Cour d’appel administrative de Nancy, le 6 mars 2025, n°23NC03402

Par un arrêt en date du 6 mars 2025, la cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur la légalité d’une mesure d’éloignement prise à l’encontre d’un citoyen de l’Union européenne en raison d’une menace pour l’ordre public. En l’espèce, un ressortissant allemand, présent sur le territoire français depuis 2006, a fait l’objet d’une condamnation pénale en 2021 pour des faits liés au trafic de stupéfiants. À la suite de cette condamnation, l’autorité préfectorale a édicté, le 13 septembre 2023, un arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, assorti d’une interdiction de circulation d’une durée de trois ans et d’une décision fixant le pays de destination.

Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif a rejeté sa demande d’annulation de cet arrêté par un jugement du 16 octobre 2023. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, contestant la légalité de la décision préfectorale sur plusieurs fondements, notamment l’incompétence du signataire, une motivation insuffisante, une erreur d’appréciation de sa situation personnelle et une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Se posait donc à la cour la question de savoir si une condamnation pénale, même grave, pouvait justifier une mesure d’éloignement à l’encontre d’un citoyen de l’Union européenne justifiant d’une présence ancienne en France et d’attaches familiales.

Par sa décision, la cour administrative d’appel rejette la requête. Elle estime que la menace que représente le comportement du requérant pour l’ordre public est suffisamment caractérisée pour fonder légalement la décision d’éloignement, et que cette mesure ne porte pas une atteinte excessive à sa vie privée et familiale, compte tenu de la gravité des faits commis et d’une intégration jugée insuffisante. La cour confirme ainsi la validité de la décision administrative en validant le raisonnement de l’autorité préfectorale (I), tout en consacrant une appréciation stricte de la situation personnelle du requérant au regard des exigences de l’ordre public (II).

I. La confirmation rigoureuse de la légalité de la décision préfectorale

La cour administrative d’appel opère un contrôle classique de la légalité de l’acte administratif, écartant d’abord les moyens de légalité externe et de motivation (A), avant de confirmer le bien-fondé de la mesure au regard de la menace à l’ordre public (B).

A. Le rejet des moyens de légalité externe et de motivation

Le requérant soulevait en premier lieu l’incompétence du signataire de l’arrêté contesté. La cour écarte ce moyen de manière factuelle en relevant que le chef de bureau bénéficiait bien d’une délégation de signature « consentie par la préfète du Bas-Rhin par un arrêté en date du 7 septembre 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le 8 septembre 2023 ». Cette vérification formelle atteste du respect des règles de compétence et de publicité, rendant le moyen inopérant.

Ensuite, le juge administratif examine la motivation de l’obligation de quitter le territoire. Il constate que la décision « vise les dispositions du 2° de l’article L. 251-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, rappelle la condamnation pénale prononcée (…) précise les raisons pour lesquelles sa présence en France constitue une menace pour l’ordre public ». En relevant également la prise en compte de la situation personnelle et familiale de l’intéressé, la cour conclut que l’arrêté est suffisamment motivé en fait comme en droit. Cette approche pragmatique illustre que la motivation n’a pas à être exhaustive, mais doit permettre à l’intéressé de comprendre les raisons de la décision et au juge d’exercer son contrôle.

B. La caractérisation de la menace à l’ordre public comme fondement principal

Le cœur de la justification de l’arrêté réside dans la menace à l’ordre public. La cour s’appuie sur la condamnation pénale de l’intéressé « à dix-huit mois d’emprisonnement, dont neuf mois avec sursis simple pour détention non autorisée de stupéfiants, transport non autorisé de stupéfiants, offre ou cession non autorisée de stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs ». Pour le juge, la nature et la gravité de ces faits suffisent à considérer que le « comportement personnel constituait, du point de vue de l’ordre public, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société », conformément aux exigences de l’article L. 251-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

De manière notable, la cour ajoute que le préfet « aurait pris la même décision s’il s’était fondé sur le seul motif tiré de l’atteinte à l’ordre public ». Cette technique de substitution de base légale, ou du moins de neutralisation d’un motif potentiellement erroné, démontre la solidité du fondement tiré de l’ordre public. Peu importe que l’argument sur le maintien en situation irrégulière soit fragile, la menace seule suffit à justifier légalement la mesure dans son ensemble, ce qui confère à l’administration une sécurité juridique importante dans de telles circonstances.

Si la légalité formelle et le motif tiré de l’ordre public sont ainsi établis, la décision de la cour révèle également une conception exigeante des conditions de séjour et d’intégration du citoyen de l’Union.

II. L’appréciation stricte des garanties accordées au citoyen européen

L’arrêt se distingue par l’approche rigoureuse adoptée par le juge dans l’examen de la situation individuelle du requérant. Cette approche se manifeste tant dans l’interprétation des conditions du droit au séjour (A) que dans la mise en balance de l’ordre public avec le droit au respect de la vie privée et familiale (B).

A. L’interprétation rigoureuse du droit au séjour et à l’intégration

Le requérant, citoyen de l’Union, invoquait une présence en France depuis 2006 et la création d’une entreprise pour justifier de son droit au séjour. La cour rejette cet argument en affirmant qu’il « n’établit pas, par ces seuls éléments, entrer dans le champ des dispositions précitées de l’article L. 233-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Cette formule révèle une charge de la preuve particulièrement lourde pesant sur le citoyen européen.

La simple allégation d’une présence ancienne et d’une activité professionnelle passée est jugée insuffisante. Le juge exige la démonstration d’une situation actuelle conforme aux conditions de l’article L. 233-1, telles que l’exercice d’une activité professionnelle ou la disposition de ressources suffisantes. En l’absence de ces preuves, la cour valide la conclusion de l’administration selon laquelle l’intéressé s’est maintenu en situation irrégulière, affaiblissant ainsi considérablement sa position, bien que ce motif ait été jugé surabondant par ailleurs.

B. La primauté de l’ordre public sur le droit au respect de la vie privée et familiale

Le point central du litige réside dans la balance des intérêts effectuée par le juge au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le requérant faisait valoir son mariage, la naissance d’un enfant et l’acquisition d’un bien immobilier en France. Cependant, la cour minimise la portée de ces éléments, considérant que de simples « avis d’imposition et un acte d’achat d’un bien immobilier (…) ne suffisent pas à établir la réalité de la continuité de son séjour en France ni qu’il y aurait établi sa vie privée et familiale ».

Cette appréciation conduit la cour à conclure que « l’absence de preuve de l’établissement de sa vie privée et familiale en France » justifie que l’ingérence ne soit pas jugée disproportionnée. La gravité de la condamnation pénale pèse de tout son poids et semble éclipser les attaches personnelles et familiales de l’intéressé. De même, l’interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de trois ans, soit la durée maximale, est validée sans difficulté par la cour, qui n’y voit « aucune erreur d’appréciation ». L’arrêt illustre ainsi comment, face à une menace jugée « réelle, actuelle et suffisamment grave », le contrôle de proportionnalité s’exerce de manière très favorable à la défense de l’ordre public, y compris pour un citoyen de l’Union.

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Hassan KOHEN
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