Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 30 janvier 2024 offre une illustration précise des conditions de recevabilité du contentieux fiscal, en particulier de la qualification de la réclamation préalable. En l’espèce, un contribuable a fait l’objet de cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu pour les années 2015 et 2016, suite à la découverte de sommes importantes créditées sur des cartes prépayées ouvertes à son nom. Celui-ci soutenait avoir été victime d’une usurpation d’identité après la perte de ses papiers et avait déposé une plainte pénale. Suite à une correspondance avec l’administration fiscale, le contribuable a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande en décharge. Par un jugement du 13 mai 2024, cette juridiction a rejeté sa demande comme irrecevable, au motif qu’elle n’avait pas été précédée d’une réclamation préalable régulière. Le contribuable a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que son courrier du 15 octobre 2021 constituait bien une réclamation contentieuse. Le problème de droit soumis à la cour consistait à déterminer si un courrier, demandant le réexamen de la situation fiscale d’un contribuable au regard d’une plainte pénale pour escroquerie et se référant à des échanges antérieurs, pouvait être qualifié de réclamation préalable au sens de l’article R. 197-3 du livre des procédures fiscales, apte à lier le contentieux. La cour administrative d’appel a répondu par l’affirmative, annulant le jugement de première instance et jugeant la demande recevable. Elle a estimé que, malgré ses termes, la correspondance du contribuable excédait une simple demande d’information et contenait les éléments essentiels d’une contestation du bien-fondé de l’imposition.
Cette décision, en retenant une conception souple des conditions de forme de la réclamation, clarifie la portée des exigences procédurales applicables au contribuable (I). Ce faisant, elle consacre une solution pragmatique qui garantit l’effectivité de son droit d’accès au juge (II).
I. La consécration d’une approche matérielle de la réclamation préalable
La cour d’appel, pour infirmer le jugement des premiers juges, a procédé à une analyse approfondie du contenu de la correspondance du contribuable pour en déterminer la nature véritable. Elle a ainsi privilégié une interprétation matérielle de l’acte, la qualifiant de réclamation contentieuse (A), tout en rappelant que les éventuels vices de forme documentaires pouvaient être régularisés ultérieurement (B).
A. La qualification de la correspondance en réclamation contentieuse
Le tribunal administratif avait adopté une lecture stricte des dispositions du livre des procédures fiscales, considérant que le courrier du 15 octobre 2021 ne remplissait pas les conditions de recevabilité. Il estimait en effet que ce dernier ne mentionnait ni les impositions contestées ni des arguments contestant leur bien-fondé. La cour d’appel a au contraire retenu une approche plus globale et substantielle. Elle a relevé que le courrier émanant de l’avocat du contribuable demandait explicitement de « réexaminer la situation » de son client ou, à défaut, de prononcer la « suspension des prélèvements dans l’attente de l’issue de la plainte pénale ».
Pour la cour, une telle formulation, jointe à l’exposé des faits d’escroquerie et d’usurpation d’identité, démontrait une intention claire de contester le principe même de l’imposition. La juridiction d’appel a ainsi considéré que la demande formulée « ne se limitait pas à une simple demande de sursis de paiement des impositions et qui n’était ni une demande de renseignements ni une demande de nature gracieuse ». Elle a jugé qu’elle contenait bien « un exposé sommaire des moyens ainsi que des conclusions », ce qui suffisait à la qualifier de réclamation tendant à contester le bien-fondé des impositions et, par conséquent, à lier le contentieux. Cette analyse pragmatique se fonde sur la finalité de l’écrit plutôt que sur une adhésion rigide à un formalisme sacramentel.
