Cour d’appel administrative de Nancy, le 6 mars 2025, n°22NC01766

Par un arrêt en date du 6 mars 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la nature juridique de l’engagement d’un agent vacataire par une personne publique et sur le régime de responsabilité applicable en cas de révocation de cet engagement avant tout commencement d’exécution. En l’espèce, une intervenante avait été recrutée par un groupement d’établissements de formation continue par une lettre d’engagement pour assurer un volume horaire d’enseignement déterminé. Quelques jours seulement avant le début des cours, elle fut informée de l’annulation de ses interventions en raison d’un nombre insuffisant d’inscrits et de financements. L’enseignante a alors saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d’une demande indemnitaire à l’encontre de l’établissement support du groupement, sur le fondement de la responsabilité pour promesse non tenue. Les premiers juges ayant fait droit à sa demande et condamné l’établissement, ce dernier a interjeté appel du jugement. La requérante, par la voie de l’appel incident, sollicitait pour sa part une augmentation des sommes allouées. Il revenait donc aux juges d’appel de déterminer si l’annulation de l’intervention de l’agent devait s’analyser comme la méconnaissance d’une simple promesse engageant la responsabilité extracontractuelle de l’administration, ou comme la rupture d’un lien contractuel obéissant à un régime de responsabilité distinct. La cour administrative d’appel a considéré que la lettre d’engagement constituait un véritable contrat, et que son annulation s’analysait en une rupture unilatérale de celui-ci. Par conséquent, elle a jugé que la demande de l’intéressée, fondée sur la responsabilité pour promesse non tenue, était mal fondée et a annulé le jugement de première instance. La solution retenue par la cour, si elle se justifie par une qualification rigoureuse du lien juridique unissant les parties (I), entraîne des conséquences procédurales déterminantes pour l’agent évincé (II).

I. La requalification du fondement de la responsabilité administrative

La cour d’appel a procédé à une analyse précise de la nature de l’engagement de l’agent, écartant la qualification de simple promesse (A) pour affirmer l’existence d’un contrat de travail (B).

A. Le rejet de la responsabilité pour promesse non tenue

Les juges du fond avaient initialement retenu la responsabilité de l’administration sur le terrain de la promesse non tenue, considérant que l’établissement avait commis une faute en ne donnant pas suite aux assurances données à l’intervenante. Toutefois, la cour d’appel censure cette analyse en opérant une requalification du lien juridique. Elle estime que les faits de l’espèce dépassent le simple cadre de pourparlers ou d’une promesse pré-contractuelle. La précision de la lettre d’engagement, qui fixait la nature des prestations, la période d’intervention ainsi qu’un volume horaire prévisionnel et une rémunération, constituait bien plus qu’une simple assurance. En conséquence, la cour juge que la décision de ne pas faire intervenir l’agent « doit être analysée, non pas comme un manquement à une promesse de procéder à son recrutement, mais comme une rupture unilatérale de son contrat de travail ». Ce faisant, elle écarte la responsabilité extracontractuelle qui ne peut être invoquée qu’en l’absence de lien contractuel entre l’auteur du dommage et la victime. Le choix de ce fondement par la requérante en première instance était donc erroné.

B. L’affirmation de l’existence d’un contrat de recrutement

En lieu et place de la promesse, la cour administrative d’appel consacre l’existence d’un véritable contrat. Elle juge que « par lettre d’engagement du 3 janvier 2019 présentant un caractère contractuel, Mme A… a été recrutée par le GRETA Sud-Champagne ». Cette qualification repose sur la rencontre des volontés sur les éléments essentiels de la relation de travail, matérialisée par ce document. Peu importe que l’agent n’ait pas encore commencé à dispenser ses cours, le contrat était valablement formé dès l’échange des consentements. Dès lors, la décision de l’administration de mettre fin à la relation avant même son commencement d’exécution ne peut s’analyser que comme une rupture de ce contrat. Cette requalification modifie entièrement la perspective juridique du litige, le déplaçant du terrain délictuel vers le terrain contractuel. La faute de l’administration ne réside plus dans la déception d’une attente légitime, mais dans la rupture potentiellement injustifiée d’un engagement contractuel. Cette nouvelle qualification emporte des conséquences procédurales directes et inévitables.

II. Les conséquences de la qualification contractuelle du litige

La reconnaissance d’un contrat entre l’agent et l’administration conduit la cour à rejeter la demande indemnitaire pour des motifs de pur droit (A), tout en laissant ouverte une autre voie de droit pour la requérante (B).

A. Le rejet inéluctable d’une action mal engagée

La première conséquence de la requalification est le rejet des prétentions de l’agent. La cour énonce logiquement que « Mme A… n’est pas fondée à rechercher la responsabilité extracontractuelle de l’administration pour promesse non tenue ». Une partie à un contrat ne peut pas agir contre son cocontractant sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle pour un litige lié à l’exécution ou à l’inexécution de ce contrat. Le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et extracontractuelle trouve ici une application rigoureuse. De surcroît, la cour relève que « les conclusions indemnitaires de l’intéressée, qui tendaient à la condamnation, non pas du GRETA Sud-Champagne, mais du lycée polyvalent Les Lombards, étaient mal dirigées ». L’action était non seulement mal fondée dans son principe juridique, mais également mal dirigée dans sa cible. Ces deux erreurs cumulées ne pouvaient mener qu’à l’annulation du jugement de première instance et au rejet complet de la demande, privant l’enseignante de toute indemnisation dans le cadre de cette instance.

B. L’indication d’une nouvelle voie de recours contractuelle

Bien que l’arrêt soit défavorable à la requérante, il n’en demeure pas moins qu’il lui offre une perspective. La cour prend soin d’indiquer la voie juridique pertinente en précisant qu’il « lui appartient, en revanche, si elle s’y croit fondée, de rechercher la responsabilité contractuelle de son employeur à raison de la faute qu’il aurait commis en rompant unilatéralement son contrat d’engagement ». Cette mention, qui n’était pas indispensable à la solution du litige, a une portée pédagogique et dessine les contours d’un futur contentieux. L’arrêt oriente ainsi l’agent vers une nouvelle action, cette fois-ci fondée sur la responsabilité contractuelle, et dirigée contre son employeur direct, le groupement d’établissements. La portée de cette décision est donc double : elle rappelle avec fermeté les règles de la responsabilité administrative et du contentieux contractuel, tout en éclairant la partie déboutée sur la stratégie procédurale à adopter pour faire valoir ses droits sur un fondement juridiquement correct.

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Hassan KOHEN
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