Par un arrêt en date du 31 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy a rejeté la requête d’un ressortissant étranger dirigée contre un jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 22 février 2024, lequel avait confirmé la légalité d’un arrêté préfectoral lui refusant la délivrance d’un titre de séjour et l’obligeant à quitter le territoire français. En l’espèce, un jeune homme de nationalité guinéenne, entré en France en situation de minorité, avait été confié au service de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à sa majorité. Ayant suivi une formation professionnelle en boucherie dans le cadre d’un apprentissage, il avait sollicité, dans l’année de son dix-huitième anniversaire, son admission au séjour sur le fondement des dispositions spécifiques aux jeunes majeurs anciennement pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. L’administration, par un arrêté du 2 octobre 2023, avait opposé un refus à sa demande, assorti d’une obligation de quitter le territoire. Saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait rejeté la demande par un jugement du 22 février 2024. Le requérant a interjeté appel de ce jugement, soutenant remplir les conditions d’obtention d’un titre de séjour, subsidiairement au titre de sa vie privée et familiale, et arguant du caractère disproportionné de la mesure d’éloignement. La question posée à la Cour était donc de savoir si l’interruption d’une formation à la date de la décision attaquée suffit à écarter le droit au séjour d’un jeune majeur anciennement confié à l’aide sociale à l’enfance, et si, dans un tel contexte, la seule existence d’une promesse d’embauche et une intégration sociale peuvent suffire à caractériser une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale justifiant l’annulation du refus de séjour. La Cour administrative d’appel de Nancy répond par la négative, considérant d’une part que la condition de suivi d’une formation doit s’apprécier strictement à la date de l’arrêté préfectoral, et d’autre part que les éléments d’intégration avancés par le requérant n’étaient pas suffisants pour considérer le refus de séjour comme une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale.
La décision commentée illustre une application rigoureuse des conditions d’admission au séjour, tant au regard du dispositif spécifique aux jeunes majeurs anciennement protégés qu’au titre du droit commun de la vie privée et familiale. Il convient ainsi d’analyser la confirmation par le juge d’une appréciation restrictive des critères légaux par l’administration (I), avant d’examiner la portée limitée reconnue aux éléments d’intégration personnelle et professionnelle dans le cadre du bilan des intérêts en présence (II).
I. LA CONFIRMATION D’UNE APPRÉCIATION RESTRICTIVE DES CRITÈRES LÉGAUX D’ADMISSION AU SÉJOUR
L’arrêt confirme la position de l’administration en adoptant une lecture temporelle stricte de la condition de formation pour les jeunes majeurs (A) et en relativisant la valeur des perspectives professionnelles dans l’appréciation des liens personnels (B).
A. L’appréciation temporelle rigoureuse de la condition de suivi d’une formation
Le requérant sollicitait le bénéfice des dispositions de l’article L. 423-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoient la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’étranger confié à l’aide sociale à l’enfance avant ses seize ans. Ce droit est conditionné, entre autres, au « caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite ». La Cour, pour rejeter ce moyen, se fonde sur une analyse factuelle précise et datée. Elle relève en effet que « à la date de la décision de refus de séjour contestée le 2 octobre 2023, il ne justifiait plus être inscrit dans une formation ». Cette approche consacre le principe selon lequel la légalité d’un acte administratif s’apprécie à la date de son édiction. Peu importe que l’intéressé ait suivi assidûment une formation qualifiante jusqu’à quelques mois auparavant ou que l’interruption de celle-ci soit la conséquence du défaut de titre de séjour l’autorisant à travailler. Le juge administratif se refuse à prendre en considération des éléments postérieurs ou des liens de causalité qui ne ressortent pas de la situation de l’intéressé au jour de la décision préfectorale. Une telle interprétation, bien que juridiquement fondée sur les principes du contentieux administratif, soulève la question de l’effectivité du dispositif de protection, celui-ci pouvant être paralysé par des situations où le jeune majeur se trouve dans une impasse administrative.
