Cour d’appel administrative de Nancy, le 5 juin 2025, n°23NC03414

La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu, le 5 juin 2025, une décision précisant les conditions de déductibilité d’une provision pour dépréciation d’un fonds de commerce. Une entreprise de soins esthétiques a acquis des éléments incorporels et corporels en octobre 2012 pour un montant total avoisinant les cent vingt mille euros. À la clôture de l’exercice 2017, la société a comptabilisé une dépréciation de son fonds de commerce s’élevant à soixante-quatre mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf euros. L’administration fiscale a remis en cause cette déduction lors d’un examen de comptabilité au motif qu’aucun événement probant n’était survenu durant l’exercice. Après le rejet de sa demande par le tribunal administratif de Nancy le 21 septembre 2023, la contribuable a interjeté appel devant la juridiction supérieure. La requérante soutient que le détournement d’une partie de sa clientèle par une ancienne salariée constitue un événement toujours en cours justifiant la provision. La question posée aux juges consiste à savoir si la persistance d’une baisse d’activité permet de caractériser un événement rendant probable une perte de valeur. La Cour confirme le rejet de la demande en soulignant l’absence de dépréciation effective rattachable à un fait contemporain et l’insuffisance de l’évaluation retenue.

I. La caractérisation d’un événement en cours justifiant la provision pour dépréciation

A. L’exigence de contemporanéité de l’événement perturbateur à la clôture de l’exercice

Le bénéfice net s’établit sous déduction des provisions constituées pour faire face à des pertes que des événements en cours rendent alors probables. L’entreprise doit établir le bien-fondé et justifier du montant d’une telle charge au regard des caractéristiques de l’exploitation au cours de la période. La Cour relève que la baisse du chiffre d’affaires s’est manifestée dès l’année 2014, soit trois ans avant la comptabilisation de la provision litigieuse. Les juges considèrent que « les modifications des conditions d’exploitation […] intervenues en 2014 ne sauraient constituer un événement en cours en 2017 de nature à fonder la déductibilité ». La simple persistance d’une situation difficile ne suffit pas à caractériser l’actualité de l’événement générateur requis par les dispositions du code général des impôts. Une provision ne peut être déduite si elle se rapporte à des faits dont l’influence sur la valeur de l’actif est déjà ancienne et stabilisée.

B. L’absence de démonstration probante de la réalité du détournement de clientèle

La validité d’une provision dépend de la précision des pertes envisagées et de la réalité des circonstances constatées à la date de clôture de l’exercice. La requérante affirmait qu’une ancienne salariée avait ouvert un institut concurrent, entraînant une rupture du processus de fidélisation de sa propre clientèle de soins. L’instruction démontre pourtant qu’une distance de plus de vingt-cinq kilomètres séparait les deux communes, rendant ainsi fort improbable toute allégation de détournement de marché. La clause de non-concurrence signée lors de la vente limitait l’interdiction d’installation à un rayon de trois kilomètres seulement pendant une durée de trois ans. Les juges soulignent que la diminution de l’activité correspondait surtout à la période où la gérante travaillait seule après le licenciement de sa collaboratrice. L’administration était donc fondée à remettre en cause la provision en l’absence d’une dépréciation effective rattachable à un risque de perte de clientèle avéré.

II. La conformité de l’évaluation du fonds de commerce aux prescriptions comptables

A. L’obligation de confronter la valeur vénale à la valeur d’usage de l’actif

La déductibilité fiscale d’une provision est subordonnée à sa constatation dans les écritures de l’exercice conformément aux prescriptions rigoureuses édictées par le plan comptable général. La dépréciation d’un actif est la constatation que sa valeur actuelle est devenue notablement inférieure à sa valeur nette comptable à la date de clôture. La valeur actuelle se définit comme la valeur la plus élevée entre la valeur vénale, issue du marché, et la valeur d’usage, issue de l’exploitation. La Cour précise que « la seule circonstance que la valeur vénale d’un élément d’actif soit devenue inférieure à sa valeur nette comptable ne saurait justifier la déductibilité ». Si la valeur d’usage reste supérieure à la valeur comptable, aucune dépréciation ne peut être valablement enregistrée malgré une baisse potentielle du prix de revente. Cette règle impose aux contribuables une double évaluation complexe pour justifier la sincérité des provisions qu’ils entendent déduire de leur résultat imposable.

B. La sanction de l’approximation méthodologique dans la détermination de la valeur actuelle

Pour déterminer le montant de la provision, la société s’est bornée à appliquer un coefficient au chiffre d’affaires moyen des deux derniers exercices comptables. Cette méthode de calcul permet seulement d’identifier la valeur vénale du fonds sans jamais rechercher les avantages économiques futurs attendus de son utilisation durable. La requérante n’a produit aucune estimation des flux nets de trésorerie qui auraient permis de définir précisément la valeur d’usage de son outil professionnel. À défaut de constater une valeur actuelle globalement inférieure à la valeur nette comptable, la provision ne respecte pas les principes fondamentaux de la comptabilité. La Cour d’appel de Nancy confirme ainsi que l’absence de recherche de la valeur d’usage fait obstacle à la reconnaissance fiscale de la dépréciation subie. Le rejet de la requête souligne la nécessité pour les entreprises de suivre une méthodologie d’évaluation exhaustive pour sécuriser leurs déductions en matière d’immobilisations incorporelles.

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Hassan KOHEN
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