B. La neutralisation du vice de forme lié aux pièces justificatives
Outre la question de la nature de l’écrit, se posait celle des documents qui devaient l’accompagner. L’article R. 197-3 du livre des procédures fiscales impose en effet de joindre à la réclamation l’avis d’imposition concerné. Or, en l’espèce, ces pièces n’étaient pas annexées au courrier du 15 octobre 2021. L’administration fiscale aurait pu se prévaloir de cette omission pour rejeter la réclamation pour irrecevabilité en la forme. Toutefois, la cour rappelle l’existence d’un mécanisme de régularisation prévu par le code.
En application de l’article R. 200-2 du même livre, certains vices de forme, notamment l’absence des pièces justificatives, peuvent être couverts après le rejet de la réclamation par l’administration, lors de la saisine du tribunal. La cour constate que le contribuable a effectivement produit les avis d’imposition litigieux devant le tribunal administratif, puis en appel. Elle en déduit que « ce vice de forme a été utilement couvert lors de la demande en décharge présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg et d’ailleurs aussi lors de la présente requête d’appel ». Cette solution confirme que l’omission de joindre les avis d’imposition n’est pas un vice dirimant et ne saurait faire obstacle à l’examen au fond du litige, dès lors qu’il est corrigé devant le premier juge.
II. La garantie renforcée de l’accès du contribuable au juge
En censurant l’irrecevabilité prononcée par les premiers juges, la cour administrative d’appel réaffirme la prééminence du droit au recours effectif. Cette décision s’inscrit dans une logique de protection des droits du contribuable (A), même si sa portée doit être appréciée au regard de la nature purement procédurale de l’arrêt (B).
A. Une solution protectrice des droits du contribuable
L’exigence d’une réclamation préalable vise à permettre à l’administration de prendre position sur les arguments du contribuable et, le cas échéant, de dégrever l’imposition sans qu’un contentieux juridictionnel soit nécessaire. Cependant, cette procédure ne doit pas se transformer en un parcours d’obstacles privant le contribuable de son droit d’accès au juge. En l’espèce, l’administration avait elle-même, dans un courrier antérieur, encouragé le requérant à déposer plainte, reconnaissant ainsi implicitement la pertinence potentielle de sa démarche. Rejeter ensuite sa réclamation au motif qu’elle se référait principalement à cette plainte aurait constitué une approche excessivement formaliste.
La valeur de l’arrêt réside dans son pragmatisme. Il rappelle que la recevabilité d’une réclamation doit être appréciée au regard de la capacité de l’administration à identifier sans ambiguïté l’imposition contestée et les motifs de la contestation. Les pièces jointes au courrier, notamment un courrier antérieur de l’administration mentionnant précisément les impositions en cause, permettaient cette identification. La solution protège ainsi le contribuable de bonne foi qui, bien que n’utilisant pas les termes juridiques consacrés, exprime clairement son intention de contester une imposition qu’il estime injustifiée.
B. Une portée limitée à la recevabilité de la requête
Si cet arrêt est favorable au contribuable sur le plan procédural, sa portée quant au fond du litige est inexistante. La cour administrative d’appel ne se prononce à aucun moment sur le bien-fondé de l’assujettissement à l’impôt ni sur la réalité de l’usurpation d’identité alléguée. Sa décision est une décision de cassation et d’évocation pour statuer uniquement sur la recevabilité. Elle annule le jugement et renvoie l’affaire devant le tribunal administratif de Strasbourg afin qu’il statue cette fois sur le fond de la demande en décharge.
Il s’agit donc d’une décision d’espèce, dont la solution est étroitement liée aux faits et aux documents produits. Elle ne constitue pas un revirement de jurisprudence mais confirme une tendance bien établie à ne pas faire du formalisme un obstacle insurmontable à l’accès au juge fiscal. La portée de l’arrêt est donc avant tout pédagogique : elle rappelle aux juridictions du fond et à l’administration fiscale que l’appréciation des conditions de recevabilité d’une réclamation doit être guidée par la recherche de l’intention réelle de son auteur. Le contribuable a ainsi gagné le droit de voir son dossier examiné sur le fond, mais l’issue du litige principal reste entièrement à déterminer.