Cour d’appel administrative de Nancy, le 28 mai 2025, n°23NC02835

Par un arrêt en date du 28 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur les conditions d’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de régularisation des ressortissants algériens. En l’espèce, un citoyen de nationalité algérienne, entré régulièrement en France en 2016, s’y était maintenu après l’expiration de son visa de court séjour. Il avait sollicité en 2022 la délivrance d’un titre de séjour sur le fondement de sa vie privée et familiale, notamment en sa qualité de proche aidant indispensable à son fils majeur, atteint d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité.

Cette demande a fait l’objet d’une décision de refus de la part de l’autorité préfectorale le 13 juillet 2022. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Nancy a annulé cette décision par un jugement du 17 août 2023, estimant que le préfet avait commis une erreur manifeste dans l’appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle du requérant. L’administration a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que les premiers juges avaient statué au-delà des demandes, commis une erreur d’appréciation en se fondant sur des éléments postérieurs à la décision attaquée et omis de procéder à un examen global de la situation de l’étranger. Se posait dès lors à la cour la question de savoir si le refus d’user du pouvoir discrétionnaire de régularisation était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de la situation de dépendance d’un enfant majeur, gravement malade, à l’égard de son parent.

La cour administrative d’appel rejette la requête du préfet, confirmant ainsi l’annulation de la décision de refus de séjour. Elle juge qu’en dépit du caractère discrétionnaire de son pouvoir de régularisation, l’autorité préfectorale a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation en ne prenant pas en compte la dépendance totale du fils majeur, dont l’état de santé justifiait la présence indispensable de son père.

La décision de la cour conforte ainsi l’analyse des premiers juges en validant le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation dans un contexte humanitaire particulier (I), tout en inscrivant sa solution dans le cadre d’une décision d’espèce dont la portée doit être mesurée (II).

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I. La consolidation du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation face à une situation humanitaire impérieuse

La cour administrative d’appel rappelle d’abord le cadre juridique spécifique applicable aux ressortissants algériens, qui ne sont pas éligibles à l’admission exceptionnelle au séjour de droit commun, mais peuvent bénéficier d’une régularisation au titre du pouvoir discrétionnaire du préfet (A). Elle confirme ensuite que le refus d’exercer ce pouvoir est entaché d’une erreur manifeste lorsque des circonstances exceptionnelles, tenant à l’état de santé d’un proche, ne sont pas dûment prises en considération (B).

A. Le rappel du pouvoir discrétionnaire de régularisation des ressortissants algériens

La situation des ressortissants algériens en matière de séjour est régie de manière exclusive par l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Cet accord ne contient pas de disposition équivalente à l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permet l’admission au séjour pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels. Toutefois, la jurisprudence a constamment admis que le préfet conserve un pouvoir discrétionnaire lui permettant de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien ne remplissant pas les conditions d’une délivrance de plein droit.

Dans son considérant de principe, la cour réaffirme cette solution en précisant qu’un préfet « peut délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l’ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit et dispose à cette fin d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, compte tenu de l’ensemble des éléments de la situation personnelle de l’intéressé, l’opportunité d’une mesure de régularisation ». L’exercice de ce pouvoir relève d’un contrôle restreint du juge administratif, qui ne censure que l’erreur de droit, le détournement de pouvoir ou l’erreur manifeste d’appréciation. C’est précisément sur ce dernier terrain que le litige se concentre.

B. La caractérisation de l’erreur manifeste au regard de la dépendance d’un enfant majeur

Pour confirmer l’analyse du tribunal administratif, la cour se livre à un examen concret et approfondi de la situation personnelle du requérant, et plus particulièrement de celle de son fils majeur. Elle écarte les arguments du préfet tenant aux précédents refus de titre de séjour opposés tant au père qu’au fils. La cour considère que ces décisions antérieures ne sauraient faire obstacle à l’appréciation actuelle de la situation, surtout face à l’évolution de l’état de santé du descendant.

Elle relève que, malgré sa majorité, le fils se trouve dans une situation de dépendance totale envers ses parents. Le juge prend soin de citer les éléments médicaux les plus récents, même postérieurs à la décision attaquée, pour établir la réalité et la gravité de la pathologie. Il en ressort que l’état de santé de l’enfant, atteint d’une « maladie osseuse rare et d’une particulière gravité engageant son pronostic vital », rend la présence de ses parents indispensable. La cour conclut que « son état de santé handicapant ne lui permet pas d’être autonome et nécessite la présence de ses parents malgré sa majorité ». C’est cette impossibilité d’être autonome qui constitue le cœur de l’appréciation du juge et qui justifie que le préfet, en ignorant cette réalité, a commis une erreur manifeste d’appréciation.

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II. Une solution d’équité dont la portée jurisprudentielle demeure circonscrite

En faisant prévaloir la réalité d’une situation humaine sur une application stricte des textes, la cour rend une décision empreinte d’équité, dictée par la vulnérabilité extrême d’une personne (A). Néanmoins, elle prend soin de souligner le caractère exceptionnel des faits, limitant ainsi la portée de sa décision à des cas similaires (B).

A. La prévalence des considérations humanitaires sur le strict légalisme

L’arrêt commenté illustre la capacité du juge administratif à tempérer la rigueur des règles de droit de l’entrée et du séjour par la prise en compte de situations humanitaires particulièrement aigües. Alors que ni le père ni le fils ne remplissaient les conditions pour obtenir un titre de séjour de plein droit, et que leurs demandes antérieures avaient été systématiquement rejetées, la cour choisit de porter son regard sur les conséquences concrètes qu’emporterait le refus de régularisation du père. Le refus de titre de séjour aurait pour effet de priver un jeune adulte, dont le pronostic vital est engagé, du soutien indispensable de son principal aidant.

La solution ne se fonde pas sur un droit à la régularisation, mais sur la censure d’une décision administrative dont les conséquences sont jugées manifestement disproportionnées. En jugeant que le préfet ne pouvait ignorer une telle situation, la cour fait implicitement prévaloir des principes fondamentaux, tels que le respect de la vie et le droit à la dignité, sur les stricts impératifs de la gestion des flux migratoires. La décision acquiert ainsi une valeur morale significative, en rappelant que le pouvoir discrétionnaire de l’administration doit s’exercer dans le respect des situations de grande vulnérabilité.

B. Une portée limitée par les « circonstances très particulières de l’espèce »

Si la solution est remarquable par sa dimension humaine, sa portée en tant que précédent jurisprudentiel doit être relativisée. La cour prend elle-même soin de préciser que sa décision est justifiée « compte-tenu des circonstances très particulières de l’espèce ». Cette formule classique signale que la solution retenue est avant tout une décision d’espèce, fortement conditionnée par la singularité des faits.

Plusieurs éléments factuels exceptionnels justifient cette qualification. Il s’agit d’une part de la « particulière gravité » de la pathologie, qui est non seulement rare mais engage également le pronostic vital. Il s’agit d’autre part de la dépendance absolue et médicalement établie de l’enfant majeur, qui ne dispose d’aucune autonomie. Il est donc peu probable que cet arrêt puisse être invoqué avec succès dans des situations où l’état de santé du proche, bien que sérieux, n’atteindrait pas un tel degré de gravité et n’impliquerait pas une dépendance aussi complète. La cour ne crée donc pas une nouvelle catégorie d’admission au séjour, mais sanctionne une appréciation administrative jugée défaillante face à une situation véritablement hors norme.

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Hassan KOHEN
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