Cour d’appel administrative de Nancy, le 7 mai 2025, n°23NC03782

Par un arrêt en date du 7 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nancy se prononce sur la légalité d’un refus de titre de séjour et d’une obligation de quitter le territoire français opposés à une ressortissante étrangère, mère d’un enfant en situation de handicap. Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif examine les demandes d’admission exceptionnelle au séjour, en particulier lorsque des considérations humanitaires liées à l’état de santé d’un enfant sont invoquées.

En l’espèce, une ressortissante géorgienne, présente sur le territoire français depuis plus de dix ans sans y avoir jamais bénéficié d’un titre de séjour, a sollicité son admission exceptionnelle au séjour. Mère d’un enfant né en France et atteint d’un trouble du spectre de l’autisme nécessitant une prise en charge médicale et scolaire spécifique, elle fondait sa demande sur des motifs humanitaires et sur l’ancienneté de sa présence en France.

Face au rejet de sa demande d’asile plusieurs années auparavant, l’intéressée a vu sa nouvelle demande de titre de séjour rejetée par l’autorité préfectorale, décision assortie d’une obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif de Strasbourg, saisi en première instance, a validé la décision de l’administration. La requérante a alors interjeté appel, soutenant notamment que l’état de santé de son fils constituait un motif exceptionnel justifiant son admission au séjour et que la décision portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Il était ainsi demandé à la cour de déterminer si l’état de santé d’un enfant et la prise en charge dont il bénéficie en France peuvent constituer un motif humanitaire exceptionnel ou caractériser une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale, au point de faire obstacle à un refus de séjour et à une mesure d’éloignement opposés à sa mère en situation irrégulière.

La cour administrative d’appel répond par la négative, validant la stricte appréciation des conditions d’admission au séjour par l’autorité administrative. Elle juge que ni les considérations humanitaires liées à la situation de l’enfant, ni le droit au respect de la vie privée et familiale ne sauraient, dans les circonstances de l’espèce, justifier l’annulation des décisions contestées. Il convient d’analyser la confirmation par le juge d’une application rigoureuse des critères d’admission exceptionnelle au séjour (I), avant d’examiner la portée limitée reconnue aux considérations humanitaires et familiales face aux impératifs de la politique migratoire (II).

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I. La confirmation d’une application rigoureuse des critères d’admission au séjour

La cour administrative d’appel valide la démarche de l’autorité préfectorale en opérant une distinction stricte entre les différents fondements juridiques d’une demande de titre de séjour (A) et en confirmant la pleine mesure du pouvoir d’appréciation de l’administration en matière d’admission exceptionnelle (B).

A. Le rejet d’une assimilation entre admission exceptionnelle et séjour pour raisons de santé

L’arrêt met en lumière une règle fondamentale du contentieux des étrangers, à savoir la nécessaire adéquation entre l’objet de la demande et son fondement juridique. La requérante invoquait l’état de santé de son fils pour justifier sa demande, mais avait formellement déposé celle-ci sur le terrain de l’admission exceptionnelle au séjour prévue à l’article L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le juge écarte par conséquent le moyen tiré du défaut de consultation du collège de médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), procédure requise pour les demandes de titre de séjour pour raisons de santé.

En jugeant ce moyen « inopérant », la cour rappelle que les garanties procédurales sont attachées au cadre juridique spécifiquement invoqué par le demandeur. La situation médicale de l’enfant aurait pu justifier une demande sur le fondement de l’article L. 425-10 du même code, qui prévoit la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour aux parents d’un enfant étranger malade. En choisissant une autre base légale, la requérante ne pouvait exciper de la violation de règles de procédure qui ne lui étaient pas applicables. Cette solution, classique, souligne l’importance pour l’administré de choisir le fondement le plus pertinent pour sa situation, le juge ne pouvant se substituer à lui pour requalifier sa demande.

