Par un arrêt en date du 11 février 2025, la Cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur les conditions d’octroi d’un visa de long séjour au bénéfice d’ascendants d’une ressortissante française se prévalant de leur état de dépendance. En l’espèce, deux ressortissants étrangers, parents d’une citoyenne française, ont sollicité auprès des autorités consulaires la délivrance de visas de long séjour afin de s’établir en France auprès de leur fille. Face au refus qui leur a été opposé, ils ont saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France, laquelle a implicitement rejeté leur recours. Les requérants ont alors saisi le tribunal administratif de Nantes, qui a rejeté leur demande tendant à l’annulation de cette décision implicite. C’est dans ces conditions qu’ils ont interjeté appel du jugement, soutenant que la décision initiale était insuffisamment motivée, que leur situation n’avait pas fait l’objet d’un examen particulier, que l’administration avait commis une erreur manifeste d’appréciation quant à leur qualité d’ascendants à charge et, enfin, que le refus portait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée et familiale. La question posée à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si la condition de dépendance économique, nécessaire à l’obtention d’un visa en qualité d’ascendant à charge, était remplie. D’autre part, la cour devait apprécier si le refus de visa constituait une ingérence excessive dans la vie familiale des requérants, au regard des stipulations de la convention européenne des droits de l’homme. La Cour administrative d’appel rejette la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance. Elle juge que les éléments produits ne suffisent pas à établir la réalité de l’état de dépendance économique des ascendants à l’égard de leur fille. Elle écarte également toute violation du droit à une vie privée et familiale normale, estimant l’atteinte qui y est portée justifiée et proportionnée.
La décision commentée s’inscrit dans une approche classique du contentieux des visas, en réaffirmant avec rigueur l’appréciation de la condition de dépendance qui pèse sur l’ascendant (I), tout en écartant les moyens accessoires par une lecture pragmatique des règles de procédure et des droits fondamentaux (II).
I. La confirmation d’une appréciation rigoureuse de la condition de dépendance de l’ascendant
La cour fonde principalement son rejet sur l’absence de preuve de la qualité d’ascendant à charge, en s’appuyant sur une définition prétorienne constante de cette notion (A) qui induit une charge probatoire particulièrement lourde pour le demandeur (B).
A. La définition prétorienne de la notion d’ascendant à charge
La cour rappelle les critères permettant de qualifier un ascendant de « à charge » de son descendant. Elle juge que les autorités consulaires « peuvent légalement fonder leur décision de refus sur la circonstance que le demandeur ne saurait être regardé comme étant à la charge de son descendant, dès lors qu’il dispose de ressources propres lui permettant de subvenir aux besoins de la vie courante dans des conditions décentes ». Cette formule, classique, synthétise une jurisprudence bien établie du Conseil d’État. La condition de dépendance est ainsi subordonnée à la démonstration d’une double nécessité : l’insuffisance des ressources personnelles de l’ascendant dans son pays d’origine et l’existence d’un soutien matériel effectif et régulier de la part du descendant établi en France. La logique sous-jacente est de réserver le bénéfice du regroupement familial aux seules situations où le lien de dépendance est avéré et non contingent. Le juge administratif s’assure que la demande de visa ne vise pas à contourner les règles de l’immigration économique sous le couvert de liens familiaux, mais répond bien à une situation de vulnérabilité réelle. L’analyse demeure concrète et comparative, appréciant les ressources de l’ascendant au regard du coût de la vie dans son pays de résidence, afin d’objectiver son incapacité à subvenir à ses besoins.
B. Une exigence probatoire pesant lourdement sur le demandeur
Appliquant ces principes, la cour procède à une analyse factuelle détaillée des preuves fournies par les requérants. Elle constate que, s’ils justifient de la perception de pensions de retraite, « ils n’apportent, cependant, aucune justification ni même aucune précision sur leurs conditions matérielles d’existence en Russie ». Le juge souligne ainsi une carence probatoire majeure. Il ne suffit pas d’affirmer une dépendance, encore faut-il la démontrer par des éléments précis et circonstanciés. La cour relève également que les aides financières ponctuelles de leur fille, même admises, ne sauraient suffire à établir un soutien régulier. En effet, « ces dons ne suffisent pas à regarder leur fille comme pourvoyant régulièrement à leurs besoins ». Cette appréciation sévère de la régularité du soutien illustre le niveau d’exigence du juge administratif. La charge de la preuve repose entièrement sur le demandeur, qui doit non seulement établir l’insuffisance de ses ressources, mais aussi la constance et la substantialité de l’aide familiale. Cette approche, si elle garantit la cohérence du contrôle juridictionnel, place les requérants dans une position délicate, les contraignant à produire des preuves souvent difficiles à rassembler depuis l’étranger.
II. Le rejet des moyens accessoires fondé sur une lecture formaliste et pragmatique
Au-delà de la question centrale de la dépendance, la cour écarte les autres arguments des requérants par une application stricte des règles de procédure contentieuse (A) et une interprétation mesurée du droit au respect de la vie privée et familiale (B).
A. L’irrecevabilité du moyen tiré du défaut de motivation de la décision consulaire
Les requérants critiquaient le caractère stéréotypé de la motivation du refus initial des autorités consulaires. La cour écarte ce moyen en relevant un point de procédure fondamental. La décision implicite de rejet de la commission de recours s’est substituée à la décision consulaire. Or, les requérants n’ont pas usé de la faculté offerte par le code des relations entre le public et l’administration de demander la communication des motifs de cette décision implicite. La cour en conclut qu' »il est constant que les intéressés n’ont pas sollicité la communication des motifs de ces décisions implicites », rendant inopérant le moyen dirigé contre la décision initiale. Cette solution est une illustration du formalisme du contentieux administratif. Elle rappelle que le recours préalable obligatoire devant la commission de recours cristallise le litige. Toute irrégularité affectant la décision consulaire est purgée par la décision de la commission, et c’est contre cette dernière que les moyens doivent être dirigés, en respectant les procédures afférentes, notamment la demande de motivation en cas de décision implicite.
B. L’application mesurée du droit au respect de la vie privée et familiale
Enfin, la cour examine l’argument tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme. Elle reconnaît les craintes des requérants de ne plus revoir leur fille, mais oppose une analyse pragmatique de la situation. Elle note qu’il « n’est pas établi que cette dernière serait dans l’impossibilité de se rendre en Russie dont elle a gardé la nationalité ». Le fait que la fille, adulte, puisse maintenir les liens familiaux par des visites dans le pays d’origine des parents est un élément déterminant de l’appréciation. La cour en conclut que les refus de visa ne portent pas au droit des requérants « de mener une vie privée et familiale normale, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ils ont été pris ». Cette approche est conforme à la jurisprudence européenne et nationale, qui n’accorde pas un droit absolu au regroupement familial pour les ascendants de nationaux majeurs. Le juge opère une balance des intérêts entre le droit de l’État de contrôler l’immigration et le droit à la vie familiale, et conclut, en l’absence de rupture effective des liens, que l’ingérence n’est pas excessive.