Cour d’appel administrative de Nantes, le 11 avril 2025, n°24NT00331

Par un arrêt du 11 avril 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une décision de retrait d’agrément d’un assistant familial. En l’espèce, un assistant familial, agréé depuis 2011, a fait l’objet d’une suspension de son agrément en 2018 suite à l’ouverture d’une procédure judiciaire pour une suspicion d’infraction à caractère sexuel sur une enfant accueillie. Par une décision du 1er février 2019, le président du conseil départemental compétent a finalement prononcé le retrait de cet agrément, après avis de la commission consultative paritaire départementale. Cette décision était motivée par le signalement initial mais également par de « nouveaux éléments d’alerte » portés à la connaissance de l’administration le 22 octobre 2018.

Saisi par l’assistant familial, le tribunal administratif de Nantes a, par un jugement du 7 décembre 2023, annulé la décision de retrait. Le département a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le non-respect du principe du contradictoire concernant les nouveaux éléments n’avait pas exercé une influence sur le sens de la décision. L’appelant arguait que la même décision aurait été prise sur le fondement des autres griefs et que l’intéressé n’avait pas été privé d’une garantie substantielle.

La question de droit qui se posait à la cour administrative d’appel était donc double. Il s’agissait de déterminer si la communication de l’intégralité des griefs servant de fondement à une décision de retrait d’agrément, tant à l’intéressé qu’à la commission consultative paritaire départementale, constitue une garantie substantielle. Il convenait également de savoir si l’omission de cette formalité peut être neutralisée au motif que l’administration aurait pris la même décision en se fondant sur les autres éléments du dossier.

La cour administrative d’appel rejette la requête du département et confirme l’annulation prononcée en première instance. Elle juge que l’ensemble des éléments sur lesquels l’administration entend se fonder, y compris les nouveaux faits venant conforter des suspicions antérieures, doivent être communiqués à l’intéressé et à la commission. Le juge considère que ces éléments n’étaient pas un « motif autonome qui pourrait être neutralisé », mais participaient à l’appréciation globale de la situation par l’autorité administrative. Par conséquent, leur non-communication a privé l’assistant familial « de la garantie d’assurer utilement sa défense », viciant ainsi la procédure.

La décision commentée offre une illustration précise de l’articulation entre l’exigence de protection de l’enfance et le respect des droits de la défense. Elle réaffirme avec force le caractère substantiel du principe du contradictoire dans le cadre d’une procédure de retrait d’agrément (I), tout en précisant l’office du juge dans le contrôle des garanties procédurales face à la gravité des faits (II).

I. La réaffirmation du principe du contradictoire comme garantie substantielle

La cour administrative d’appel rappelle que la procédure de retrait d’agrément est encadrée par des garanties strictes, dont le respect s’impose à l’administration. Elle insiste sur l’obligation de communiquer tous les éléments à charge (A) et rejette la possibilité pour l’administration d’invoquer l’absence d’influence de ce manquement sur la décision finale (B).

A. L’obligation de communication de l’ensemble des motifs de la décision

La cour fonde son raisonnement sur les dispositions du code de l’action sociale et des familles, qui prévoient que la commission consultative paritaire départementale doit être saisie des « motifs de la décision envisagée ». La décision rappelle qu’il « incombe au président du conseil départemental, avant de prendre une décision de retrait d’agrément, de communiquer à l’intéressé ainsi qu’à la commission consultative paritaire départementale les éléments sur lesquels il entend se fonder ». Cette obligation de transparence procédurale est une condition de validité de la saisine de la commission et, par extension, de la décision administrative elle-même.

En l’espèce, le président du conseil départemental s’était fondé non seulement sur le signalement initial, mais aussi sur de « nouveaux éléments d’alerte (…) faisant état d’attouchements à caractère sexuel et gestes maltraitants envers une jeune accueillie ». Or, la cour relève qu’il est constant que « la teneur de ces éléments (…) n’a été communiquée préalablement ni à M. A… ni à la commission consultative paritaire départementale ». Ce manquement a eu pour effet de priver l’intéressé de la possibilité de se défendre sur une partie des faits qui lui étaient reprochés et d’empêcher la commission de rendre un avis pleinement éclairé sur l’ensemble des griefs.