B. L’appréciation souveraine des motifs exceptionnels par l’autorité administrative

La cour confirme ensuite que l’appréciation du caractère humanitaire ou exceptionnel des motifs avancés par un demandeur relève du large pouvoir d’appréciation de l’autorité préfectorale. Elle écarte le moyen selon lequel la préfète se serait crue à tort en compétence liée, en relevant que celle-ci « a procédé à un examen particulier de sa situation et a tenu compte, notamment, de l’autisme dont son fils de six ans est atteint ». Le contrôle du juge se limite ici à vérifier que l’administration a bien exercé son pouvoir d’appréciation et n’a pas commis d’erreur manifeste dans son analyse.

En l’espèce, la décision préfectorale a pris en compte la situation de handicap de l’enfant mais l’a mise en balance avec d’autres éléments, tels que la situation irrégulière du conjoint ou la possibilité d’une prise en charge en Géorgie. L’arrêt valide cette approche, considérant que la seule situation de handicap d’un enfant ne suffit pas, en elle-même, à constituer une considération humanitaire ou un motif exceptionnel au sens de l’article L. 435-1. Cette position réaffirme que le pouvoir de régularisation demeure une prérogative de l’administration, dont le juge ne censure que les abus les plus manifestes.

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Au-delà de la validation des aspects procéduraux et de l’exercice du pouvoir d’appréciation, l’arrêt illustre également la manière dont les droits fondamentaux sont mis en balance avec les objectifs de la politique migratoire, conduisant à une interprétation restrictive de leur portée.

II. La portée limitée des considérations humanitaires et familiales

La cour administrative d’appel, tout en examinant les moyens fondés sur les droits fondamentaux, leur donne une portée restreinte. Elle fait prévaloir le caractère continu de l’irrégularité du séjour de la requérante dans la balance des intérêts (A) et adopte une lecture pragmatique de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).

A. La prévalence du caractère irrégulier du séjour dans la balance des intérêts

S’agissant de l’atteinte alléguée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le juge procède à une mise en balance concrète des intérêts en présence. D’un côté, il reconnaît l’ancienneté de la présence en France, la scolarisation de l’enfant et l’existence d’une prise en charge médicale. De l’autre, il souligne avec force que « la durée de son séjour en France résulte uniquement du maintien irrégulier de l’intéressée sur le territoire français en dépit du rejet de sa demande d’asile en 2014 ».

Ce faisant, la cour applique une jurisprudence constante selon laquelle un séjour prolongé mais précaire et irrégulier ne saurait, à lui seul, constituer un obstacle à une mesure d’éloignement. Elle estime que la cellule familiale peut se reconstituer en Géorgie et que l’intégration professionnelle, récente, ne pèse que faiblement dans la balance. La décision de refus de séjour et l’obligation de quitter le territoire ne sont donc pas jugées comme une ingérence disproportionnée. Cette analyse confirme que la maîtrise des flux migratoires demeure un objectif légitime qui peut justifier une atteinte à la vie privée et familiale, surtout lorsque cette dernière s’est nouée en l’absence de droit au séjour.

B. L’interprétation restrictive de l’intérêt supérieur de l’enfant

Enfin, l’arrêt aborde la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe consacré par l’article 3-1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. Si le juge rappelle que cet intérêt doit être une « considération primordiale », il en fait une application très concrète et en limite la portée. La cour ne conteste pas le handicap de l’enfant ni la qualité de sa prise en charge en France, mais elle considère que ces éléments ne suffisent pas à faire obstacle à la décision d’éloignement.

Le point central du raisonnement de la cour réside dans l’affirmation selon laquelle « il n’est pas établi que cet enfant ne pourrait pas bénéficier d’une prise en charge appropriée à son handicap dans son pays d’origine ». Cette formule place la charge de la preuve sur la requérante, qui doit démontrer l’impossibilité d’un suivi adapté dans son pays. En l’absence d’une telle preuve, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas considéré comme un obstacle absolu à la mesure d’éloignement de ses parents. L’arrêt montre ainsi que ce principe, bien que primordial, n’emporte pas un droit inconditionnel pour l’enfant à demeurer sur le territoire français et est apprécié au regard des possibilités de prise en charge dans le pays de renvoi.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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