Cour d’appel administrative de Nancy, le 7 mai 2025, n°23NC01549

Par un arrêt en date du 7 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a précisé les conditions d’octroi d’une autorisation d’instruction en famille, dans le cadre du régime restrictif issu de la loi du 24 août 2021. En l’espèce, des parents avaient sollicité une autorisation d’instruire en famille leur jeune enfant pour l’année scolaire 2022-2023, en s’appuyant sur le motif de l’existence d’une situation propre à celui-ci. Ils faisaient notamment valoir la réussite de l’instruction à domicile de leur fille aînée, ainsi que le besoin de l’enfant de bénéficier d’un cadre sécurisant et de conditions de sommeil adaptées. Le directeur académique des services de l’éducation nationale avait rejeté cette demande, décision confirmée par la commission académique saisie dans le cadre d’un recours administratif préalable obligatoire. Saisi par les parents, le tribunal administratif de Strasbourg avait cependant annulé ce refus et enjoint à l’administration de délivrer l’autorisation. Le ministre de l’éducation nationale a alors interjeté appel de ce jugement.

Il revenait ainsi à la cour de déterminer si des considérations relatives au bien-être général de l’enfant et à l’organisation familiale, en particulier la réussite de l’instruction en famille d’un autre enfant de la fratrie, suffisent à caractériser « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif » au sens de l’article L. 131-5 du code de l’éducation. La cour administrative d’appel y répond par la négative, annulant le jugement de première instance et rejetant la demande des parents. Elle juge que les arguments avancés, d’ordre général, ne permettent pas d’établir une situation spécifique à l’enfant justifiant une dérogation au principe de scolarisation. Cette décision illustre l’interprétation rigoureuse du nouveau cadre légal de l’instruction en famille (I), qui conduit à une limitation concrète des possibilités de dérogation au principe de la scolarisation en établissement (II).

I. Une interprétation rigoureuse du cadre légal de l’instruction en famille

La cour administrative d’appel procède à une application stricte des dispositions de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, en se concentrant sur le caractère spécifique de la situation de l’enfant (A) et sur la nécessité d’un projet éducatif individualisé (B).

A. Le rejet des considérations générales au profit d’une situation spécifique

La décision commentée rappelle que la loi a entendu faire de la scolarisation en établissement le principe et de l’instruction en famille une dérogation soumise à autorisation. Dans ce contexte, le motif tiré de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif » ne saurait être satisfait par des arguments d’ordre général. La cour écarte ainsi les éléments avancés par les parents, considérant qu’ils ne caractérisent pas une situation véritablement propre à leur fils.

En effet, le fait que la sœur aînée soit déjà instruite en famille avec succès n’est pas jugé comme un élément propre à la situation du second enfant. De même, la cour estime que les parents « n’établissent pas l’existence d’une situation propre à leur enfant motivant un projet éducatif » en invoquant simplement qu’il a « besoin d’un cadre extrêmement sécurisant pour développer tout son potentiel moteur et cognitif » et « besoin de beaucoup de sommeil avec des siestes de qualité, dans sa propre chambre et non en dortoir ». Ces besoins, bien que légitimes, ne sont pas considérés comme suffisamment singuliers pour justifier une dérogation au régime commun de scolarisation. La cour refuse ainsi de faire de l’instruction en famille une simple commodité organisationnelle ou un choix pédagogique général.

B. L’exigence d’un projet éducatif individualisé

Au-delà de la situation de l’enfant, la cour examine également le projet éducatif présenté par la famille. Elle relève que ce projet, qui consistait à reprendre les supports pédagogiques d’un organisme privé déjà utilisés pour l’aînée, ne répondait pas aux exigences légales. Le juge souligne que le recours à des supports standards, même s’ils sont « de nature à convenir à tout enfant d’une classe de même âge », ne constitue pas un projet éducatif adapté à la situation propre de l’enfant concerné.

La cour opère ici un contrôle de l’adéquation entre le projet et la situation prétendument propre à l’enfant. Il ne suffit pas de présenter un programme scolaire cohérent ; il faut démontrer en quoi ce programme est spécifiquement conçu pour répondre aux besoins particuliers qui motivent la demande de dérogation. En l’absence d’une telle démonstration, le projet éducatif est jugé insuffisant. Cette double exigence, portant à la fois sur la situation de l’enfant et sur la personnalisation du projet, renforce considérablement le contrôle de l’administration.

II. La limitation concrète des dérogations au principe de scolarisation

Cet arrêt confirme le pouvoir d’appréciation de l’administration dans l’application du nouveau régime (A) et a des implications pratiques directes pour les familles qui souhaitent recourir à l’instruction à domicile (B).

A. La consolidation du pouvoir d’appréciation de l’administration

En validant le refus de l’administration fondé sur une appréciation stricte des conditions légales, la cour administrative d’appel conforte la marge de manœuvre des rectorats. La décision illustre que le juge administratif exerce un contrôle sur la qualification juridique des faits, mais laisse à l’administration le soin d’apprécier si la situation présentée est suffisamment « propre » à l’enfant pour justifier une exception. Le standard de preuve imposé aux familles est élevé.

L’arrêt montre que l’administration est en droit de refuser une autorisation lorsque les motifs présentés sont jugés trop généraux ou lorsque le projet éducatif n’est pas suffisamment individualisé. Le fait que la cour examine et valide la substitution de motif demandée par le ministre, tirée de l’insuffisance du projet éducatif, démontre la rigueur du contrôle opéré. Cette approche confirme le basculement d’un régime de liberté déclarative vers un régime d’autorisation où l’administration est gardienne du principe de scolarisation en établissement.

B. Les implications pratiques pour les demandes d’instruction en famille

Pour les familles, la portée de cet arrêt est claire : la constitution d’un dossier de demande d’autorisation pour ce motif doit être particulièrement étayée. Il ne suffit plus d’invoquer le bien-être de l’enfant ou une organisation familiale spécifique. Les parents doivent désormais apporter la preuve d’une situation véritablement singulière, qui rend la scolarisation en établissement préjudiciable ou inadaptée à l’intérêt supérieur de cet enfant précis.

La réussite de l’instruction d’un aîné ne constitue pas un acquis pour le reste de la fratrie ; chaque demande est évaluée indépendamment. De plus, le projet éducatif doit être intrinsèquement lié à la situation propre invoquée. Les familles doivent donc dépasser les programmes standardisés pour construire une démarche pédagogique sur mesure, démontrant comment elle répond aux besoins spécifiques de leur enfant. Cette décision sert ainsi de guide sur le niveau d’exigence attendu par l’administration et le juge, rendant l’accès à l’instruction en famille pour ce motif nettement plus difficile.

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Hassan KOHEN
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