Cour d’appel administrative de Nancy, le 31 décembre 2024, n°23NC03379

Par un arrêt en date du 31 décembre 2024, la Cour administrative d’appel de Nancy a rejeté la requête d’un ressortissant étranger dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Nancy du 19 septembre 2023, qui avait lui-même rejeté sa demande d’annulation d’un refus implicite de titre de séjour. En l’espèce, un individu de nationalité nigériane, présent en France depuis 2016 et débouté du droit d’asile, avait sollicité en 2022 une admission exceptionnelle au séjour auprès de l’autorité préfectorale. Il faisait valoir sa vie commune avec une compatriote titulaire d’un titre de séjour ainsi que la naissance en France de leurs trois enfants, qui y sont scolarisés. Face au silence gardé par l’administration, valant décision implicite de rejet, l’intéressé a saisi la juridiction administrative. Débouté en première instance, il a interjeté appel, soutenant notamment que le préfet n’avait pas procédé à un examen réel de sa situation, que la décision était entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et qu’elle portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Le juge d’appel était ainsi conduit à s’interroger sur l’étendue de son contrôle sur la décision de l’administration de refuser l’admission au séjour d’un étranger, alors même que ce dernier justifiait d’attaches familiales sur le territoire national. La Cour administrative d’appel de Nancy rejette la requête, considérant que la décision préfectorale n’est entachée d’aucune illégalité, et notamment qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant.

La décision commentée illustre la réaffirmation par le juge du pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière de régularisation des étrangers (I), dont l’exercice conduit en l’espèce à une appréciation restrictive des garanties conventionnelles liées à la vie familiale (II).

I. La confirmation du contrôle restreint sur le pouvoir d’appréciation préfectoral

La Cour administrative d’appel opère un contrôle limité de la légalité de la décision implicite de rejet, tant sur le plan de la procédure suivie par l’administration que sur le fondement de la demande d’admission exceptionnelle au séjour.

A. La présomption d’un examen effectif de la demande

Le requérant soutenait que l’autorité préfectorale n’avait pas véritablement examiné sa situation individuelle, ce qui constituerait une erreur de droit. Face à une décision implicite, par nature non motivée, la preuve d’une telle carence est difficile à rapporter. La Cour écarte le moyen en relevant qu’« il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Meurthe-et-Moselle n’aurait pas procédé à un examen de la demande de titre de séjour ». Ce faisant, elle établit une sorte de présomption simple selon laquelle l’administration, même silencieuse, a rempli ses obligations procédurales. Il incombe donc au requérant de renverser cette présomption en apportant des éléments concrets démontrant l’absence d’examen, ce qui en pratique s’avère presque impossible. Cette solution, classique, confirme que le caractère implicite du rejet ne suffit pas à caractériser une illégalité et protège l’administration d’une annulation quasi-systématique pour des motifs purement procéduraux.

B. L’application du critère de l’erreur manifeste d’appréciation

Le requérant invoquait également l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permet la régularisation pour des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels. Sur ce terrain, le juge administratif exerce un contrôle restreint, ne sanctionnant que l’erreur manifeste d’appréciation. La Cour juge que les éléments invoqués par l’intéressé « ne sont pas de nature à caractériser des circonstances humanitaires ou des motifs exceptionnels ». Elle refuse ainsi de substituer sa propre appréciation à celle du préfet, qui dispose en la matière d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer ce qui constitue un « motif exceptionnel ». L’ancienneté de séjour, la vie familiale et même les risques allégués dans le pays d’origine ne sont pas jugés suffisants pour contraindre l’administration à faire usage de cette faculté. Cette approche réaffirme la nature dérogatoire et non automatique de cette procédure de régularisation.

La validation de la démarche administrative par le juge, bien que juridiquement orthodoxe, interroge lorsqu’elle est confrontée à l’intensité des liens privés et familiaux que le requérant avait tissés en France.

II. Une interprétation rigoureuse des droits liés à la vie privée et familiale

La Cour procède à une analyse stricte de la situation du requérant au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’intérêt supérieur de l’enfant, aboutissant à une neutralisation de leur portée.

A. Une appréciation restrictive de la notion de vie familiale

Le moyen le plus sérieux du requérant reposait sur la méconnaissance de son droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne. Malgré une présence de plusieurs années en France, une compagne en situation régulière et trois enfants nés et scolarisés sur le territoire, la Cour écarte l’argument. Elle retient en effet que « la vie commune n’est établie qu’à compter de la fin de l’année 2020 ». En se fondant sur cette date pour minimiser l’ancienneté et l’intensité des liens familiaux, le juge opère une lecture particulièrement sévère des faits. Il en conclut que le refus de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée aux buts légitimes poursuivis, tels que la maîtrise des flux migratoires. Cette motivation peut paraître critiquable, car elle segmente la réalité familiale et semble accorder une importance déterminante à une attestation d’hébergement, au détriment d’une situation familiale globale et de la présence d’enfants en bas âge.

B. La mise à l’écart de l’intérêt supérieur de l’enfant

Le requérant invoquait également l’article 3, paragraphe 1, de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. La Cour rejette le moyen en affirmant que la décision de refus de séjour « n’a ni pour objet ni pour effet de séparer le requérant de ses enfants ». Cette formule, bien que constante en jurisprudence, est discutable. Si le refus de titre de séjour n’emporte pas en lui-même une mesure d’éloignement forcé de la famille, il place le parent dans une situation de précarité juridique et administrative qui affecte nécessairement la stabilité de la cellule familiale et les conditions de vie des enfants. En considérant que l’intérêt supérieur de ces derniers n’est pas méconnu dès lors qu’aucune séparation matérielle n’est ordonnée, le juge adopte une conception formaliste et réductrice de cette garantie. Cet arrêt s’inscrit ainsi dans une lignée jurisprudentielle qui, tout en reconnaissant l’invocabilité de ce principe, en limite considérablement la portée effective dans le contentieux du refus de séjour, le qualifiant rarement de considération « primordiale » et décisive.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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