B. La qualification restrictive des liens personnels et familiaux
À titre subsidiaire, le requérant invoquait les dispositions de l’article L. 423-23 du même code, fondées sur l’existence de liens personnels et familiaux en France. L’analyse de la Cour sur ce point démontre une même rigueur dans l’appréciation des éléments constitutifs de l’intégration. Le juge relève que l’intéressé est célibataire, sans enfant, et qu’il n’établit pas de manière probante le décès de ses parents dans son pays d’origine, se bornant à produire des documents « dépourvus de toute valeur probante ». Cette exigence formelle quant à la preuve de l’isolement familial dans le pays d’origine est une constante de la jurisprudence administrative, qui place la charge de la preuve sur le demandeur. La Cour écarte également l’argument tiré de l’insertion professionnelle, notant qu’il « ne justifie pas, par les documents qu’il produit, disposer d’un emploi ni même d’une promesse d’embauche ». Cette dernière affirmation semble en tension avec les faits rapportés dans la requête, qui mentionnaient une promesse d’embauche en contrat à durée indéterminée. En tout état de cause, la Cour signifie qu’une simple promesse, même crédible, ne suffit pas à établir une intégration professionnelle actuelle et effective, critère essentiel dans la balance opérée au titre de l’article L. 423-23.
II. LA MINIMISATION DES ÉLÉMENTS D’INTÉGRATION FACE AUX CONSIDÉRATIONS D’ORDRE PUBLIC
L’arrêt révèle que, dans la mise en balance des intérêts, le parcours d’intégration du requérant est jugé insuffisant pour faire obstacle au refus de séjour (A), notamment en raison de la prise en compte de son comportement passé, même en l’absence de condamnation (B).
A. L’insuffisante prise en compte du parcours d’insertion sociale
Le requérant faisait valoir une résidence de plus de cinq années en France, un parcours de formation qualifiante et des attaches sociales importantes. Cependant, la Cour estime que ces éléments ne suffisent pas à rendre le refus de séjour disproportionné au regard des buts de la décision. En se concentrant sur le caractère récent de son séjour en tant que majeur et sur l’absence de liens familiaux constitués en France, le juge minimise la portée de l’intégration sociale et du parcours accompli durant la minorité sous la protection de l’État. Cette approche met en lumière la difficulté pour les jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance de faire valoir un continuum dans leur parcours d’intégration. La rupture symbolique de la majorité semble ainsi l’emporter sur la continuité d’une présence et d’un projet de vie initié sur le territoire national, alors même que ces dispositifs visent précisément à sécuriser leur transition vers l’autonomie. L’appréciation de l’atteinte à la vie privée et familiale apparaît dès lors particulièrement sévère, ne reconnaissant qu’un poids relatif aux efforts d’intégration déployés.
B. L’influence déterminante d’antécédents judiciaires non suivis de condamnation
Un élément décisif dans le raisonnement de la Cour réside dans la prise en compte des antécédents judiciaires du requérant. L’administration avait produit un extrait du traitement des antécédents judiciaires mentionnant des faits de vol pour lesquels l’intéressé avait été interpellé. Le juge prend soin de noter que si « le requérant soutient qu’il n’a fait l’objet d’aucune condamnation à raison de ces faits, il n’en conteste pas leur matérialité ». La Cour en déduit un élément négatif dans l’appréciation de la situation personnelle du demandeur. Cette prise en considération de faits n’ayant pas donné lieu à une condamnation pénale interroge au regard du principe de la présomption d’innocence. Si l’autorité administrative dispose d’un large pouvoir d’appréciation de la situation personnelle d’un étranger, y compris de son comportement général, l’utilisation de simples mentions dans un fichier de police comme motif implicite justifiant un refus de séjour confère un poids considérable à des faits non établis judiciairement. L’arrêt confirme ainsi une jurisprudence qui permet à l’administration de se fonder sur le comportement global de l’individu, au-delà des seules condamnations, pour évaluer la menace, même potentielle, à l’ordre public, et pour apprécier le bien-fondé d’une demande d’admission au séjour au titre de la vie privée et familiale.