Cour d’appel administrative de Nancy, le 7 mai 2025, n°23NC01464

En l’espèce, par une décision rendue le 7 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur les conditions d’octroi d’une autorisation d’instruction en famille, dans le cadre du régime restrictif issu de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

Des parents avaient sollicité pour leur enfant, âgé de trois ans, une autorisation d’instruire celui-ci en famille pour l’année scolaire 2022-2023. Cette demande fut initialement rejetée par le directeur académique des services de l’éducation nationale, décision confirmée par la commission de recours de l’académie compétente. Les parents ont alors saisi le tribunal administratif de Besançon d’un recours en annulation, lequel fut rejeté par un jugement du 14 mars 2023. Les requérants ont interjeté appel de ce jugement, soutenant principalement que les premiers juges avaient commis une erreur de droit dans l’appréciation de la notion de « situation propre à l’enfant » prévue par le code de l’éducation, considérant que leur projet éducatif et leurs capacités pouvaient constituer un tel motif.

Il était donc demandé à la cour administrative d’appel si les convictions personnelles des parents, ou la présence de compétences pédagogiques au sein de l’entourage familial, pouvaient suffire à caractériser l’existence d’une « situation propre à l’enfant » au sens du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, justifiant une dérogation au principe de scolarisation en établissement.

La cour administrative d’appel répond par la négative et rejette la requête. Elle juge que les dispositions légales, telles qu’éclairées par la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 2021, exigent que la demande d’autorisation d’instruction en famille soit motivée par des circonstances particulières tenant à l’enfant lui-même, et non par le seul projet éducatif ou les aptitudes de l’entourage familial. La cour confirme ainsi que le législateur a entendu faire de la scolarisation en établissement le principe et de l’instruction en famille une exception strictement encadrée.

La décision commentée vient ainsi préciser les contours de l’un des motifs de dérogation à l’obligation de scolarisation, en adoptant une lecture stricte des critères légaux (I), ce qui a pour effet de réaffirmer sans ambiguïté la primauté du modèle de la scolarisation en établissement (II).

I. La confirmation d’une interprétation stricte du motif de dérogation à l’obligation de scolarisation

La cour administrative d’appel valide le raisonnement de l’autorité académique en s’appuyant sur une lecture rigoureuse de la notion de « situation propre à l’enfant », rappelant d’abord l’exigence d’une situation objective et personnelle à celui-ci (A), pour ensuite écarter explicitement les éléments tenant à l’environnement familial comme critère justificatif (B).

A. Le rappel de l’exigence d’une situation objective et personnelle à l’enfant

La cour prend soin de rappeler le cadre juridique applicable, issu de la loi du 24 août 2021, qui a substitué un régime d’autorisation à l’ancien régime déclaratif pour l’instruction en famille. Elle souligne que cette instruction alternative demeure une dérogation au principe de la scolarisation en établissement public ou privé, comme le prévoient les articles L. 131-1 et L. 131-2 du code de l’éducation. L’autorisation ne peut être accordée que pour des motifs limitativement énumérés à l’article L. 131-5 du même code, parmi lesquels figure « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ».

Pour interpréter cette disposition, la juridiction se réfère à la décision du Conseil constitutionnel, qui a précisé la portée de ce motif. Le contrôle de l’autorité administrative doit porter sur le caractère étayé de la demande, laquelle doit exposer la situation spécifique de l’enfant qui motive, dans son intérêt, le choix de l’instruction à domicile. La cour en déduit que le motif de dérogation ne peut résider dans le seul choix des parents, aussi réfléchi soit-il, mais doit trouver sa source dans une particularité inhérente à la situation de l’enfant concerné. Il peut s’agir par exemple de son état de santé, d’un handicap, de la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, ou de toute autre circonstance qui rendrait la scolarisation en établissement moins profitable pour lui que l’instruction en famille.

