Cour d’appel administrative de Nantes, le 1 août 2025, n°25NT01884

Par un arrêt en date du 1er août 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les conditions de mise en œuvre du sursis à exécution d’un jugement de première instance ayant annulé un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français.

En l’espèce, une ressortissante de nationalité jamaïcaine, entrée régulièrement en France en 2016 sous couvert d’un visa étudiant, avait bénéficié de titres de séjour successifs, d’abord en cette qualité, puis pour raisons médicales. À la suite de sa demande de renouvellement de ce dernier titre, le préfet compétent a, par un arrêté du 14 février 2025, opposé un refus, assorti d’une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d’une interdiction de retour d’une durée d’un an. Le tribunal administratif de Rennes, saisi par l’intéressée, a, par un jugement du 30 juin 2025, annulé l’intégralité de ces décisions et enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale ». Le préfet a alors interjeté appel de ce jugement et a, par une requête distincte, sollicité de la cour administrative d’appel qu’il soit sursis à son exécution. Il soutenait à cette fin que les premiers juges avaient commis une erreur manifeste d’appréciation, dès lors que les pathologies de l’intéressée pouvaient être prises en charge dans son pays d’origine et que sa dépendance à l’égard de sa famille en France n’était pas établie.

Il revenait ainsi au juge d’appel de déterminer si les moyens invoqués par l’administration, tirés d’une prétendue erreur manifeste d’appréciation commise par le tribunal, étaient d’un sérieux suffisant pour justifier la suspension de l’exécution d’un jugement annulant un refus de séjour et ordonnant la délivrance d’un titre.

La cour administrative d’appel rejette la demande de sursis à exécution. Elle juge qu’« en l’état de l’instruction, aucun des moyens soulevés par le préfet (…) n’apparait sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation du jugement du tribunal administratif de Rennes, le rejet des conclusions à fin d’annulation ». Par conséquent, les conditions posées par l’article R. 811-15 du code de justice administrative n’étant pas remplies, l’exécution du jugement ne saurait être suspendue.

Cette décision illustre l’office rigoureux du juge du sursis à exécution, dont la décision, si elle est de nature procédurale, produit des effets substantiels immédiats pour l’administré. Il convient ainsi d’examiner le cadre strict de l’appréciation du juge du sursis (I), avant d’analyser la portée concrète de son refus sur la situation de la requérante (II).

I. Une application rigoureuse des conditions du sursis à exécution

La cour administrative d’appel, en rejetant la requête préfectorale, applique avec rigueur les dispositions du code de justice administrative. Son contrôle se concentre sur l’unique critère du moyen sérieux (A), ce qui la conduit à écarter de manière souveraine mais laconique les arguments de l’administration (B).

A. Le moyen sérieux, critère dirimant de la décision

Le recours en appel n’étant en principe pas suspensif, le sursis à exécution revêt un caractère exceptionnel, conditionné par l’article R. 811-15 du code de justice administrative. Ce texte impose au requérant de démontrer que les moyens soulevés sont sérieux et de nature à justifier non seulement l’annulation du jugement attaqué, mais aussi le rejet des conclusions de première instance. Le juge du sursis n’est donc pas un juge du fond ; il ne se prononce pas sur la légalité de l’acte administratif initial mais sur les chances de succès de l’appel. L’unique critère de son appréciation est le caractère « sérieux » des moyens, qui suppose une apparence de bien-fondé suffisamment forte pour créer un doute sur la justesse de la solution retenue par les premiers juges. En l’espèce, la cour rappelle ce cadre d’analyse en visant explicitement la double condition posée par le code. Son office se limite à une évaluation prima facie des arguments présentés par le préfet, sans pour autant préjuger de la décision qui sera rendue au fond. Cette approche garantit la spécificité de la procédure de sursis, conçue comme un filtre destiné à ne suspendre que les jugements dont la solidité juridique est d’emblée contestable.

B. Le rejet souverain des moyens préfectoraux

Face aux arguments du préfet qui contestaient l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation retenue par le tribunal, la cour oppose un refus net. Sa motivation, particulièrement brève, se contente d’affirmer qu’« aucun des moyens soulevés (…) n’apparait sérieux ». Cette formule lapidaire, classique en la matière, témoigne de la conviction du juge quant à la faible probabilité de succès de l’appel. En ne jugeant pas utile de discuter plus amplement les arguments relatifs à l’offre de soins dans le pays d’origine ou au degré d’autonomie de l’intéressée, la cour signifie implicitement que l’appréciation du tribunal sur ces points ne lui semble pas, en l’état, manifestement erronée. Elle exerce ainsi son pouvoir souverain d’appréciation sans avoir à détailler les raisons pour lesquelles chaque moyen est écarté. Un tel rejet traduit la perception par le juge d’un décalage important entre l’argumentaire préfectoral et la réalité du dossier telle qu’elle a été souverainement appréciée par les premiers juges, rendant l’appel peu susceptible de prospérer.

II. La portée de la décision de sursis sur la situation de l’administré

Au-delà de sa nature procédurale, le rejet de la demande de sursis à exécution emporte des conséquences déterminantes sur la situation juridique de la ressortissante étrangère. Il confère une effectivité immédiate aux droits reconnus en première instance (A) et laisse entrevoir, sans la sceller, l’issue probable du litige au fond (B).

A. La garantie de l’effet utile du jugement de première instance

En refusant de suspendre le jugement du tribunal administratif, la cour le rend immédiatement et pleinement exécutoire. Le préfet se trouve donc dans l’obligation d’exécuter l’injonction prononcée à son encontre, à savoir délivrer un titre de séjour « vie privée et familiale » dans le délai de deux mois imparti, et ce, sans attendre l’issue de son propre appel. Cette décision est fondamentale pour l’administré, car elle neutralise la stratégie dilatoire que peut constituer un appel de l’administration. Elle assure l’effet utile de la victoire obtenue en première instance et garantit que le droit au séjour, reconnu par le premier juge comme fondé sur le respect de la vie privée et familiale, ne soit pas réduit à néant par la durée de la procédure d’appel. Pour la requérante, cela signifie la fin d’une période de précarité juridique et la possibilité de poursuivre sa vie en France en situation régulière, conformément à la décision du tribunal.

B. Une anticipation sur l’appréciation au fond

Bien que la décision de sursis ne lie pas juridiquement la formation de jugement qui statuera au fond, elle constitue un indice fort quant à l’issue probable de l’instance. En affirmant qu’aucun moyen n’apparaît sérieux, le juge du sursis émet un pronostic défavorable sur les chances de succès de l’appel. Il est en effet difficile d’imaginer que des arguments jugés dépourvus de sérieux à ce stade puissent ensuite être accueillis par la même cour, même dans une formation collégiale différente. Cette décision, sans valoir chose jugée au fond, place l’administration dans une position procédurale affaiblie. Elle conforte la requérante dans ses droits et peut inciter le préfet à réexaminer sa position, voire à se désister de son appel. Ainsi, cet arrêt de procédure, par la force de son appréciation, éclaire d’une lumière crue la fragilité de l’argumentation de l’appelant et oriente de manière significative la suite du contentieux.

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Hassan KOHEN
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