La cour administrative d’appel de Nancy a rendu, le 3 juin 2025, une décision relative à la légalité de la suspension d’un fonctionnaire territorial. Cette mesure administrative provisoire intervenait après plusieurs manquements professionnels reprochés au chef de la police municipale d’une commune par l’autorité investie du pouvoir de nomination. Entre les mois de mars et d’octobre 2021, l’intéressé a multiplié les comportements inadaptés, incluant des signalements injustifiés et des absences non autorisées à des missions de sécurisation.
Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Strasbourg a, par un jugement du 16 juin 2022, prononcé l’annulation de l’arrêté de suspension pour une durée de quatre mois. L’administration communale a alors interjeté appel de cette décision devant la juridiction supérieure, soutenant que la gravité des fautes commises justifiait pleinement la mesure d’éviction temporaire.
La juridiction d’appel devait déterminer si l’accumulation de fautes comportementales et professionnelles par un cadre de la sécurité publique caractérisait une faute grave au sens statutaire. Il importait également de préciser si une telle mesure de suspension devait respecter les exigences de motivation et de consultation du dossier prévues par le droit administratif général.
Par l’arrêt commenté, les juges d’appel censurent le premier jugement en estimant que les faits reprochés, par leur répétition et leur nature, justifiaient légalement l’éviction immédiate. La cour précise en outre que la suspension constitue une mesure conservatoire dépourvue de caractère disciplinaire, l’exonérant ainsi des formalités procédurales lourdes propres aux sanctions définitives.
I. La caractérisation souveraine d’une faute grave justifiant l’éviction temporaire
A. Une accumulation de manquements incompatibles avec les fonctions de commandement
L’analyse de la décision révèle que la faute grave est appréciée globalement à travers une série d’agissements commis sur une période temporelle particulièrement resserrée. La cour relève que l’agent a « déposé une main courante à l’encontre de deux de ses collègues » sans motif légitime et au mépris de la volonté de l’administré.
Ces faits, s’ajoutant à des mises en fourrière injustifiées et des absences lors de formations, témoignent d’une défaillance persistante dans l’exercice des prérogatives de puissance publique. La qualité de chef de la police municipale confère une responsabilité particulière qui rend ces dérives comportementales incompatibles avec le maintien immédiat de l’intéressé dans ses fonctions.
B. La préservation de la crédibilité et du bon fonctionnement du service public
La juridiction administrative souligne que ces comportements répétés ont « entravé le bon fonctionnement de la police municipale et nui à la crédibilité de ses actions » de manière significative. L’atteinte à l’image du service et à la cohésion interne de l’équipe municipale justifie l’urgence de la mesure d’éloignement prise par l’autorité investie du pouvoir de nomination.
La valeur de l’arrêt réside dans la validation d’une appréciation large de la faute grave, laquelle s’évince d’une dérive professionnelle globale et non d’un acte isolé. La suspension constitue l’instrument permettant de restaurer l’ordre au sein d’une administration perturbée par les agissements malveillants de l’un de ses cadres de direction.
II. Le régime juridique de la suspension comme mesure conservatoire
A. L’absence de nature disciplinaire de la mise à l’écart provisoire
Le juge d’appel rappelle avec fermeté que la suspension « ne présente pas, par elle-même, un caractère disciplinaire » malgré les conséquences morales qu’elle emporte pour l’agent public. Cette qualification juridique est essentielle car elle distingue la mesure d’éloignement temporaire de la sanction définitive qui interviendra après la saisine obligatoire du conseil de discipline.
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à protéger l’intérêt du service tout en garantissant le maintien du traitement principal de l’agent public durant l’éviction. La portée de cette solution confirme la dualité des régimes juridiques entre les mesures d’ordre intérieur conservatoires et les sanctions administratives disciplinaires proprement dites.
B. L’allègement des garanties procédurales au profit de l’efficacité administrative
En raison de sa nature provisoire, la suspension n’est pas soumise aux exigences de motivation formelle prévues par le code des relations entre le public et l’administration. La cour écarte les moyens tirés de l’absence de motivation et du défaut d’accès au dossier, précisant que ces garanties ne s’appliquent pas à cette phase procédurale.
L’efficacité de l’action administrative est ici privilégiée sur le formalisme protecteur, permettant à l’autorité territoriale de réagir promptement face à une situation de crise institutionnelle grave. Cette décision renforce la sécurité juridique des actes de gestion du personnel tout en maintenant un contrôle juridictionnel rigoureux sur l’existence matérielle de la faute invoquée.