Par un arrêt en date du 6 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Nancy s’est prononcée sur la légalité d’un refus de titre de séjour opposé à des ressortissants étrangers, parents de deux enfants scolarisés en France. En l’espèce, un couple de nationalité albanaise, entré sur le territoire national en 2017 afin de solliciter l’asile, s’est vu opposer un rejet définitif de sa demande l’année suivante. Demeurés en France, les intéressés ont sollicité leur admission au séjour, laquelle fut refusée par l’autorité préfectorale par un arrêté du 7 juillet 2023, assorti d’une obligation de quitter le territoire français. Saisi par les requérants, le tribunal administratif de Strasbourg a confirmé la légalité de ces décisions par des jugements des 9 octobre et 28 novembre 2023. Les intéressés ont alors interjeté appel de ces jugements, soutenant que le refus de séjour portait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale, garanti par les textes nationaux et internationaux, et méconnaissait l’intérêt supérieur de leurs enfants. Se posait ainsi à la cour la question de savoir si la durée de résidence et l’intégration sociale et scolaire d’une famille en situation irrégulière suffisaient à rendre illégal un refus de séjour, lorsque celle-ci conserve des attaches familiales dans son pays d’origine. La cour administrative d’appel a répondu par la négative, considérant que l’autorité préfectorale n’avait pas commis d’erreur d’appréciation ni porté une atteinte excessive au droit à la vie privée et familiale des requérants. Elle juge en effet que l’intégration en France ne l’emporte pas sur la possibilité pour la famille de se reconstituer dans son pays d’origine, où les parents ont vécu la majeure partie de leur existence et conservent des liens.
I. La confirmation d’une appréciation restrictive du droit au séjour au titre de la vie privée et familiale
La décision de la cour s’inscrit dans une approche classique du contrôle de proportionnalité exercé sur les décisions de refus de séjour (A), en accordant une portée limitée à l’argument tiré de l’intérêt supérieur des enfants (B).
A. L’application rigoureuse du bilan entre intégration en France et liens dans le pays d’origine
La cour effectue une balance minutieuse entre les éléments de la vie privée et familiale développés en France et les attaches conservées dans le pays d’origine. Elle prend acte des arguments des requérants, tenant à leur présence depuis 2017, à la scolarisation « avec de très bons résultats » de leurs enfants, à l’intégration de l’un d’eux dans un club sportif et à une promesse d’embauche. Cependant, la cour minimise la portée de ces éléments en les confrontant à d’autres considérations. Elle souligne que les requérants « n’établissent pas être démunis d’attaches familiales dans leur pays d’origine », où ils ont vécu jusqu’à un âge avancé. Le raisonnement de la juridiction repose sur un critère déterminant : la capacité de la cellule familiale à se reformer hors de France. L’arrêt énonce ainsi que « rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Albanie et que les enfants y poursuivent leur scolarité ». Cette formule, récurrente dans le contentieux du droit des étrangers, démontre que la simple existence d’une vie familiale en France, même construite sur plusieurs années, ne suffit pas à fonder un droit au séjour. Le juge administratif maintient une appréciation souveraine des faits, où l’ancienneté de l’irrégularité du séjour et la persistance de liens avec le pays d’origine constituent des obstacles majeurs à la régularisation.
B. Une prise en compte subordonnée de l’intérêt supérieur de l’enfant
Face au moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, la cour administrative d’appel adopte une position mesurée. Elle ne nie pas l’existence de l’intérêt des enfants à demeurer en France, où ils sont manifestement bien intégrés. Toutefois, elle estime que cet intérêt n’a pas été méconnu par la décision préfectorale. Pour la cour, l’intérêt supérieur de l’enfant, bien qu’il doive être « une considération primordiale », ne saurait primer de manière absolue sur les objectifs de maîtrise des flux migratoires. Le juge considère cet intérêt comme l’un des éléments du bilan de proportionnalité, mais pas comme un facteur emportant à lui seul la décision. L’arrêt rejette également l’argument relatif à l’état de santé de l’un des enfants, estimant qu’un « seul certificat médical (…) ne suffit, en tout état de cause, pas à établir que leur enfant ne pourrait être médicalement pris en charge en Albanie ». Cette exigence de preuve renforce l’idée que le sort des enfants est indissociable de celui de leurs parents et de la légalité de leur situation administrative. En définitive, la scolarisation réussie et l’intégration des enfants ne créent pas un droit automatique au séjour pour les parents.
II. La portée limitée d’une solution inscrite dans le cadre d’un contrôle juridictionnel restreint
La décision de la cour administrative d’appel illustre la retenue du juge face au pouvoir d’appréciation de l’administration en matière de police des étrangers (A), et s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle bien établie, la privant de toute portée novatrice (B).
A. Le rappel de la déférence du juge face au pouvoir d’appréciation de l’administration
L’arrêt met en lumière la nature du contrôle exercé par le juge administratif sur les refus de séjour fondés sur l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ce contrôle se limite à la censure de l’erreur manifeste d’appréciation. En l’absence d’une telle erreur, le juge ne substitue pas sa propre appréciation à celle de l’autorité préfectorale. La cour estime que, compte tenu des attaches familiales des requérants dans leur pays d’origine, la décision de la préfète n’est pas entachée d’une erreur de cette nature. Cette approche est encore plus nette s’agissant du refus d’admission exceptionnelle au séjour au titre de l’article L. 435-1 du même code, pour lequel le pouvoir d’appréciation de l’administration est encore plus large. De surcroît, la cour écarte l’argument fondé sur une circulaire ministérielle, rappelant une règle constante : un requérant « ne peut utilement se prévaloir des orientations générales que le ministre de l’intérieur a pu (…) adresser aux préfets, sans les priver de leur pouvoir d’appréciation de chaque cas particulier ». Cette position réaffirme que seules les normes juridiques contraignantes peuvent être utilement invoquées, et non les simples lignes directrices internes à l’administration, renforçant ainsi la marge de manœuvre de l’autorité préfectorale.
B. Une décision d’espèce confirmant une orientation jurisprudentielle constante
Cet arrêt ne constitue pas une surprise et s’analyse comme une décision d’espèce. Il est le reflet d’une jurisprudence administrative bien établie qui se montre réticente à régulariser des situations de séjour irrégulier, même lorsque celles-ci se sont prolongées dans le temps et ont permis une intégration sociale notable, en particulier pour les enfants. La solution retenue est prévisible en ce qu’elle privilégie la situation administrative des parents, entrés et maintenus sur le territoire en méconnaissance de la législation. La cour confirme implicitement que le rejet d’une demande d’asile place les demandeurs dans une situation précaire où l’établissement de liens privés et familiaux, aussi forts soient-ils, ne suffit que rarement à justifier une régularisation. La décision n’a donc pas vocation à faire évoluer le droit positif. Elle se borne à appliquer, à une situation factuelle spécifique, des principes de contrôle et d’appréciation solidement ancrés, qui confèrent une place centrale à la souveraineté de l’État dans la gestion de l’immigration. L’arrêt illustre la difficulté pour les étrangers en situation irrégulière de faire valoir leur droit au respect de la vie privée et familiale face aux impératifs de l’ordre public et de la politique migratoire.