Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions d’obtention d’un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale. En l’espèce, une ressortissante étrangère, entrée irrégulièrement sur le territoire national en 2018 alors qu’elle était mineure, a déposé une demande de régularisation six ans plus tard. Elle invoquait pour ce faire la présence en France de sa mère et de sa fratrie, avec lesquelles elle avait pourtant vécu séparée durant la décennie précédant son arrivée.
Saisi d’un recours contre le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 22 juillet 2024 ayant validé le refus de séjour opposé par l’autorité préfectorale le 25 mars 2024, le juge d’appel était confronté à la question de l’équilibre entre le contrôle des flux migratoires et le droit au respect de la vie privée et familiale. Il lui appartenait de déterminer si le refus d’autoriser le séjour portait une atteinte disproportionnée aux liens personnels et familiaux tissés en France par l’intéressée.
La cour rejette la requête, estimant que la décision administrative n’est pas entachée d’illégalité. Elle juge que la requérante « ne démontre pas y avoir transféré le centre de ses intérêts personnels et familiaux ». Cette solution conduit à examiner la méthode d’appréciation rigoureuse de l’ancrage de l’étranger sur le territoire (I), avant d’analyser la portée de la marge d’appréciation reconnue à l’administration (II).
I. L’appréciation rigoureuse de l’ancrage de l’étranger sur le territoire français
La décision de la cour administrative d’appel repose sur une analyse stricte des éléments constitutifs de la vie privée et familiale, où la tardiveté de la demande de régularisation affaiblit la reconnaissance d’une intégration effective (A) et où la réalité des liens familiaux fait l’objet d’un examen rétrospectif exigeant (B).
A. La tardiveté de la demande de régularisation comme indice d’une intégration précaire
Le juge administratif prend soin de relever que « ce n’est que six ans après, le 22 février 2024, alors qu’elle était âgée de 23 ans, qu’elle a fait une demande de titre de séjour afin de régulariser sa situation ». Ce délai prolongé entre l’arrivée sur le territoire et la première démarche administrative n’est pas un simple élément factuel. Il est interprété par le juge comme un indice pertinent pour évaluer la volonté d’intégration et la stabilité du séjour de la personne concernée.
En effet, le maintien volontaire dans une situation d’irrégularité administrative pendant plusieurs années, au-delà de la majorité, peut être perçu comme révélant une installation en France dont le caractère n’est pas suffisamment stable et ancien. L’absence de démarches antérieures en vue d’obtenir un titre de séjour tend à minorer la force des liens que l’intéressée prétend avoir développés sur le territoire. La cour suggère ainsi qu’une intégration réussie se manifeste notamment par la volonté de se conformer au plus tôt au cadre légal régissant le séjour des étrangers.
B. L’examen rétrospectif de la réalité des liens familiaux
Pour apprécier l’intensité des liens familiaux, le juge ne se contente pas de constater la présence de la mère et de la fratrie de la requérante en France. Il procède à une analyse approfondie et rétrospective de la continuité de ces liens, relevant qu' »il est constant que la requérante, qui est célibataire et sans charge de famille, a vécu séparée de sa famille pendant dix ans ». Cette longue période de séparation, intervenue avant l’arrivée sur le territoire national, constitue un facteur déterminant.
Cette approche démontre que la simple cohabitation familiale au moment de la demande ne suffit pas à établir l’existence d’un centre de la vie familiale en France. La cour recherche si la cellule familiale a été effectivement maintenue durant les années de séparation, notant au passage que la requérante ne prouve pas que sa mère « participait financièrement à son éducation » durant cette période. L’absence de continuité dans la vie familiale et dans la prise en charge matérielle et affective affaiblit considérablement l’argument d’une atteinte disproportionnée.
II. La confirmation de la marge d’appréciation de l’administration dans la conciliation des intérêts en présence
L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui préserve le pouvoir d’appréciation de l’administration, en opérant une mise en balance classique des intérêts (A) et en n’admettant les considérations humanitaires qu’en présence d’une vulnérabilité d’une exceptionnelle gravité (B).
A. Une application orthodoxe du bilan entre droit au séjour et contrôle des flux migratoires
La cour met en œuvre la méthode traditionnelle du bilan, qui consiste à peser les différents éléments de la situation personnelle de l’étranger au regard des motifs justifiant le refus de séjour. La décision illustre parfaitement ce contrôle de proportionnalité exercé par le juge administratif. D’un côté, sont pris en compte la durée de présence en France, l’existence de liens familiaux et la situation de santé de l’intéressée.
De l’autre côté, le juge retient les conditions d’entrée et de séjour irrégulières, la tardiveté de la demande, l’absence d’intégration professionnelle ou sociale démontrée, et le fait que l’intéressée « ne démontre pas être dépourvue d’attaches familiales » dans son pays d’origine. Au terme de cette balance, la cour conclut que « la décision attaquée n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel elle a été prise ». Cette décision d’espèce confirme la prééminence du contrôle de l’immigration lorsque les éléments d’intégration personnelle et familiale ne présentent pas une intensité suffisante.
B. Le caractère non opérant des considérations humanitaires en l’absence de vulnérabilité exceptionnelle
La requérante invoquait tant un état de santé fragile qu’un risque en cas de retour dans son pays d’origine. La cour écarte ces arguments, montrant que les seuils d’application des articles L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme sont particulièrement élevés. Concernant l’état de santé, le juge estime que la requérante « n’établit cependant pas que la présence de sa famille à ses côtés lui serait, à cet égard, indispensable ».
S’agissant du risque de traitements inhumains ou dégradants, la cour juge que l’intéressée « ne démontre pas être isolée dans son pays d’origine et être exposée à ces risques ». Le juge exige ainsi la preuve d’un risque personnel, actuel et réel, qui ne saurait se déduire de la situation générale du pays de renvoi. Cet arrêt réaffirme donc que ni les motifs humanitaires ni les risques allégués ne peuvent justifier une admission au séjour ou faire obstacle à l’éloignement, en dehors de la démonstration de circonstances exceptionnelles et d’une vulnérabilité avérée et personnelle.