Par un arrêt en date du 30 juin 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy a annulé un jugement du tribunal administratif de Strasbourg ainsi qu’une décision préfectorale refusant l’octroi d’un titre de séjour à un ressortissant étranger. En l’espèce, un individu de nationalité nigériane, entré en France en 2018 et y séjournant depuis lors en situation irrégulière, avait vu sa demande d’asile rejetée définitivement en 2020. Il a par la suite fondé une famille avec une compatriote en situation régulière, de leur union étant nés trois enfants sur le sol français. En 2021, il a sollicité son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale, mais s’est heurté à un refus de l’autorité préfectorale le 28 février 2022. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Strasbourg a confirmé cette décision par un jugement du 15 octobre 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. La question qui se posait à la cour était donc de savoir si le refus d’accorder un titre de séjour à un étranger en situation irrégulière, mais justifiant de liens familiaux intenses et anciens sur le territoire, constitue une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La cour administrative d’appel y répond par l’affirmative, considérant que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la décision préfectorale avait méconnu ces stipulations. Elle annule en conséquence le jugement et la décision contestés, puis enjoint à l’administration de délivrer au requérant une carte de séjour temporaire.
La solution retenue par le juge d’appel témoigne d’une application rigoureuse du contrôle de proportionnalité en matière de police des étrangers (I), consacrant une solution pragmatique qui prend la mesure des situations humaines consolidées par le temps (II).
I. L’application du contrôle de proportionnalité à la situation familiale de l’étranger
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une appréciation concrète des éléments constitutifs de la vie familiale de l’intéressé (A), ce qui la conduit à caractériser l’existence d’une ingérence excessive de l’administration dans l’exercice de ce droit fondamental (B).
A. La prise en compte d’attaches familiales stables et effectives en France
Le juge d’appel procède à une analyse détaillée de la situation personnelle et familiale du requérant pour évaluer l’intensité de ses liens avec la France. Il relève que l’individu, bien qu’entré irrégulièrement en 2018, vit avec son épouse, titulaire d’un titre de séjour, et leurs trois enfants nés sur le territoire national. La cour ne se contente pas de constater l’existence formelle de la cellule familiale ; elle souligne l’implication effective du père dans l’éducation des enfants, s’appuyant sur une attestation de la direction de l’école. De surcroît, elle prend en considération l’état de santé de l’un des enfants, lequel requiert un suivi médical particulier. Ces éléments factuels, appréciés dans leur ensemble, permettent d’établir la réalité et la solidité d’une vie familiale ancrée en France, dépassant la simple cohabitation pour recouvrir une communauté de vie affective et matérielle.
B. La qualification d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale
Forte de ces constatations, la cour se livre au contrôle de proportionnalité imposé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle met en balance, d’une part, les objectifs de la décision de refus de séjour, à savoir le contrôle des flux migratoires et la défense de l’ordre public, et, d’autre part, l’atteinte portée aux droits du requérant. C’est à l’aune des « circonstances particulières de l’espèce » que le juge conclut au caractère disproportionné de l’ingérence. Il estime que la décision litigieuse « a porté au droit de M. A… au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise ». De manière notable, la cour écarte l’argument opposé par l’administration selon lequel la voie du regroupement familial resterait ouverte, en observant que les conditions de ressources du foyer ne sont pas remplies. Cette précision démontre que le juge n’examine pas seulement les droits en théorie, mais leur accessibilité effective, renforçant ainsi la portée de son contrôle.
L’annulation prononcée sur le fondement exclusif de la Convention européenne des droits de l’homme met en lumière la portée de ce contrôle juridictionnel sur les décisions de l’administration, dont le pouvoir d’appréciation se trouve ainsi encadré.
II. La portée de la censure juridictionnelle face au pouvoir d’appréciation de l’administration
La décision de la cour administrative d’appel réaffirme la primauté du contrôle de conventionnalité dans le contentieux du droit au séjour (A) et illustre une conciliation pragmatique entre les prérogatives de l’État et la protection des droits fondamentaux, notamment l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A. La prééminence du contrôle de conventionnalité sur les autres moyens de légalité
En choisissant de statuer « sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête », la cour fait de la violation de l’article 8 de la Convention européenne le fondement unique et suffisant de son annulation. Cette méthode de jugement n’est pas neutre. Elle place la protection des droits fondamentaux garantis par la Convention au premier plan de l’office du juge administratif. Plutôt que de se limiter à un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation ou à l’examen des vices de procédure, le juge exerce ici un contrôle entier et approfondi de la proportionnalité de la décision. Cette approche confère une protection plus substantielle au justiciable, car elle ne se borne pas à sanctionner les illégalités les plus flagrantes mais évalue l’équilibre même de la décision au regard des droits en présence.
B. Une conciliation entre impératifs migratoires et intérêt supérieur de l’enfant
Bien que la décision ne mentionne pas explicitement la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, l’intérêt des trois enfants, nés et scolarisés en France, imprègne manifestement le raisonnement du juge. La stabilité de leur cadre de vie, la présence de leur père et le suivi médical de l’un d’eux constituent des éléments centraux de l’appréciation des faits. En annulant le refus de séjour, la cour protège indirectement mais nécessairement le droit de ces enfants à vivre avec leurs deux parents et à ne pas voir leur environnement familial bouleversé par l’éloignement de l’un d’eux. Cette décision ne consacre pas un droit automatique à la régularisation pour tout parent d’enfant français ou résidant en France. Elle rappelle cependant avec fermeté que le pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière d’admission exceptionnelle au séjour doit s’exercer dans le respect scrupuleux du droit à la vie familiale, lequel acquiert un poids particulier lorsque le bien-être d’enfants est en jeu.