Cour d’appel administrative de Nancy, le 30 janvier 2025, n°24NC01057

Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur la légalité d’une obligation de quitter le territoire français prise à l’encontre d’une ressortissante étrangère dont la demande d’asile avait été définitivement rejetée.

En l’espèce, une ressortissante ivoirienne, entrée en France en 2022 et mère d’une enfant née sur le territoire français, a vu sa demande d’asile rejetée successivement par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la Cour nationale du droit d’asile. Suite à ce rejet définitif, la préfète de Meurthe-et-Moselle a édicté à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination. La requérante a saisi le tribunal administratif de Nancy afin d’obtenir l’annulation de cette décision. Par un jugement du 14 février 2024, sa demande a été rejetée. L’intéressée a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant de nombreux moyens de légalité externe et interne à l’encontre de l’arrêté préfectoral.

Il était donc demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si la mesure d’éloignement, prise à la suite du rejet d’une demande d’asile, méconnaissait les droits procéduraux de l’étrangère et si elle portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale, notamment au regard de la présence de son enfant mineure et des risques allégués en cas de retour dans son pays d’origine.

La cour administrative d’appel de Nancy rejette la requête. Elle juge que la procédure suivie par l’administration a été régulière et que le droit d’être entendu n’a pas été méconnu, dès lors que la demande d’asile constitue pour l’étranger l’occasion de présenter tous les éléments utiles à l’examen de sa situation. Sur le fond, elle estime que la mesure d’éloignement ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale de l’intéressée eu égard à la brièveté de son séjour en France. Enfin, elle écarte le moyen tiré des risques de traitements inhumains et dégradants en s’appuyant sur l’appréciation des faits déjà réalisée par la Cour nationale du droit d’asile.

La cour confirme ainsi la légalité de la mesure d’éloignement en validant la procédure suivie par l’administration (I), avant de procéder à une appréciation concrète de la situation de l’intéressée au regard de ses droits fondamentaux (II).

I. La confirmation de la régularité de la procédure d’éloignement

L’arrêt s’attache d’abord à vérifier la légalité externe de la décision contestée, en écartant les arguments liés à un vice de procédure (A) et en exerçant un contrôle restreint sur l’appréciation de l’autorité préfectorale (B).

A. Le rejet du moyen tiré de la méconnaissance du droit d’être entendu

La requérante soutenait que l’obligation de quitter le territoire français avait été prise en méconnaissance de son droit d’être entendue, garanti notamment par les principes généraux du droit de l’Union européenne. La cour administrative d’appel rejette ce moyen en rappelant une solution désormais classique. Elle considère que la procédure de demande d’asile offre par elle-même à l’étranger la possibilité de présenter à l’administration tous les éléments pertinents pour l’examen de sa situation, y compris ceux qui ne relèvent pas directement du droit d’asile.

La cour énonce que l’étranger « ne saurait ignorer que, en cas de rejet de sa demande, il pourra faire l’objet, le cas échéant, d’un refus d’admission au séjour et, lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été refusé, d’une mesure d’éloignement du territoire français ». Cette approche pragmatique assimile la procédure d’asile à une phase contradictoire préalable, durant laquelle l’étranger est invité à faire valoir l’ensemble des arguments qui pourraient fonder son droit au séjour. En conséquence, l’administration n’est pas tenue d’engager une nouvelle procédure contradictoire avant d’édicter une mesure d’éloignement qui constitue la conséquence prévisible du rejet de la demande d’asile.

B. Un contrôle formel de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration

La requérante contestait également la légalité de l’arrêté en invoquant un défaut d’examen de sa situation personnelle et une motivation insuffisante. La cour écarte ces moyens en procédant à un contrôle qui se limite à vérifier l’existence formelle d’un examen et d’une motivation. Elle relève que l’arrêté attaqué mentionne la situation familiale de l’intéressée, notamment le fait qu’elle soit « séparée et qu’elle est mère d’une fille née le 7 octobre 2022 ».

De même, la cour juge que la préfète ne s’est pas considérée à tort en situation de compétence liée. Il ne ressort pas de la décision que l’autorité administrative aurait omis d’user de son pouvoir d’appréciation pour décider de l’éloignement. Par cette analyse, la cour réaffirme que le juge administratif n’exerce qu’un contrôle restreint sur ces aspects de la décision. Il ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’administration, mais s’assure seulement que celle-ci a effectivement procédé à un examen particulier et a exposé, même de manière succincte, les motifs de droit et de fait de sa décision.

Après avoir ainsi validé la procédure d’édiction de l’acte, la cour se livre à un examen au fond de la situation de l’intéressée au regard des droits et libertés fondamentaux garantis par les conventions internationales.

II. L’appréciation de la situation personnelle au regard des droits fondamentaux

La seconde partie de l’arrêt est consacrée à l’examen des moyens de légalité interne, où la cour effectue une balance des intérêts en présence concernant le droit à la vie privée et familiale (A) et s’en remet largement à l’appréciation des juridictions de l’asile pour évaluer les risques encourus en cas de retour (B).

A. La prévalence du contrôle de l’immigration sur le droit à la vie privée et familiale

L’argument principal de la requérante reposait sur la violation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour procède à une mise en balance entre le droit de l’intéressée au respect de sa vie privée et familiale et les objectifs de la mesure d’éloignement, à savoir la défense de l’ordre public et le contrôle des flux migratoires.

Pour ce faire, le juge prend en compte plusieurs éléments factuels. Il souligne la date d’entrée récente de la requérante en France, relevant qu’elle y réside « depuis le 20 août 2022, soit moins de deux ans avant l’édiction de la décision en litige ». Il note également qu’elle ne justifie d’« aucune attache familiale ou même personnelle en France » et ne démontre pas être isolée dans son pays d’origine. La présence de sa fille mineure, bien que prise en compte, n’est pas jugée suffisante pour faire obstacle à la mesure d’éloignement. La cour en conclut que « la mesure d’éloignement en litige ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise ». Cette solution illustre la jurisprudence constante selon laquelle une installation récente et fragile sur le territoire français ne suffit pas à caractériser une vie privée et familiale dont la protection l’emporterait sur les impératifs de la politique migratoire.

B. L’autorité de la chose jugée par la Cour nationale du droit d’asile sur l’appréciation des risques

Enfin, s’agissant des risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour en Côte d’Ivoire, en violation de l’article 3 de la même convention, la cour adopte une position de déférence à l’égard de l’analyse déjà effectuée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La requérante invoquait des risques de mariage forcé et d’excision pour elle-même et sa fille.

La cour administrative d’appel reprend minutieusement les motifs de la décision de la CNDA du 9 octobre 2023. Elle cite le fait que les déclarations de l’intéressée avaient été jugées « insuffisamment circonstanciées ou personnalisées, voire schématiques et convenues et par suite, non convaincantes ». Concernant les risques d’excision pour sa fille, la CNDA avait déjà relevé que l’appartenance ethnique était un élément insuffisant. Le juge administratif constate que la requérante ne produit aucun élément nouveau probant qui serait de nature à remettre en cause cette première appréciation. Cet arrêt démontre ainsi que, si le juge administratif est compétent pour apprécier les risques au regard de l’article 3, il ne refait pas l’instruction menée par les organes spécialisés de l’asile. En l’absence d’éléments nouveaux, l’appréciation de la crédibilité des craintes, effectuée par la CNDA, conserve une autorité de fait déterminante dans le contentieux de l’éloignement.

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Hassan KOHEN
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