Cour d’appel administrative de Nantes, le 11 avril 2025, n°24NT03045

Par un arrêt en date du 11 avril 2025, une cour administrative d’appel a précisé les conditions d’examen d’une demande de régularisation par le travail présentée par un ressortissant étranger. En l’espèce, un citoyen marocain, entré régulièrement en France mais qui s’y était maintenu après l’expiration de son visa de court séjour, a sollicité la délivrance d’un titre de séjour portant la mention « salarié ». Il se prévalait notamment d’une promesse d’embauche et d’une expérience professionnelle antérieure sur le territoire français.

L’administration préfectorale a rejeté sa demande par un arrêté, assortissant cette décision d’une obligation de quitter le territoire français et de la fixation du pays de destination. Saisi par l’intéressé, le tribunal administratif de Nantes a confirmé la légalité de cet arrêté par un jugement du 27 juin 2024. Le requérant a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision préfectorale était entachée d’un défaut d’examen de sa situation, d’erreurs de fait et d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Il convenait donc pour la cour administrative d’appel de déterminer si le refus de régularisation opposé à un ressortissant marocain, dont la situation est en principe régie par un accord bilatéral, était légalement justifié au regard de l’ensemble des éléments de sa situation personnelle, malgré une erreur de fait commise par l’administration. La cour a rejeté la requête, estimant que le préfet n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant le titre de séjour, la situation personnelle et professionnelle de l’intéressé ne justifiant pas une admission exceptionnelle au séjour.

La cour confirme ainsi le pouvoir discrétionnaire de l’administration dans le cadre posé par un accord bilatéral (I), tout en procédant à une appréciation rigoureuse des éléments constitutifs de la situation personnelle du requérant (II).

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La décision commentée rappelle d’abord le cadre juridique spécifique applicable aux demandes de titre de séjour pour motif salarial formées par les ressortissants marocains. Elle réaffirme la primauté de l’accord franco-marocain du 9 octobre 1987, qui régit exhaustivement les conditions de délivrance de ces titres. Par conséquent, un ressortissant de cet État « ne peut utilement invoquer les dispositions de l’article L. 435-1 du code » de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour solliciter son admission au séjour en qualité de salarié. La cour écarte ainsi le fondement juridique général au profit de la stipulation conventionnelle spéciale. Cette solution, conforme à une jurisprudence constante, souligne l’importance des accords bilatéraux dans le droit des étrangers, lesquels priment sur la loi interne pour les matières qu’ils traitent.

Toutefois, l’application de cet accord n’exclut pas pour autant toute possibilité de régularisation. La cour précise que les stipulations de l’accord franco-marocain « n’interdisent pas au préfet, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d’apprécier (…) l’opportunité d’une mesure de régularisation ». L’administration conserve donc une marge de manœuvre pour délivrer un titre de séjour à un ressortissant qui ne remplit pas les conditions de délivrance de plein droit. Ce pouvoir discrétionnaire permet de prendre en compte des situations humanitaires ou des motifs exceptionnels qui ne seraient pas prévus par l’accord, offrant une soupape de sécurité au système. La cour valide ainsi une approche pragmatique, distinguant le droit commun conventionnel de la faculté de régularisation au cas par cas.

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Après avoir ainsi défini le cadre juridique applicable, la cour s’est attachée à contrôler l’appréciation des faits opérée par l’administration. Le requérant soutenait que le préfet avait commis une erreur de fait en considérant qu’il ne justifiait d’aucune expérience professionnelle en France. La cour reconnaît l’existence de cette erreur, l’intéressé ayant bien exercé une activité de vendeur pendant quelques mois. Cependant, elle juge que cette erreur de fait, « au vu des caractéristiques de cet emploi », est « sans influence sur l’appréciation qu’il a portée sur la situation personnelle » du requérant. Ce faisant, le juge administratif neutralise l’erreur commise, considérant qu’elle n’a pas été déterminante dans la décision prise. Cette approche illustre le pragmatisme du contrôle juridictionnel, qui ne censure pas automatiquement une décision pour un vice mineur si celui-ci n’a pas altéré le sens de l’appréciation globale.

Au-delà de cette erreur de fait jugée non déterminante, le juge a procédé à une analyse globale de l’intégration de l’intéressé. Il relève que le requérant est célibataire, sans enfant, et que sa présence en France est récente, soit moins de deux ans à la date de l’arrêté. La cour note que sa brève expérience professionnelle et une promesse d’embauche dans un domaine sans rapport avec ses qualifications « ne suffisent pas à établir une insertion professionnelle pérenne ». De même, les attestations produites ne démontrent pas de liens personnels d’une « particulière intensité ». Au regard de ces éléments, la cour conclut que le refus de titre de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale du requérant et n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Cette décision réaffirme une position classique selon laquelle la régularisation demeure une faculté pour l’administration, conditionnée par la démonstration d’une intégration suffisamment stable et ancienne.

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Hassan KOHEN
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