Cour d’appel administrative de Nancy, le 31 juillet 2025, n°25NC00029

Par un arrêt en date du 31 juillet 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a été amenée à se prononcer sur les conditions de refus d’une autorisation d’instruction en famille. Depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, le régime de l’instruction en famille est passé d’un système déclaratif à un régime d’autorisation préalable, marquant une volonté du législateur d’encadrer plus strictement cette pratique. C’est dans ce contexte que s’inscrit la présente décision, qui vient préciser l’étendue du contrôle de l’administration et du juge sur les motifs justifiant une telle dérogation au principe de scolarisation en établissement.

En l’espèce, des parents se sont vu refuser par l’autorité académique, le 23 avril 2024, l’autorisation de dispenser l’instruction à domicile pour leur jeune enfant au titre de l’année scolaire 2024-2025. Cette autorisation était sollicitée sur le fondement de l’existence d’une « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». Suite à ce refus, les parents ont formé un recours administratif préalable obligatoire devant une commission académique, laquelle a confirmé la décision initiale le 20 juin 2024. Saisi par les parents, le tribunal administratif de Besançon a rejeté leur demande d’annulation par un jugement du 12 novembre 2024. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement l’irrégularité de la procédure suivie devant la commission, ainsi qu’une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation dans l’application des dispositions du code de l’éducation. Ils arguaient que l’administration avait appliqué des critères non prévus par la loi et avait méconnu la spécificité de la situation de leur enfant.

Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si l’administration pouvait légalement refuser une autorisation d’instruction en famille en se fondant sur une appréciation stricte de la notion de « situation propre à l’enfant » et si les vices de procédure invoqués étaient de nature à vicier sa décision.

La cour administrative d’appel de Nancy rejette la requête. Elle juge d’une part que les vices de procédure allégués, à les supposer même établis, n’ont pas été susceptibles d’exercer une influence sur le sens de la décision ou de priver les requérants d’une garantie. D’autre part, elle valide le raisonnement de l’administration consistant à vérifier, à titre liminaire, l’existence d’une situation réellement propre à l’enfant avant d’analyser plus avant le projet éducatif. Enfin, elle estime que les besoins généraux liés au jeune âge d’un enfant ne sauraient suffire à caractériser une telle situation propre.

Cet arrêt illustre avec clarté la rigueur du nouveau cadre juridique de l’instruction en famille. La cour valide la méthode de contrôle de l’administration (I) tout en consacrant une interprétation restrictive des conditions de fond de la dérogation (II).

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I. La validation du cadre de contrôle de la demande d’instruction en famille

La cour administrative d’appel confirme la régularité du contrôle opéré par l’administration en écartant tant les critiques formelles que les reproches adressés à la méthode d’analyse. Elle procède ainsi à une neutralisation pragmatique des vices de procédure invoqués (A) avant de légitimer la démarche intellectuelle suivie par l’autorité académique (B).

A. La neutralisation des vices de procédure au nom d’une approche pragmatique

Les requérants soulevaient plusieurs moyens de légalité externe, tenant à la composition et au fonctionnement de la commission de recours. Ils contestaient la régularité des délibérations, notamment en raison de la participation de certains membres par visioconférence. La cour écarte ces arguments en se fondant sur une jurisprudence bien établie en contentieux administratif. Après avoir vérifié la conformité formelle de la composition de la commission, elle rappelle qu’« un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable […] n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».

En appliquant ce principe, connu sous le nom de jurisprudence Danthony, le juge administratif se refuse à sanctionner des irrégularités procédurales qui n’ont eu aucune conséquence concrète. Cette solution permet d’éviter qu’une décision juste sur le fond soit annulée pour un simple manquement formel. En l’espèce, la cour estime que rien ne démontre que la participation à distance de certains membres aurait altéré la qualité des débats ou changé l’issue du vote. Cette approche témoigne d’un souci de réalisme et de proportionnalité, le juge se concentrant sur la préservation des garanties essentielles des administrés plutôt que sur un formalisme excessif.

