Cour d’appel administrative de Nancy, le 31 juillet 2025, n°24NC00629

Par un arrêt en date du 31 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur le refus de renouvellement d’un certificat de résidence opposé à un ressortissant algérien, père d’un enfant français, en raison de la menace que sa présence constituerait pour l’ordre public. En l’espèce, un ressortissant algérien, titulaire d’un titre de séjour en qualité de parent d’enfant français depuis 2020, a sollicité le renouvellement de ce titre. L’administration a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, au motif que son comportement, marqué par plusieurs condamnations pénales récentes pour des délits variés, dont la conduite sans permis, l’usage de faux documents administratifs et le refus de coopérer avec la justice, caractérisait une menace pour l’ordre public.

Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, par un jugement du 20 octobre 2023, rejeté sa demande d’annulation de la décision préfectorale. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et que la menace à l’ordre public n’était pas établie au regard de la nature des faits qui lui étaient reprochés. Il faisait également valoir qu’en tant que parent d’un enfant français, il devait bénéficier d’une protection particulière.

La question se posait donc de savoir si des condamnations pénales répétées, bien que non assorties d’emprisonnement ferme, peuvent légalement fonder le refus de renouveler le titre de séjour d’un parent d’enfant français, et si une telle mesure constitue une ingérence proportionnée dans son droit à une vie privée et familiale normale. La Cour administrative d’appel de Nancy répond par l’affirmative. Elle juge que la réitération et la gravité croissante des infractions commises par l’intéressé suffisent à caractériser une menace pour l’ordre public, justifiant ainsi le refus de séjour. Elle estime en outre que, face à l’ampleur de cette menace, l’atteinte portée à la vie privée et familiale du requérant ne revêt pas un caractère disproportionné. Cette décision, qui confirme une approche rigoureuse de la notion de menace à l’ordre public, illustre la conciliation opérée par le juge administratif entre les impératifs de sécurité publique et la sauvegarde des droits fondamentaux de l’étranger.

Il convient ainsi d’examiner la confirmation du pouvoir de l’administration de déroger au droit au séjour de plein droit pour des motifs d’ordre public (I), avant d’analyser l’appréciation concrète de la proportionnalité de l’atteinte portée à la vie privée et familiale du requérant (II).

I. La confirmation de la primauté de l’ordre public sur le droit au séjour

La Cour réaffirme avec force que le droit au séjour, même lorsqu’il est prévu de plein droit par un accord international, demeure subordonné à l’absence de menace pour l’ordre public. Elle conforte ainsi la position de l’administration en validant l’articulation des textes (A) et en approuvant la méthode de qualification de la menace (B).

A. L’articulation de l’accord franco-algérien et des exigences de l’ordre public

L’arrêt rappelle que le certificat de résidence d’un an est en principe « délivré de plein droit » au ressortissant algérien qui est ascendant direct d’un enfant français mineur résidant en France, en application du 4 de l’article 6 de l’accord franco-algérien de 1968. Cette stipulation crée une présomption en faveur de la délivrance du titre. Toutefois, le juge administratif précise immédiatement que ce droit n’est pas absolu. Il énonce que les dispositions de l’accord « ne privent pas l’autorité compétente du pouvoir qui lui appartient de refuser à un ressortissant algérien la délivrance du certificat de résidence d’un an lorsque sa présence en France constitue une menace pour l’ordre public ».

Ce faisant, la Cour applique une solution classique en faisant prévaloir la clause générale de sauvegarde de l’ordre public, inspirée de l’article L. 412-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sur le droit au séjour spécifique tiré de l’accord bilatéral. Cette interprétation consacre l’idée que la protection de la société constitue une exigence fondamentale qui transcende les régimes de séjour, y compris ceux qui sont les plus protecteurs sur le papier. La décision souligne ainsi que la qualité de parent d’enfant français ne constitue pas une immunité, mais un simple élément d’appréciation parmi d’autres.

