La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu le 5 juin 2025 une décision précisant les contours du débat oral lors d’un contrôle fiscal. Une société spécialisée dans la fabrication industrielle a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2013 et 2014. Le litige portait initialement sur la régularité de la procédure ainsi que sur le bien-fondé de réintégrations liées à des charges et provisions. Lors de l’ultime réunion de synthèse, la présence d’une huissière munie d’un dictaphone a provoqué le départ immédiat des agents de l’administration. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté la majorité des conclusions de la société par un jugement du 15 décembre 2022. La requérante conteste cette décision en invoquant notamment la violation du principe d’égalité des armes et l’absence de débat oral et contradictoire. Le problème juridique réside dans l’influence du comportement du contribuable sur la régularité de la procédure et sur la qualification d’acte anormal de gestion. La juridiction d’appel confirme la régularité du contrôle mais décharge partiellement les pénalités pour manquement délibéré faute de preuves intentionnelles suffisantes.
I. La préservation de la régularité procédurale face aux manœuvres du contribuable
A. La consécration d’une exigence de dialogue serein et oral
Le juge administratif rappelle que la garantie d’un débat oral et contradictoire vise à permettre « l’instauration d’un dialogue serein, ouvert et non formalisé ». Cette interaction ne peut se concevoir que dans un cadre souple où l’échange demeure spontané entre le vérificateur et le représentant de l’entreprise. En l’espèce, le recours à un officier ministériel chargé d’enregistrer les propos des agents a été jugé de nature à intimider l’administration fiscale. La cour souligne ainsi qu’« un tel dialogue lequel ne peut revêtir, par définition, qu’un caractère exclusivement oral », excluant tout formalisme excessif ou captation sonore. L’attitude du contribuable a ici fait obstacle à la discussion, libérant ainsi le vérificateur de son obligation de mener à bien l’entretien final. La société ne peut donc utilement se prévaloir d’une rupture du débat oral alors qu’elle en a elle-même compromis la tenue effective.
B. L’interprétation stricte des garanties liées à l’assistance
Le droit pour le contribuable vérifié de se faire assister par le conseil de son choix constitue une garantie fondamentale de la procédure. Toutefois, la présence d’un huissier de justice dont la mission se limitait à la consignation des propos ne saurait être assimilée à celle d’un conseil. Les magistrats relèvent que la fonction de conseil était déjà pleinement assurée par l’avocat de la société présent lors de la séance litigieuse. L’officier ministériel agissait uniquement pour se ménager des preuves, ce qui excède les prévisions de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié. Le départ des agents n’a donc pas privé la requérante de son droit à être assistée pour ses relations avec le service vérificateur. Cette solution marque la volonté de la juridiction de protéger les agents contre des méthodes d’intimidation déguisées en droits de la défense.
II. Le contrôle approfondi de la normalité de la gestion et des pénalités
A. La sanction des libéralités contraires à l’intérêt de l’entreprise
La juridiction administrative valide la réintégration d’une provision pour dépréciation de créance résultant d’un prêt consenti au dirigeant d’une sous-filiale étrangère en difficulté. Elle considère que cet acte de disposition ne répond pas à l’intérêt propre de la société mère et « ne relève pas d’une gestion commerciale normale ». La requérante n’a pas démontré qu’elle était contractuellement ou légalement tenue de garantir les risques financiers encourus personnellement par ce dirigeant tiers. De plus, le remboursement de l’avance était conditionné au versement hypothétique d’une indemnité d’assurance, ce qui caractérise une prise de risque injustifiée. En l’absence de contrepartie directe ou indirecte pour l’exploitation de l’entreprise, la charge ne pouvait être valablement déduite du bénéfice imposable. L’administration apporte ainsi la preuve du caractère anormal de cette opération financière au regard des principes régissant l’impôt sur les sociétés.
B. La modulation des pénalités selon la preuve de l’intention
La cour opère une distinction nécessaire entre l’erreur de qualification comptable et la volonté manifeste d’éluder l’impôt pour l’application des majorations fiscales. S’agissant des immobilisations passées indûment en charges, elle juge que l’administration ne rapporte pas la preuve de l’« intention délibérée d’éluder l’impôt ». Une simple hésitation sur le traitement comptable de travaux de réfection ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi du contribuable vérifié. En revanche, la pénalité de quarante pour cent est maintenue pour la provision liée au prêt anormal accordé au dirigeant de la filiale. La société ne pouvait ignorer que la constitution d’une telle provision sur une libéralité était irrégulière et destinée à minorer sa base imposable. Cet arrêt illustre l’exigence de rigueur imposée à l’administration dans la motivation des sanctions fondées sur le manquement délibéré du contribuable.