Cour d’appel administrative de Nantes, le 10 janvier 2025, n°24NT01121

Une société spécialisée dans la fabrication de fromages s’est vue enjoindre par l’administration de la concurrence de modifier l’étiquetage de ses produits ne bénéficiant pas de l’appellation d’origine protégée « Camembert de Normandie ». L’inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes avait estimé que plusieurs mentions et graphismes sur les emballages étaient de nature à créer une confusion pour le consommateur avec le produit sous AOP. Saisie par la société fromagère, le tribunal administratif de Caen, par un jugement du 12 février 2024, a annulé cette décision d’injonction, retenant notamment l’absence d’un examen au cas par cas des étiquetages et le caractère général de l’interdiction prononcée. Le ministre de l’économie a alors interjeté appel de ce jugement. Le problème de droit soumis à la cour administrative d’appel consistait à déterminer les limites de l’utilisation de références géographiques sur l’étiquetage de produits agroalimentaires, au regard de la protection conférée à une appellation d’origine protégée utilisant la même toponymie. Il s’agissait plus précisément de savoir si des mentions telles que « Fabriqué en Normandie » ou l’apposition du blason normand sur un camembert non AOP constituaient une évocation illicite de l’AOP « Camembert de Normandie » au sens du règlement européen n° 1151/2012. Par un arrêt du 10 janvier 2025, la cour administrative d’appel réforme le jugement de première instance et valide en grande partie l’analyse de l’administration. Elle juge que la plupart des mentions litigieuses sont effectivement « de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l’esprit le fromage bénéficiant de l’appellation d’origine protégée ». Toutefois, la cour annule l’injonction pour certaines mentions relatives à l’origine du lait, considérant qu’elles ne sont pas trompeuses lorsqu’elles sont discrètement intégrées à la liste des ingrédients.

L’arrêt réaffirme avec force le principe de protection des appellations d’origine, tout en admettant une limite tenant à l’information objective du consommateur. Il convient ainsi d’étudier la conception extensive de l’atteinte à l’appellation protégée retenue par le juge (I), avant d’analyser la distinction opérée avec l’information factuelle jugée admissible (II).

I. La consolidation de la protection de l’appellation d’origine face aux pratiques d’évocation

La cour administrative d’appel adopte une interprétation rigoureuse des dispositions protégeant les appellations d’origine, en se fondant sur une appréciation large du risque de confusion pour le consommateur (A) et en écartant les arguments tirés de l’antériorité des usages ou des marques (B).

A. L’appréciation extensive du risque de confusion pour le consommateur

Le juge administratif se livre à une analyse détaillée des étiquetages pour appliquer les dispositions de l’article 13 du règlement n° 1151/2012. Il ne sanctionne pas seulement l’imitation servile de la dénomination protégée, mais toute « usurpation, imitation ou évocation ». La cour estime ainsi que l’utilisation du nom de marque « Le Fameux Normand », l’insertion du blason normand « sur fond rouge et donc très visible », ou encore la mention « fabriqué en Normandie » en gros caractères, sont illicites. Le critère central de son analyse est de déterminer si ces éléments sont « de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l’esprit le fromage bénéficiant de l’appellation d’origine protégée ». Cette approche, qui repose sur la perception d’un consommateur moyen, permet de protéger la réputation et la valeur de l’AOP contre des stratégies commerciales qui, sans utiliser la dénomination exacte, cherchent à s’approprier son prestige. La décision s’inscrit dans une logique de protection efficace du consommateur et des signes de qualité, en sanctionnant l’utilisation d’un faisceau d’indices créant une ambiance géographique trompeuse.

B. Le rejet des droits acquis et de l’antériorité des marques

Face aux arguments de la société fromagère, la cour écarte la possibilité de se prévaloir d’une tolérance administrative passée ou de droits antérieurs. Elle rappelle d’abord que « nul n’a de droit acquis au maintien d’une règlementation », balayant ainsi la thèse selon laquelle l’autorisation passée d’utiliser la mention « Fabriqué en Normandie » aurait créé un usage pérenne. Cette affirmation souligne la primauté de la réglementation en vigueur, en l’occurrence le droit de l’Union européenne, sur les pratiques antérieures. Ensuite, le juge écarte l’exception d’antériorité de marque prévue par l’article 14 du même règlement. Bien que les marques « Le Fameux Normand » et « Lanquetot » aient été enregistrées avant la protection de l’AOP, la cour juge que leur usage est devenu « propre à induire le public en erreur sur la qualité des produits commercialisés » depuis l’enregistrement de l’appellation. Cet usage constitue un motif de déchéance en droit des marques, privant ainsi le titulaire de la possibilité d’invoquer l’antériorité. L’arrêt confirme que la protection d’une AOP peut faire obstacle à la survie d’une marque antérieure si celle-ci devient source de confusion.

La cour, tout en consolidant la protection de l’AOP, dessine néanmoins les contours d’une utilisation licite de la référence géographique, ce qui confère une portée nuancée à sa décision.

II. La portée de la protection : la distinction entre l’évocation illicite et l’information licite

L’arrêt apporte une clarification importante en opérant une distinction subtile mais fondamentale entre les mentions qui évoquent abusivement l’AOP et celles qui constituent une simple information pour le consommateur (A), consacrant ainsi la nécessité d’une analyse in concreto par l’administration (B).

A. La licéité des mentions informatives discrètes et factuelles

La principale nuance de l’arrêt réside dans l’annulation partielle de l’injonction administrative. La cour considère que toutes les références à la Normandie ne sont pas nécessairement illicites. Elle valide ainsi l’emploi de mentions telles que « lait 100% normand » ou « lait origine : Normandie » lorsque celles-ci « figurent en petits caractères dans la liste de la composition du produit, sans être mis en exergue, et n’associent la Normandie qu’à l’origine du lait entrant dans la composition du fromage et non au terme camembert ». Le juge établit ici une ligne de partage entre la communication marketing et l’information brute. Une mention est jugée licite si elle est factuelle, se rapporte à un ingrédient spécifique et non au produit fini, et si sa présentation matérielle (taille, emplacement) ne vise pas à la mettre en avant comme un argument de vente. Cette solution pragmatique concilie la protection de l’AOP avec le droit des producteurs à informer les consommateurs sur l’origine de leurs matières premières, dès lors que cette information n’est pas susceptible de créer une confusion.

B. La confirmation de la méthode de l’examen au cas par cas

En réformant le jugement du tribunal administratif qui avait critiqué l’administration pour avoir posé une interdiction générale, la cour valide la démarche suivie par les services de contrôle. Elle constate que les agents ont bien procédé à un examen individualisé de chaque étiquetage, consigné dans un « tableau de synthèse » qui « détaille, pour chaque étiquetage de camemberts, les différentes mentions présentes ». L’arrêt souligne ainsi que la lutte contre l’évocation d’une AOP ne peut procéder d’une interdiction de principe de toute référence géographique. Elle impose au contraire une appréciation fine, au cas par cas, de chaque emballage pour déterminer si, dans son ensemble, il est de nature à tromper le consommateur. Cette solution préserve la sécurité juridique des opérateurs économiques, qui savent qu’une référence géographique n’est pas proscrite par nature, mais qu’elle sera évaluée en fonction de son contexte et de sa proéminence. La décision offre ainsi un guide méthodologique tant pour l’administration que pour les fabricants.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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