Cour d’appel administrative de Nantes, le 1 avril 2025, n°24NT02067

La Cour administrative d’appel de Nantes a rendu, le 1er avril 2025, une décision importante concernant l’imputabilité au service d’un syndrome anxio-dépressif d’un fonctionnaire territorial. Cette espèce permet de préciser les critères de reconnaissance des pathologies psychiques lorsque des difficultés relationnelles et organisationnelles affectent la santé d’un agent public.

Une adjointe administrative principale a sollicité la reconnaissance du lien entre sa pathologie et ses fonctions exercées au sein d’un centre de gestion. L’intéressée avait été placée en congé de longue maladie avant d’être mise en disponibilité d’office à titre conservatoire pour épuisement de ses droits. Le président de l’établissement public a rejeté cette demande d’imputabilité en se fondant sur un avis partagé de la commission de réforme départementale.

Saisi d’un recours, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision initiale pour une insuffisance de motivation sans toutefois se prononcer sur le fond. L’agente a donc interjeté appel afin d’obtenir l’annulation totale des décisions de refus et l’injonction de reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie. La requérante soutient que ses conditions de travail et ses charges de missions ont directement engendré son état dépressif actuel, sans aucun antécédent médical.

Le problème juridique posé aux juges d’appel consistait à déterminer si des traits de personnalité peuvent légalement écarter le lien direct entre le service et une pathologie. La juridiction devait également apprécier si la dégradation de l’état de santé résultait des conditions objectives de travail ou d’une circonstance purement personnelle.

La Cour administrative d’appel de Nantes annule le jugement attaqué en reconnaissant le lien direct entre la maladie et l’exercice des fonctions de l’agente. Elle estime que les rapports médicaux confirment l’influence déterminante de l’environnement professionnel sur le développement du syndrome anxio-dépressif constaté chez la requérante. Cette solution repose sur une distinction stricte entre les caractéristiques individuelles de l’agent et l’existence d’une pathologie préexistante détachable du service.

I. La reconnaissance du lien direct entre l’exercice des fonctions et la dégradation de la santé mentale

A. La prépondérance des constats médicaux dans la caractérisation du syndrome professionnel

L’imputabilité au service suppose que la maladie « présente un lien direct avec l’exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie ». Le juge administratif s’appuie ici sur des rapports d’expertise convergents rédigés par un médecin de prévention et un psychiatre indépendant. Ces documents mettent en exergue des difficultés relationnelles managériales ainsi qu’une absence de communication préjudiciable à la santé de l’agent territorial.

L’expertise psychiatrique affirme explicitement que les arrêts de travail sont en lien direct avec la pathologie anxio-dépressive apparue consécutivement aux changements de missions. La Cour souligne que la lourde charge de travail supportée depuis plusieurs années constitue un facteur de risque avéré pour la santé mentale des fonctionnaires. Le juge privilégie une analyse concrète des faits médicaux pour établir la causalité juridique entre l’organisation administrative et le dommage corporel subi.

B. L’identification des contraintes organisationnelles comme causes génératrices de la pathologie

L’arrêt précise que les difficultés observées dans le cadre de travail, caractérisées par des conflits de valeurs, ont favorisé l’éclosion du syndrome dépressif. La Cour administrative d’appel de Nantes reconnaît ainsi que les modalités de gestion du personnel peuvent être la cause exclusive d’une maladie professionnelle. Le service est responsable dès lors que l’agent ne dispose plus des moyens nécessaires pour accomplir un travail de qualité conforme à ses valeurs.

Cette interprétation large des conditions de travail permet de protéger les agents contre les dérives organisationnelles impactant leur intégrité psychique sur une longue période. Le juge vérifie que l’apparition de la pathologie coïncide temporellement avec les modifications substantielles apportées aux missions confiées à l’assistante administrative. L’administration ne peut plus ignorer les signaux d’alerte émis par la médecine de prévention concernant les risques psychosociaux présents au sein de ses services.

II. L’encadrement strict des circonstances de nature à détacher la maladie du service

A. L’exclusion des traits de personnalité en l’absence de pathologie préexistante

Pour écarter l’imputabilité, l’administration invoquait la personnalité de l’agente comme une circonstance particulière conduisant à détacher la survenance de la maladie du service public. La Cour rejette fermement cette argumentation en précisant que de tels faits « ne sauraient résulter de simples traits de la personnalité de l’agent ». Seule une pathologie préexistante dûment constatée permettrait de briser le lien de causalité avec les conditions de travail habituelles.

Cette solution limite le pouvoir d’appréciation de l’autorité territoriale qui ne peut se fonder sur des critères subjectifs pour refuser une protection statutaire. La vulnérabilité supposée d’un fonctionnaire ne constitue pas une faute personnelle ou une circonstance exceptionnelle au sens de la législation sur les pensions. Le juge administratif impose une preuve scientifique d’un état antérieur pathologique pour exonérer la responsabilité de l’employeur public en matière de santé.

B. La protection renforcée de l’agent face aux conséquences statutaires d’une décision illégale

L’annulation de la décision de refus entraîne par voie de conséquence l’illégalité de l’arrêté plaçant l’agente en disponibilité d’office pour raison de santé. La Cour ordonne au président du centre de gestion de reconnaître rétroactivement l’imputabilité au service des arrêts de travail depuis le début de la maladie. Cette injonction garantit le maintien de l’intégralité du traitement ainsi que le remboursement des frais médicaux directement entraînés par l’état pathologique.

La décision renforce la sécurité juridique des fonctionnaires territoriaux en assurant une continuité de leurs droits statutaires malgré les erreurs d’appréciation de leur employeur. La juridiction administrative exerce un contrôle rigoureux sur les actes tirant les conséquences de l’épuisement des droits à congés de maladie des agents. Le présent arrêt confirme que la protection de la santé mentale constitue une obligation impérieuse s’imposant à toute autorité investie du pouvoir de nomination.

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Hassan KOHEN
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