Cour d’appel administrative de Nantes, le 1 avril 2025, n°24NT01259

En l’espèce, une ressortissante béninoise s’est vu refuser une demande de visa de court séjour par l’autorité consulaire française à Cotonou le 9 décembre 2022. Cette décision a été confirmée par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France le 9 mars 2023. La requérante a alors saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté sa demande par un jugement du 26 février 2024. C’est dans ces conditions que la requérante a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel. L’administration a justifié son refus par le risque que la demande de visa soit détournée à des fins migratoires, se fondant sur la situation personnelle de l’intéressée, âgée de soixante-six ans, célibataire, sans activité professionnelle et dont l’unique fille réside en France. La requérante faisait valoir, à l’inverse, des garanties de retour sérieuses, notamment son historique de plusieurs séjours réguliers en France, le respect constant de la durée de ses visas précédents, ainsi que les solides ressources financières et la situation stable de sa fille qui l’accueillait. Se posait alors la question de savoir si l’appréciation du risque de détournement de l’objet d’un visa peut légalement se fonder sur des éléments relatifs à la situation personnelle et familiale du demandeur, au point d’écarter des preuves objectives et concordantes de sa volonté de ne pas s’établir sur le territoire. Par un arrêt en date du 1er avril 2025, la cour administrative d’appel a répondu par la négative, annulant le jugement du tribunal administratif et la décision de la commission de recours. Elle a jugé que l’administration avait commis une erreur manifeste d’appréciation en ne tenant pas suffisamment compte des garanties de retour présentées par la requérante.

L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel illustre la méthode du contrôle juridictionnel sur l’appréciation du risque migratoire, un contrôle qui, bien que restreint, impose à l’administration une analyse concrète et complète de chaque situation individuelle. Il convient ainsi d’examiner la manière dont le juge censure une appréciation administrative qu’il estime lacunaire (I), avant d’analyser la portée de cette décision, qui réaffirme la prévalence des garanties factuelles dans l’examen des demandes de visa (II).

I. La censure d’une appréciation lacunaire du risque migratoire

La cour administrative d’appel, pour annuler la décision de refus, opère une mise en balance des éléments du dossier. Elle écarte la pertinence des motifs avancés par l’administration (A) pour faire prévaloir les preuves concrètes fournies par la demanderesse (B).

A. Le rejet d’une motivation fondée sur des présomptions

L’administration a fondé sa décision de refus sur « le risque de détournement de l’objet du visa à des fins migratoires », déduit de la situation personnelle de la requérante. Le juge administratif rappelle implicitement que si le règlement (CE) n° 810/2009 impose bien d’accorder « une attention particulière à l’évaluation du risque d’immigration illégale », cette évaluation ne peut reposer sur une analyse abstraite. En l’espèce, l’âge, le célibat, l’absence d’activité professionnelle et la présence d’un unique enfant en France sont des faits matériels exacts. Cependant, en les érigeant en marqueurs quasi automatiques d’une intention migratoire, l’autorité administrative procède à une généralisation que le juge sanctionne. La cour souligne que de tels éléments ne sauraient suffire à établir l’existence de « doutes raisonnables » sur la volonté de la requérante de quitter l’espace Schengen avant l’expiration de son visa, comme l’exige l’article 32 du code communautaire des visas. Le raisonnement de l’administration s’apparente ici à une présomption de fraude, difficilement compatible avec l’exigence d’un examen individuel de chaque demande.

B. La prise en compte déterminante des garanties de retour

Face à l’analyse de l’administration, la cour administrative d’appel met en exergue les éléments objectifs produits par la requérante. Elle relève ainsi que cette dernière « a bénéficié de cinq visas de court séjour pour la France » et « a toujours respecté la durée de validité de ses visas ». Cet historique de conformité constitue une preuve tangible de sa fiabilité. De plus, le juge prend soin de mentionner les justificatifs fournis concernant l’hébergement et les ressources de sa fille, ainsi que la production du billet d’avion retour. La cour considère que ces pièces, listées à l’annexe II du règlement précité comme des documents permettant « d’apprécier la volonté du demandeur de quitter le territoire des états membres », constituaient des garanties suffisantes. En concluant que la commission de recours « a commis une erreur manifeste d’appréciation », la cour signifie que l’administration a ignoré des preuves dirimantes qui auraient dû la conduire à une conclusion inverse. Le décalage entre les faits objectifs du dossier et la conclusion tirée par l’administration était si important qu’il justifiait l’intervention du juge.

Cette censure de l’erreur d’appréciation de l’administration n’est pas seulement une solution propre au cas d’espèce. Elle porte en elle une réaffirmation de la hiérarchie des critères à examiner, dont la portée doit être mesurée.

II. La portée de la décision : un rappel de la hiérarchie des critères d’appréciation

En annulant le refus de visa, la cour ne crée pas un droit nouveau mais rappelle fermement l’obligation pour l’administration de mener une instruction rigoureuse et individualisée. Cette décision renforce ainsi la valeur probante de l’historique du demandeur (A) tout en s’inscrivant dans le cadre classique du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (B).

A. La réaffirmation de la prévalence de l’historique de conformité

L’arrêt commenté confère une place centrale au comportement passé du demandeur de visa. En soulignant qu’il « n’est pas contesté » que la requérante a toujours respecté ses précédents visas, la cour érige ce critère en élément de preuve majeur de sa bonne foi. Cette approche pragmatique est essentielle, car elle permet de dépasser les simples conjectures sur les intentions futures du demandeur pour s’ancrer dans des faits avérés. La décision implique que, sauf éléments nouveaux et particulièrement probants, un demandeur ayant démontré sa fiabilité par le passé doit bénéficier d’un préjugé favorable. Un refus opposé à un tel demandeur doit donc être étayé par des motifs d’une particulière gravité, ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce. L’arrêt rappelle ainsi à l’administration que l’examen du « risque migratoire » ne doit pas conduire à ignorer l’un des plus sûrs indicateurs de la volonté de retour : le respect scrupuleux des obligations lors de précédents séjours.

B. L’illustration d’une solution d’espèce par le contrôle de l’erreur manifeste

La portée de cet arrêt doit cependant être mesurée. Il ne s’agit pas d’un revirement de jurisprudence, mais d’une application classique du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Ce contrôle, restreint par nature, laisse à l’administration une marge de manœuvre importante dans l’évaluation des demandes de visa. Le juge n’intervient que lorsque la décision administrative est entachée d’une erreur si grossière qu’elle en devient illégale. En qualifiant l’erreur de « manifeste », la cour indique que le cas d’espèce était caractérisé par une disproportion évidente entre les arguments de l’administration et les preuves fournies. La décision est donc avant tout une « décision d’espèce », fortement liée aux faits. Sa principale portée n’est pas de modifier l’état du droit, mais de servir d’exemple pédagogique pour l’administration. Elle constitue un rappel à l’ordre sur la nécessité de fonder les refus de visa sur une analyse circonstanciée de tous les éléments du dossier, et non sur des considérations générales ou des suspicions insuffisamment étayées.

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Hassan KOHEN
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