B. Le rejet de la neutralisation du vice de procédure

Face à ce manquement, le département soutenait que le vice de procédure ne devait pas entraîner l’annulation, car la décision de retrait aurait été identique en l’absence des nouveaux éléments. Cet argument, inspiré de la jurisprudence Danthony, consiste à ne retenir un vice de procédure comme source d’illégalité que s’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision ou a privé l’intéressé d’une garantie. La cour administrative d’appel écarte fermement cette argumentation.

Elle considère que les nouveaux éléments n’étaient pas un « motif autonome qui pourrait être neutralisé », mais des faits de même nature que ceux initialement reprochés. Ces derniers étaient donc « de nature à permettre au président du conseil départemental raisonnablement de penser que la première enfant en cause était victime de tels comportements ou risquait de l’être ». Autrement dit, ces nouveaux faits n’étaient pas accessoires mais venaient renforcer la conviction de l’administration et pesaient lourdement dans l’appréciation de la situation. Dans ces conditions, leur dissimulation a nécessairement privé l’agent de la « garantie d’assurer utilement sa défense », rendant le vice de procédure substantiel et justifiant l’annulation.

II. L’équilibre délicat entre protection de l’enfance et droits de la défense

La décision met en lumière la tension inhérente à ce type de contentieux. Si la protection des mineurs est un impératif, elle ne saurait justifier l’abandon des garanties procédurales fondamentales. La cour précise ainsi les modalités d’une procédure contradictoire adaptée (A) et réaffirme le rôle central du juge dans l’appréciation du respect effectif de ces garanties (B).

A. Les modalités d’une procédure contradictoire adaptée

Consciente de la sensibilité des informations en jeu, la cour rappelle la solution d’équilibre à mettre en œuvre. Elle énonce que si la communication de certaines pièces est « de nature à entraîner un risque avéré de préjudice pour les personnes qui auraient alerté les services du département, pour l’enfant concerné ou pour les autres enfants », l’administration n’est pas tenue de les communiquer « dans leur intégralité ». Elle doit cependant « informer l’intéressé et la commission de leur teneur ».

Cette approche pragmatique permet de concilier le secret, notamment celui de l’instruction pénale ou la protection des sources, avec l’exigence du contradictoire. En communiquant la substance des témoignages ou des pièces sans en dévoiler l’intégralité ou l’origine, l’administration peut protéger les intérêts en présence tout en permettant à l’intéressé de « se défendre utilement ». Cette solution prétorienne démontre une volonté de ne pas paralyser l’action administrative face à des situations potentiellement dangereuses pour les enfants, tout en maintenant un haut niveau d’exigence quant au respect des droits de l’agent.

B. L’appréciation souveraine du juge sur le respect des garanties

En dernier lieu, l’arrêt rappelle que c’est au juge administratif qu’il appartient de trancher. En cas de contestation, il doit « apprécier, au vu de l’ensemble des éléments qui lui ont été communiqués, si celle-ci a été privée de la garantie d’assurer utilement sa défense ». Ce contrôle juridictionnel a posteriori est la clé de voûte du système de garanties.

Dans cette affaire, en examinant les pièces du dossier, la cour conclut de manière péremptoire que l’intéressé « a été, dans les circonstances de l’espèce, privé de la garantie d’assurer utilement sa défense ». C’est donc « à bon droit » que les premiers juges ont annulé la décision de retrait. Par cette analyse, la cour administrative d’appel ne se substitue pas à l’administration dans l’appréciation des faits, mais elle censure la méthode employée pour parvenir à la décision. Elle confirme que la gravité des suspicions, aussi légitimes soient-elles, n’autorise pas l’administration à s’affranchir des règles procédurales qui protègent les administrés contre l’arbitraire.

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