B. Le rejet des éléments tenant à l’environnement familial comme critère justificatif

En l’espèce, les parents mettaient en avant la présence dans leur famille de professionnels de l’éducation, notamment un grand-père instituteur et des tantes enseignantes, ainsi que le besoin pour leur jeune enfant de conserver des repères sociologiques spécifiques. La cour administrative d’appel estime que de tels arguments sont inopérants pour caractériser une situation propre à l’enfant. Elle juge que « le fait que le grand-père C… a été instituteur, que l’une de ses tantes est directrice d’une école maternelle et une autre professeure de mathématiques » ne suffit pas à établir le motif légal.

Ce faisant, la cour opère une distinction claire entre, d’une part, la situation de l’enfant, qui est le critère d’éligibilité à la dérogation, et d’autre part, la capacité des personnes responsables à assurer l’instruction, qui est une condition de validité du projet éducatif mais ne saurait constituer le motif de la demande. La qualité de l’environnement pédagogique familial et la compétence des instructeurs potentiels sont des éléments nécessaires, mais ils ne sont examinés par l’administration que si une situation propre à l’enfant a été préalablement démontrée. La solution retenue est donc sévère pour les parents, mais elle s’inscrit dans la logique d’un contrôle administratif renforcé.

Cette interprétation stricte de la loi a pour conséquence directe de consolider le caractère exceptionnel de l’instruction en famille, réaffirmant le rôle central de l’école dans le parcours éducatif des enfants.

II. La portée d’une solution réaffirmant le primat de la scolarisation en établissement

En rejetant les arguments des requérants, la cour ne se contente pas de régler un cas d’espèce ; elle participe à la consolidation du nouveau cadre légal en définissant un standard rigoureux pour le contrôle de l’autorité administrative (A), ce qui confirme le caractère résolument dérogatoire de l’instruction en famille (B).

A. L’encadrement rigoureux du contrôle de l’autorité administrative

L’arrêt illustre la méthode que l’administration doit suivre lorsqu’elle est saisie d’une demande fondée sur le 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation. Le contrôle s’opère en deux temps. L’autorité compétente doit d’abord vérifier l’existence d’une situation propre à l’enfant qui justifie le projet éducatif. Ce n’est que si cette première condition est remplie qu’elle doit, dans un second temps, s’assurer de la capacité des personnes responsables à assurer l’instruction et de la qualité du projet éducatif présenté.

La décision de la cour conforte l’administration dans son refus d’opérer une appréciation globale qui pourrait la conduire à autoriser un projet en raison de sa grande qualité, même en l’absence de motif tiré de la situation de l’enfant. Elle valide le motif de refus de l’autorité académique, qui reposait à la fois sur « l’absence de situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif » et sur l’insuffisance du projet lui-même. En refusant de substituer son appréciation à celle de l’administration, la cour renforce la légitimité de ce contrôle à double détente et limite les possibilités pour les familles de contester un refus en se prévalant de leurs seules convictions ou de leur projet.

B. La consolidation du caractère dérogatoire de l’instruction en famille

Au-delà de la technique juridique, la décision a une portée symbolique forte. Elle est l’une des premières illustrations contentieuses de la volonté du législateur de faire de la scolarisation en établissement la norme quasi-exclusive pour les enfants soumis à l’obligation d’instruction. En validant une lecture restrictive des motifs de dérogation, la cour administrative d’appel entérine le changement de paradigme : le libre choix des parents, qui prévalait sous l’empire de l’ancien droit, est désormais subordonné à l’existence de circonstances objectives et spécifiques à l’enfant, appréciées souverainement par l’administration sous le contrôle du juge.

Cette solution contribue à unifier l’application de la loi sur le territoire et à prévenir les interprétations divergentes qui pourraient naître au niveau des rectorats. Elle signale aux familles que le désir de poursuivre un projet éducatif alternatif, même s’il est sérieux et structuré, n’est plus un droit mais une simple faculté soumise à une autorisation administrative difficile à obtenir. La portée de l’arrêt est donc considérable pour l’avenir de l’instruction en famille en France, qui se trouve ainsi confirmé dans son statut d’exception très étroitement encadrée.

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Hassan KOHEN
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