B. La confirmation de la méthode de contrôle de l’autorité administrative

Les requérants avançaient que la commission avait commis une erreur de droit en fondant son refus sur l’absence de situation propre à l’enfant, sans procéder à une analyse complète des avantages et inconvénients des différents modes d’instruction. La cour rejette cette argumentation en validant la méthode de l’administration, qui procède à un examen en deux temps. Elle juge en effet « qu’il appartenait à la commission académique de vérifier l’existence d’une situation propre à l’enfant de nature à justifier un projet éducatif spécifiquement adapté à cette situation, sans pour autant justifier sa décision au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel n’entre en considération que si l’existence de la situation propre est avérée ».

Ce faisant, la cour clarifie l’articulation des critères posés par l’article L. 131-5 du code de l’éducation. L’existence d’une « situation propre à l’enfant » n’est pas un simple élément d’appréciation parmi d’autres, mais un prérequis, une condition d’accès à la dérogation. Ce n’est que si cette condition première est remplie que l’administration doit alors se livrer à un examen complet du projet et le confronter à l’intérêt supérieur de l’enfant. Cette interprétation confère à la notion de « situation propre » une fonction de filtre, en pleine cohérence avec l’intention du législateur de faire de l’instruction en famille une exception dûment motivée au principe de scolarisation.

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II. L’affirmation d’une appréciation rigoureuse de la situation propre à l’enfant

Au-delà des aspects procéduraux, l’apport principal de l’arrêt réside dans l’interprétation stricte qu’il donne aux conditions de fond. La cour rejette explicitement une conception trop large de la notion de « situation propre à l’enfant » (A) et rappelle par là-même la portée désormais limitée de l’autorisation d’instruction à domicile (B).

A. Le rejet d’une conception extensive de la « situation propre à l’enfant »

Pour justifier leur demande, les parents mettaient en avant « des éléments tirés des besoins affectifs et physiques de mouvements et du rythme de vie » de leur enfant. La cour juge cette argumentation inopérante et considère que les requérants « ne sauraient valablement caractériser une situation propre à l’enfant » par de tels motifs, au demeurant « fréquents chez les enfants de cet âge ». Cette motivation est déterminante : elle signifie que la situation invoquée doit être véritablement singulière et ne peut se confondre avec les caractéristiques générales ou les besoins communs à une tranche d’âge.

En adoptant cette position, le juge administratif établit une ligne de partage claire. Ne constitue pas une situation propre un état de fait ou des besoins partagés par la majorité des enfants placés dans une situation comparable. La spécificité requise doit être attachée à la personne même de l’enfant, à son parcours, à sa santé ou à des circonstances particulières qui le distinguent objectivement. Cette exigence de singularité élève considérablement le niveau de justification attendu des familles et limite de fait les possibilités d’obtenir une autorisation sur ce motif. La décision s’inscrit ainsi dans une logique de contrôle renforcé, où la dérogation n’est accordée que lorsque le projet éducatif familial répond à une nécessité objectivement démontrée.

B. La portée limitée de l’autorisation d’instruction en famille

Enfin, la cour écarte un dernier argument des parents, qui soulignaient avoir bénéficié d’une autorisation pour les années antérieures. Le juge estime que cette circonstance est « sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ». Cette affirmation, bien que classique en droit administratif où les décisions créatrices de droits sont rares, revêt ici une importance particulière. Elle confirme que l’autorisation d’instruction en famille est précaire et ne confère aucun droit acquis à son renouvellement.

Chaque demande est examinée de manière indépendante, au regard des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de la nouvelle décision. Le passé ne préjuge pas de l’avenir. Cette solution renforce la nature dérogatoire et exceptionnelle du dispositif. Elle rappelle aux familles que leur projet est soumis à un contrôle annuel et que l’appréciation de l’administration peut évoluer, conformément à l’esprit de la loi de 2021. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy apparaît donc comme une illustration fidèle de la nouvelle philosophie de l’instruction en famille : un mode d’instruction non plus librement choisi, mais exceptionnellement autorisé et strictement contrôlé.

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Hassan KOHEN
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