B. La qualification de la menace à partir d’un faisceau d’indices comportementaux

Pour justifier son analyse, la Cour procède à un examen détaillé du comportement de l’intéressé. Elle ne se contente pas de constater l’existence de condamnations pénales, mais en analyse la nature, la fréquence et l’évolution. Elle relève que l’individu a été condamné à plusieurs reprises pour des faits de conduite sans permis, mais aussi pour des faits plus graves « d’usage de faux document administratif » et de refus de coopération avec la justice. La juridiction insiste sur le fait que ces agissements sont « récents et ayant été répétées sur une courte période et d’une gravité croissante ».

En outre, l’arrêt prend en considération des éléments ne relevant pas de condamnations définitives, notant que l’individu a été « cité dans une enquête préliminaire pour faux, usage et aide au séjour » et est « défavorablement connu des services de police pour des faits d’aide à l’entrée (…) d’un étranger en France, pour des faits d’attaque au couteau sur un technicien, ainsi que pour des faits de vol aggravé ». La prise en compte de ce faisceau d’indices démontre que l’appréciation de la menace à l’ordre public est globale et ne se limite pas au casier judiciaire. C’est bien le comportement général de la personne et le risque qu’il représente pour l’avenir qui sont évalués, ce qui donne une marge d’appréciation significative à l’administration, sous le contrôle du juge.

II. Une appréciation stricte de la balance des intérêts en présence

Au-delà de la caractérisation de la menace à l’ordre public, l’enjeu principal de l’arrêt réside dans le contrôle de proportionnalité exigé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour effectue une mise en balance rigoureuse, accordant une nette prépondérance à la sécurité publique (A) et relativisant en conséquence le poids des liens familiaux (B).

A. La prépondérance accordée aux antécédents pénaux dans le contrôle de proportionnalité

La Cour examine si le refus de séjour porte une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant. Dans cette analyse, le poids des infractions commises est déterminant. L’arrêt ne minimise pas les faits reprochés en les qualifiant de simple délinquance routière, mais les inscrit dans une dynamique de mépris répété des lois de la République. L’usage d’un faux document administratif est particulièrement retenu comme un acte grave, car il porte atteinte à la confiance publique et à la sécurité juridique.

En jugeant que « l’ampleur de la menace à l’ordre public que constitue sa présence en France » justifie la décision de refus, la Cour établit une hiérarchie claire. Face à un comportement délinquant persistant et diversifié, la protection de la société l’emporte. Cette approche pragmatique traduit l’idée que le droit à la vie familiale ne saurait être invoqué pour faire obstacle à une mesure d’éloignement jugée nécessaire à la défense de l’ordre public, surtout lorsque l’étranger a lui-même, par ses actes, rompu le contrat de confiance qui le liait à la société d’accueil.

B. La relativisation des liens familiaux face à la gravité du comportement

Face à la menace pour l’ordre public, les éléments relatifs à l’intégration personnelle et familiale de l’étranger perdent de leur force. La Cour prend acte du fait que l’intéressé « réside sur le territoire français depuis près de 5 ans et qu’il soit le père d’un enfant français né le 18 septembre 2019 et à l’égard duquel il exerce conjointement l’autorité parentale ». Ces éléments sont de nature à fonder, en principe, un droit au respect de la vie privée et familiale.

Néanmoins, l’arrêt conclut que la décision contestée « ne porte pas une atteinte disproportionnée » à ce droit. Cette conclusion implicite signifie que l’intérêt supérieur de l’enfant, bien que protégé par les conventions internationales, ne suffit pas à paralyser la décision de l’administration lorsque le comportement du parent est jugé suffisamment grave. La présence en France depuis cinq ans est également considérée comme un facteur d’intégration insuffisant pour contrebalancer les faits reprochés. La décision illustre ainsi une jurisprudence constante selon laquelle plus la menace à l’ordre public est sérieuse, plus les considérations tirées de la vie privée et familiale doivent céder le pas, le juge opérant une balance où la sécurité collective pèse d’un poids prépondérant.

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Hassan KOHEN
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