Par un arrêt en date du 7 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur la légalité d’une mise en demeure de scolarisation adressée à des parents pratiquant l’instruction en famille. En l’espèce, un enfant bénéficiait d’une instruction à domicile pour l’année scolaire 2021-2022. Un premier contrôle pédagogique mené par l’autorité académique a conclu à des résultats insuffisants, notamment en raison du refus de l’enfant de se prêter à certains exercices. Un second contrôle a alors été programmé, auquel la famille ne s’est pas présentée. En conséquence, le directeur académique des services de l’éducation nationale a mis en demeure les parents d’inscrire leur enfant dans un établissement d’enseignement.
Les parents ont saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une demande d’annulation de cette décision, laquelle a été rejetée par un jugement du 20 septembre 2023. Ils ont interjeté appel de ce jugement, soutenant l’irrégularité des contrôles, la partialité de l’inspecteur, ainsi que la violation de plusieurs libertés fondamentales, dont le droit au respect de la vie privée et familiale et la liberté d’enseignement. La question de droit soumise à la cour était de savoir si le refus partiel de se soumettre aux exercices d’un premier contrôle pédagogique, suivi d’un refus de se présenter au second, peut légalement fonder une mise en demeure de scolarisation.
La cour administrative d’appel de Nancy rejette la requête, confirmant la légalité de la décision administrative. Elle juge que les modalités du contrôle étaient régulières et que le refus de s’y conformer justifiait l’organisation d’un second contrôle, dont l’esquive a légitimé la mise en demeure. Cette décision circonscrit strictement les conditions d’exercice de la liberté d’enseignement en famille en les soumettant à un pouvoir de contrôle administratif dont les prérogatives sont ici réaffirmées.
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I. La légitimation du pouvoir de contrôle de l’administration
La cour administrative d’appel valide la procédure suivie par l’administration en confirmant d’une part la régularité des méthodes d’évaluation employées (A) et en tirant d’autre part les conséquences légales de l’obstruction opposée par la famille (B).
A. La validation des modalités du contrôle pédagogique
L’arrêt apporte une précision essentielle sur la nature du contrôle de l’instruction en famille. Les requérants arguaient que les exercices demandés par l’inspectrice étaient standardisés et ne correspondaient pas à leur méthode pédagogique. Ils estimaient que la liberté de choix éducatif primait sur l’obligation de se conformer à des évaluations jugées inadaptées. La cour écarte cette argumentation en s’appuyant sur les dispositions du code de l’éducation. Elle rappelle que le contrôle a pour finalité de « s’assurer de l’acquisition progressive par l’enfant de chacun des domaines du socle commun de connaissances, de compétences et de culture ».
Pour atteindre cet objectif, la cour juge que ce contrôle « doit nécessairement, ainsi que le prévoit expressément l’article R. 131-14 précité, comporter des exercices permettant de vérifier cette acquisition progressive ». Ce faisant, elle affirme que la liberté pédagogique des parents ne saurait aller jusqu’à leur permettre de dicter les modalités de leur propre évaluation. Si les choix éducatifs doivent être pris en compte, ils ne peuvent faire obstacle à une vérification objective des acquis de l’enfant au regard d’un référentiel national. Le refus de l’enfant de participer à certains exercices, même soutenu par ses parents, est ainsi interprété non comme l’exercice d’une liberté, mais comme un empêchement au bon déroulement du contrôle.
B. La sanction du refus de se soumettre au contrôle
La décision de la cour entérine la mécanique de sanction prévue par les textes en cas de défaillance du contrôle. Le premier contrôle ayant été jugé insuffisant, en partie à cause du refus de l’enfant de se soumettre à l’évaluation, l’administration était fondée à organiser une seconde vérification. L’arrêt souligne que la notification des résultats du premier contrôle, bien que tardive, a été effectuée dans un délai suffisant pour permettre à la famille de préparer la seconde évaluation et de remédier aux insuffisances pointées.
La cour considère le refus de se présenter à ce second contrôle comme un manquement dépourvu de « motif légitime ». L’argument des parents selon lequel l’instruction était effectivement dispensée est jugé inopérant. La réalité de l’instruction ne dispense pas de l’obligation de se soumettre au contrôle de sa qualité et de sa conformité aux exigences légales. L’obstruction à cette vérification est donc constitutive d’une faute qui justifie pleinement le déclenchement de la sanction ultime : la mise en demeure de scolariser l’enfant. Cette solution réaffirme que le droit à l’instruction en famille est conditionné au respect d’une obligation de transparence et de coopération avec l’autorité académique.
II. La portée limitée des libertés fondamentales face aux prérogatives de l’État
L’arrêt illustre la manière dont le juge administratif opère une balance entre les libertés individuelles et les objectifs d’intérêt général. Il consacre la primauté de l’intérêt de l’enfant à recevoir une instruction conforme aux normes nationales (A) et opère une application stricte des conventions internationales invoquées par les requérants (B).
A. La primauté de l’intérêt de l’enfant à une instruction contrôlée
Les requérants invoquaient une atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi qu’à leur liberté de dispenser une instruction conforme à leurs convictions. La cour répond de manière pragmatique que la mise en demeure de scolarisation n’a « pour seul objet et pour seul effet d’imposer l’inscription de E… dans un établissement scolaire, privé ou public au choix de M. et Mme A… D… ». En laissant le choix de l’établissement, public ou privé, la décision est réputée préserver suffisamment la liberté de conscience des parents.
Plus fondamentalement, l’arrêt place l’obligation de contrôle au cœur du droit à l’instruction. La mise en demeure n’est pas analysée comme une sanction disproportionnée, mais comme la garantie que le droit de l’enfant à recevoir une instruction effective et complète sera respecté. Le juge considère que l’échec avéré de la procédure de contrôle, du fait de l’obstruction parentale, crée un risque pour l’enfant que seule la scolarisation peut pallier. L’intérêt supérieur de l’enfant, tel qu’interprété par l’État, l’emporte ainsi sur les choix éducatifs de la famille dès lors que ceux-ci font obstacle à la vérification de leur pertinence.
B. Le rejet systématique des protections conventionnelles invoquées
Face à la multiplicité des normes internationales soulevées, la cour procède à un tri rigoureux, écartant une à une celles qui ne sont pas jugées pertinentes ou directement applicables. Elle écarte ainsi la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne au motif que la décision ne met pas en œuvre le droit de l’Union. De même, elle rappelle que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est dépourvu d’effet direct, et que la Déclaration universelle des droits de l’homme n’a pas force contraignante en droit interne.
Concernant les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le juge estime qu’elles ne sont pas méconnues. La mise en demeure de scolarisation est perçue non comme une négation du droit à l’instruction, mais comme l’une de ses modalités d’application, prévue par la loi pour des circonstances précises. Cette interprétation restrictive démontre que l’invocation de grands principes ne suffit pas à paralyser l’application de la législation nationale, dès lors que celle-ci ménage un équilibre jugé raisonnable entre la liberté des parents et la mission de service public de l’éducation nationale.