Par un arrêt en date du 28 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy a précisé les conditions de régularité de la procédure contradictoire préalable au retrait d’un titre de séjour, dans le contexte d’un changement d’adresse de l’administré.
En l’espèce, un ressortissant étranger, admis au séjour en France au titre du regroupement familial, s’était vu délivrer un certificat de résidence d’un an. Ayant changé de domicile, il avait souscrit auprès des services postaux un contrat de réexpédition de son courrier vers sa nouvelle adresse. Postérieurement, l’administration préfectorale, envisageant de retirer son titre de séjour en raison d’une rupture de la vie commune, lui a adressé un courrier l’invitant à présenter ses observations. Ce pli, envoyé à l’ancienne adresse, fut retourné à l’expéditeur avec la mention « Destinataire inconnu à l’adresse ». Le préfet a alors prononcé le retrait du titre de séjour et a assorti cette décision d’une obligation de quitter le territoire français.
Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal administratif de Besançon a rejeté la demande de l’intéressé par un jugement du 1er juin 2023. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la procédure contradictoire préalable avait été méconnue, ce qui constituait une violation de ses droits. La question de droit soumise aux juges d’appel était donc de savoir si l’administration respecte la procédure contradictoire lorsqu’elle envoie un courrier à la dernière adresse connue de l’administré, alors que celui-ci a souscrit un contrat de réexpédition de courrier auprès des services postaux qui, par leur propre défaillance, n’ont pas acheminé le pli à la nouvelle adresse.
La Cour administrative d’appel de Nancy a répondu par la négative à cette question. Elle juge que l’administré qui prend une telle précaution ne peut se voir opposer une irrégularité de notification imputable à un tiers. La décision de retrait, intervenue sans que l’intéressé ait pu faire valoir ses observations, est entachée d’une irrégularité de procédure le privant d’une garantie. En conséquence, la Cour annule le jugement de première instance ainsi que l’arrêté préfectoral.
Cette solution conduit à réaffirmer l’importance de la procédure contradictoire comme une garantie substantielle pour l’administré (I), tout en clarifiant la répartition des diligences en matière de notification administrative dans une situation de changement de domicile (II).
***
I. La réaffirmation du principe du contradictoire comme garantie substantielle
La décision commentée rappelle avec force que le respect de la procédure contradictoire est une condition de légalité externe des décisions administratives individuelles défavorables. La Cour consacre une interprétation protectrice des droits de l’administré en jugeant que la souscription d’un contrat de réexpédition postale constitue une diligence suffisante (A), dont le non-respect par les services postaux vicie la procédure administrative subséquente (B).
A. La diligence de l’administré appréciée au regard des précautions prises
En principe, il incombe à l’étranger titulaire d’un titre de séjour de déclarer son changement de résidence à l’autorité administrative, comme le prévoit l’article R. 431-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Toutefois, la Cour ne s’en tient pas à une application littérale de cette obligation. Elle examine le comportement concret de l’administré pour déterminer s’il a agi avec la diligence requise.
La juridiction d’appel estime que l’intéressé a satisfait à son obligation de prudence en informant La Poste de sa nouvelle adresse et en demandant la réexpédition de son courrier. Elle formalise ce raisonnement en énonçant que l’administré « prend néanmoins les précautions nécessaires pour que le courrier lui soit adressé à sa nouvelle adresse, et ne puisse donc lui être régulièrement notifié qu’à celle-ci, lorsqu’il informe La Poste de sa nouvelle adresse en demandant que son courrier y soit réexpédié ». Ce faisant, le juge considère que l’administré a mis en œuvre les moyens raisonnables pour continuer à recevoir les communications de l’administration. Cette approche pragmatique évite de faire peser sur lui les conséquences d’une défaillance qui ne lui est pas imputable.
B. L’irrégularité de la procédure résultant de la défaillance du service postal
La conséquence de cette diligence de l’administré est que la notification du courrier préfectoral ne pouvait plus être régulièrement effectuée à l’ancienne adresse. Le retour du pli à la préfecture avec la mention « Destinataire inconnu à l’adresse » ne saurait dès lors attester d’une présentation régulière. La Cour en déduit logiquement que la lettre du 19 janvier 2023 « ne peut être regardée comme ayant été régulièrement notifiée ».
Dès lors, la procédure contradictoire préalable, exigée par les articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration, n’a pas été respectée. Le juge qualifie cette irrégularité de substantielle, en précisant qu’elle a « privé M. B… d’une garantie ». Cette formule classique signifie que l’irrégularité n’est pas une simple erreur de forme, mais une atteinte aux droits de la défense de l’administré, qui a été privé de la possibilité de présenter des observations utiles avant que la décision ne soit prise. L’annulation de l’acte pour vice de procédure s’imposait donc.
II. La portée d’une solution pragmatique et protectrice
Au-delà de son application au cas d’espèce, la décision de la Cour administrative d’appel de Nancy apporte un éclairage utile sur la gestion du risque lié aux notifications administratives (A) et sur les conséquences précises d’une annulation contentieuse pour vice de procédure (B).
A. Une clarification de la charge du risque de défaillance postale
Cet arrêt opère une répartition équilibrée du risque de dysfonctionnement du service postal. En considérant que l’administré a rempli ses obligations par la souscription d’un contrat de réexpédition, le juge fait implicitement supporter les conséquences de la défaillance de La Poste à l’administration. L’administration ne peut se prévaloir d’une tentative de notification à une adresse que l’administré a pourtant pris soin de quitter dans les règles.
Cette solution renforce la sécurité juridique de l’administré, qui pourrait se trouver dans une situation précaire si une décision grave était prise à son insu en raison d’une erreur d’un tiers. La valeur de cet arrêt réside ainsi dans son réalisme. Il prend acte d’une pratique courante lors d’un déménagement et lui attache des effets juridiques protecteurs, sans pour autant exonérer l’administré de toute diligence. La portée de cette jurisprudence, bien que limitée à une hypothèse factuelle précise, intéressera toutes les administrations dans leur pratique des notifications individuelles.
B. Des effets de l’annulation contentieuse strictement circonscrits
La Cour tire avec rigueur les conséquences de l’annulation de l’arrêté préfectoral. L’annulation d’un acte de retrait a pour effet de rétablir l’acte initial. Le certificat de résidence se trouve ainsi restauré dans sa validité. Le juge en déduit qu’il n’y a pas lieu d’enjoindre au préfet de délivrer un nouveau titre ou de réexaminer la situation de l’intéressé, car l’exécution de l’arrêt n’implique pas nécessairement de telles mesures.
En revanche, la Cour constate que l’arrêté annulé avait servi de fondement à une inscription de l’intéressé au fichier des personnes recherchées. L’annulation de la cause impliquant l’annulation de la conséquence, le juge enjoint au préfet de procéder à l’effacement de cette inscription dans un bref délai. Cette approche démontre une juste appréciation de l’office du juge administratif, qui ne s’immisce dans l’action de l’administration que dans la mesure strictement nécessaire à l’exécution de sa décision, garantissant ainsi l’effectivité du recours juridictionnel.