir une carte de séjour en qualité de « travailleur temporaire ». L’autorité préfectorale a opposé un refus à sa demande, assorti d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de renvoi. La requérante a saisi le tribunal administratif, qui a rejeté son recours. Elle a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la situation de l’emploi ne lui était pas opposable en application des dispositions spécifiques du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La cour administrative d’appel, après avoir annulé le jugement de première instance pour omission à statuer sur une partie des conclusions, a examiné l’ensemble du litige. Le bénéfice de la non-opposabilité de la situation de l’emploi, accordé au titulaire d’une carte « recherche d’emploi » qui sollicite un titre de « travailleur temporaire », le dispense-t-il de l’obligation de détenir une autorisation de travail valide pour l’intégralité de son contrat au moment où l’administration statue ? La cour répond par la négative, considérant que l’absence d’une autorisation de travail en cours de validité pour la totalité du contrat justifie le refus de titre, nonobstant les dispositions plus favorables relatives à la situation de l’emploi. Elle juge en outre qu’un séjour de plusieurs années à des fins d’études et une première expérience professionnelle ne suffisent pas, en l’absence d’autres liens personnels particulièrement intenses, à caractériser une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale. Cette décision, en appliquant de manière rigoureuse les conditions cumulatives d’accès au séjour pour motif professionnel, confirme la portée limitée des régimes dérogatoires (I), tout en procédant à une appréciation restrictive des liens personnels et familiaux de l’étrangère (II).

I. La portée limitée des facilités d’accès au séjour pour les étudiants diplômés

La décision commentée clarifie l’articulation des conditions requises pour le passage du statut d’étudiant diplômé à celui de salarié. Elle rappelle ainsi que le bénéfice de la non-opposabilité de la situation de l’emploi ne dispense pas de la nécessité d’une autorisation de travail en règle (A), consacrant une interprétation stricte de la finalité du titre de séjour pour « recherche d’emploi » (B).

A. Le maintien de l’exigence d’une autorisation de travail valide

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile organise une passerelle pour les étudiants étrangers ayant obtenu un diplôme au moins équivalent au grade de master. L’article L. 422-11 prévoit notamment que pour la délivrance d’une carte de séjour « travailleur temporaire », la situation de l’emploi n’est pas opposable à l’intéressé. La cour administrative d’appel ne remet pas en cause ce principe mais en précise la portée en le confrontant à l’exigence générale posée par l’article L. 421-3 du même code. Ce dernier subordonne la délivrance du titre de séjour « travailleur temporaire » à la détention préalable d’une autorisation de travail. Dans le cas d’espèce, le contrat de travail de la requérante avait été renouvelé, mais cette seconde période n’était pas couverte par une autorisation de travail valide. La juridiction en déduit que le préfet était fondé à rejeter la demande de titre de séjour. Elle énonce ainsi qu’« en refusant de délivrer un titre de séjour en qualité de « travailleur temporaire » […] au motif que l’intéressée ne justifiait pas d’une autorisation de travail, le préfet n’a pas méconnu les dispositions de l’article L. 421-3 ». L’arrêt souligne par conséquent que la facilité accordée par le législateur ne constitue pas une exemption générale mais une simple dérogation à l’un des critères d’octroi de l’autorisation de travail.

B. Une conception stricte de la transition vers l’emploi

En validant le raisonnement de l’autorité préfectorale, la cour administrative d’appel rappelle que le titre de séjour « recherche d’emploi ou création d’entreprise » est un titre précaire et non renouvelable, dont l’objet est de permettre une première expérience professionnelle ou la préparation d’un projet entrepreneurial. La solution retenue confirme que les avantages liés à ce statut ne sauraient pallier les manquements dans l’accomplissement des autres formalités administratives. Il ressort en effet des faits que l’autorisation de travail n’a pas été accordée pour le renouvellement du contrat « en raison de l’absence de justificatif de dépôt de l’offre d’emploi auprès du service public de l’emploi ». La décision met ainsi en lumière la diligence attendue de l’étranger et de son employeur dans la constitution du dossier. La non-opposabilité de la situation de l’emploi ne dispense pas de l’obligation de solliciter, et d’obtenir, une autorisation de travail en bonne et due forme pour chaque contrat ou avenant. Cet arrêt, bien que rendu au regard d’une situation particulière, a une portée générale en ce qu’il réaffirme la hiérarchie des normes et des conditions à remplir pour un changement de statut.

II. L’appréciation restrictive de l’intégration personnelle et familiale

Parallèlement à l’examen des conditions d’accès au séjour pour motif professionnel, la cour se prononce sur le droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. Elle mobilise pour ce faire une grille d’analyse traditionnelle des critères d’intégration (A), qui la conduit à considérer que le parcours d’études et le début de carrière ne suffisent pas à établir une intégration déterminante (B).

A. L’application des critères traditionnels de l’atteinte à la vie privée

Conformément à une jurisprudence constante, l’appréciation d’une éventuelle atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, repose sur une mise en balance des intérêts en présence. La cour examine l’intensité, l’ancienneté et la stabilité des liens personnels et familiaux de l’intéressée en France, au regard de ses conditions d’existence, de son insertion et des attaches conservées dans son pays d’origine. En l’espèce, la juridiction relève que la requérante est entrée en France à l’âge de vingt-trois ans, qu’elle est célibataire et sans charge de famille. Elle estime que si l’intéressée « se prévaut de liens forts et d’une parfaite intégration, elle n’apporte pas d’éléments suffisants permettant d’établir l’ancienneté et l’intensité des liens personnels et familiaux qu’elle aurait développés en France ». Le fardeau de la preuve repose donc entièrement sur la ressortissante étrangère, qui doit démontrer le caractère prépondérant de ses liens en France.

B. La portée limitée de l’intégration par les études et le travail

Cette décision confirme que la présence sur le territoire national, même pour une durée de plusieurs années, au titre d’un statut d’étudiant, ne constitue pas en soi un élément suffisant pour établir le centre de sa vie privée et familiale en France. Le parcours universitaire et le début d’une carrière professionnelle sont considérés comme des éléments d’insertion parmi d’autres, mais ils ne sauraient à eux seuls emporter la conviction du juge et rendre disproportionnée une mesure de refus de séjour suivie d’une obligation de quitter le territoire. En rejetant ce moyen, la cour réaffirme la distinction fondamentale entre l’immigration choisie pour des motifs temporaires, comme les études, et une installation pérenne créatrice de droits au séjour sur le fondement de la vie privée. La solution, bien que rigoureuse, s’inscrit dans une logique de contrôle de la finalité du séjour et préserve la marge d’appréciation de l’autorité administrative dans l’évaluation globale de la situation personnelle de l’étranger.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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