Cour d’appel administrative de Nancy, le 3 juin 2025, n°22NC01868

Par un arrêt en date du 3 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une sanction disciplinaire infligée à un agent public. En l’espèce, un contrôleur des douanes avait fait l’objet d’une exclusion temporaire de fonctions d’une durée de deux ans, à la suite de son comportement lors d’une intervention. Les faits reprochés incluaient la conduite d’une poursuite à une vitesse excessive, mettant en danger autrui, ainsi que des actes de brutalité et un langage inapproprié lors de l’interpellation des occupants du véhicule poursuivi. L’agent avait en outre demandé à sa coéquipière de ne pas rapporter le déroulement de l’opération, et présentait un antécédent disciplinaire pour des faits similaires. Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Besançon avait annulé cette sanction, la jugeant disproportionnée. Le ministre compétent a alors interjeté appel de ce jugement. Le fonctionnaire sanctionné soulevait, pour sa défense, non seulement le caractère excessif de la mesure prise à son encontre, mais également une irrégularité dans la procédure disciplinaire, tenant à un défaut de communication d’une pièce du dossier. Il appartenait dès lors au juge d’appel de déterminer si une sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de deux ans constituait une réponse proportionnée à des manquements graves et répétés d’un agent dans l’exercice de ses fonctions. Il lui fallait également vérifier si la procédure disciplinaire avait été menée dans le respect des droits de la défense, notamment quant à l’accès au dossier. La cour administrative d’appel a infirmé le jugement de première instance, considérant que la sanction n’était pas disproportionnée au regard de la « particulière gravité » des fautes et des antécédents de l’agent. Elle a par ailleurs écarté le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure, estimant que l’existence du document prétendument non communiqué n’était pas établie.

I. Une appréciation rigoureuse de la faute disciplinaire justifiant la sévérité de la sanction

La décision de la cour administrative d’appel repose sur une analyse stricte des obligations des fonctionnaires, conduisant à valider une sanction sévère. Elle qualifie d’abord les manquements de l’agent de faute d’une particulière gravité (A), avant de confirmer la proportionnalité de la sanction au regard du comportement général de l’intéressé (B).

A. La qualification d’une faute d’une particulière gravité

Le juge administratif retient une accumulation de faits pour caractériser la faute de l’agent. La décision souligne que le fonctionnaire a non seulement engagé une poursuite à « très vive allure, notamment dans des zones situées en agglomération », mais a aussi fait preuve d’un comportement violent et inapproprié lors de l’arrestation. La cour relève ainsi qu’il a procédé à l’interpellation « dans des conditions particulièrement brutales en brisant la vitre du conducteur et en portant des coups de pied dans sa portière ». Le comportement de l’agent, qui a également usé d’un « langage particulièrement grossier » et menotté au sol des individus ne présentant pas de résistance, est analysé comme un ensemble de manquements graves.

Ces agissements sont constitutifs d’une violation de plusieurs devoirs fondamentaux. La cour retient un « manquement au devoir de loyauté », manifesté par la demande de ne pas signaler l’intervention. Elle met surtout en exergue les conséquences directes de l’action de l’agent, qui « ont eu pour effet de mettre en danger la vie de sa coéquipière, des riverains et de ses collègues ». L’analyse ne se limite donc pas à un manquement déontologique abstrait, mais s’attache à la dangerosité concrète du comportement de l’agent, conférant aux faits un « caractère d’une particulière gravité » qui justifie une réponse disciplinaire ferme de la part de l’administration.

B. La confirmation de la proportionnalité de la sanction au regard des antécédents

Le contrôle de la proportionnalité d’une sanction disciplinaire constitue un élément essentiel de l’office du juge de l’excès de pouvoir. En l’espèce, la cour estime que l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans, soit le maximum prévu pour une sanction du troisième groupe, n’est pas excessive. Pour parvenir à cette conclusion, elle ne s’en tient pas aux seuls faits de l’espèce, mais prend en considération deux éléments aggravants. D’une part, elle note que l’agent « minimise la gravité des faits qui lui sont reprochés », ce qui peut être interprété comme une absence de prise de conscience de ses torts.

D’autre part, et de manière décisive, la décision s’appuie sur le passé disciplinaire de l’intéressé. La cour souligne en effet que l’agent « a déjà fait l’objet d’une sanction disciplinaire en 2016 pour des agissements de même nature ». Cette réitération dans un comportement fautif apparaît comme un facteur déterminant dans l’appréciation de la proportionnalité de la sanction. En retenant cet élément, la cour administrative d’appel confirme que l’administration est fondée à faire preuve d’une sévérité accrue face à un agent qui persiste dans des manquements graves, malgré un premier avertissement. La sanction maximale trouve ainsi sa justification non seulement dans la gravité intrinsèque des faits, mais aussi dans leur répétition.

II. Le rejet d’une contestation de la régularité de la procédure disciplinaire

Outre le débat sur la proportionnalité de la sanction, la cour se prononce sur la régularité de la procédure. Elle écarte le moyen de l’agent en précisant la portée du droit d’accès au dossier (A), ce qui la conduit à valider une procédure dont le caractère contradictoire n’a pas été vicié (B).

A. La portée du droit à la communication du dossier

Le fonctionnaire poursuivi invoquait une violation des droits de la défense, au motif qu’il n’aurait pas eu communication du « témoignage de la personne interpelée le mettant en cause ». Le droit à la communication intégrale du dossier individuel et de tous les documents annexes est une garantie fondamentale de la procédure disciplinaire. Toutefois, la cour apporte une précision importante quant à l’étendue de cette obligation pour l’administration. Elle relève en effet qu’il « n’est pas établi qu’un tel témoignage aurait été recueilli par l’administration ».

Ce faisant, le juge administratif signifie que l’obligation de communication ne porte que sur les pièces qui existent matériellement et qui figurent au dossier constitué par l’administration. Il n’appartient pas à l’autorité disciplinaire de produire des documents dont l’existence même est hypothétique. La charge de prouver l’existence d’une pièce qui aurait été dissimulée semble ainsi reposer sur l’agent qui s’en prévaut. Le droit à la communication du dossier ne saurait se transformer en une obligation pour l’administration de mener des investigations pour retrouver des pièces simplement alléguées par le fonctionnaire.

B. L’absence d’atteinte aux droits de la défense

La cour ne se contente pas de relever le caractère non établi de l’existence du témoignage manquant. Elle ajoute que les faits reprochés à l’agent sont « tous relatés dans les interrogatoires de l’agent et de sa coéquipière et non contestés par le requérant ». Cette précision est essentielle, car elle démontre que, quand bien même la pièce aurait existé, son absence n’aurait pas nécessairement porté préjudice à l’agent. Le principe selon lequel une irrégularité de procédure n’entraîne l’annulation de la décision que si elle a lésé les droits de la défense trouve ici à s’appliquer.

Dès lors que les faits matériels sont établis par d’autres pièces et ne sont pas contestés par l’intéressé lui-même, la communication d’un témoignage supplémentaire n’aurait pas modifié sa capacité à se défendre utilement. En adoptant ce raisonnement pragmatique, la cour refuse d’annuler une sanction pour un vice de procédure purement formel qui n’a eu aucune incidence concrète sur le caractère contradictoire de la procédure. Le moyen tiré de l’irrégularité ne pouvait donc qu’être écarté, laissant la sanction disciplinaire pleinement validée tant sur le fond que sur la forme.

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Hassan KOHEN
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